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«Santé et environnement», de Marie Gaille

Lundi 30.12.2019

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

Marie Gaille Environnement

Marie Gaille est philosophe, directrice de recherches au CNRS français. Ses travaux s’intéressent à l’expérience de la maladie et au rapport au milieu de vie. Elle rappelle en exergue une phrase de Claude Bernard : « Il est très difficile, sinon impossible, de poser les limites entre l’état normal et l’état anormal. Les mots santé et maladie sont très arbitraires. »

On sait que, dans le monde occidental, c’est Hippocrate qui a séparé la médecine du religieux, « en combinant une faculté fine d’observation de choses particulières et une capacité à établir des faits généraux ». Gaille décrit dans la première partie du livre l’histoire de cet héritage, dont l’influence a perduré au cours des siècles et au-delà des évolutions épistémologiques. L’attention aux causes externes de la maladie est un des points principaux de cette filiation. 

L’auteure a étudié principalement les travaux du psychiatre Kurt Goldstein (1878-1965), pionnier de la neuropsychologie, de Georges Canguilhem et de Maurice Merleau-Ponty ; tous philosophes, les deux premiers étant aussi médecins. « La réflexion de ces trois auteurs débouche sur une définition de la santé qui a pour axe central la relation à un milieu de vie. La santé n’est pas seulement l’absence de maladie, elle relève de l’expression de capacités, une forme d’aisance » (p. 19). Canguilhem : « La ‘normalité’ pour le vivant est relative à l’environnement de celui-ci et n’a pas de signification en dehors de cette relation. » Il importe de considérer et de combiner deux approches de la santé : une conception statistique et biologique d’une part, une conception holistique ou humaniste, centrée sur la personne, d’autre part.

Pour Goldstein, la mission de la médecine est « d’aider le patient à retrouver une place dans le monde et une relation à autrui, à se tailler un environnement de vie vivable, dans laquelle son existence a du sens et de la valeur. » Noter encore que, pour lui comme notamment pour Rudolf Virchow auparavant, la médecine a des dimensions et des implications sociales et politiques majeures. Ces impacts sont bien admis sinon démontrés aujourd’hui, même s’il y a peu de pays dans lesquels on en tire toutes les conséquences.

Antérieurement, Marie Gaille fait référence aux travaux du Français Pierre-Jean Cabanis à la fin du XVIIIe siècle. Par exemple, ce dernier assimile la criminalité à une maladie, raisonnement moderne quand on sait l’importance des influences du milieu, dès l’enfance, dans les délinquances comme pour la santé. Cabanis met l’accent sur les effets salutogénétiques d’un milieu naturel et architectural de qualité.

Est présentée une importante réflexion sur la notion de handicap, qui n’est pas caractérisée simplement par la déficience d’une personne mais bien comme le résultat d’une déficience et d’un environnement qui en aggrave les effets. L’anthropologue québécois Fougeyrollas renvoie à une « organisation sociale qui produit des situations systémiques de discrimination et de stigmatisation - ou encore de privilèges et de pouvoir » ! C’est pourquoi il faut parler aujourd’hui de situation de handicap. Comme d’autres, Goldstein relève qu’il est possible de se sentir en bonne santé même si, à cause de limitations, on ne peut pas ou plus effectuer ce qui était possible auparavant. Dans ce sens, on peut dire qu’une bonne santé exprime une marge « de tolérance et de compensation des agressions de l’environnement ».

Gaille souligne (p. 137) le passage nécessaire de la notion d’interdépendance entre les composantes de la biosphère (dont on parle beaucoup à propos du dérèglement climatique) à celle de solidarité au sein d’une société où tous ont une même communauté de destin. Ce qui renvoie à l’accent mis aujourd’hui sur le fait que les actions en matière de climat (vers une justice climatique) doivent se faire en concordance avec des actions du registre social.

Santé et environnement est un ouvrage maniable et agréable à lire, très bien informé, qui examine son sujet* du point de vue des sciences humaines et sociales, avec une perspective historique dès Hippocrate. Il apporte une contribution bienvenue alors que l’importance des humanités en médecine est de mieux en mieux reconnue et nécessaire pour une médecine du XXIe siècle qui aille au-delà du quantitatif et du technique.

* Une remarque linguistique : environnement se dit en allemand Umwelt (ce qui nous entoure) mais il est plus approprié, certains le font, de dire Mitwelt (ce avec quoi nous vivons).

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