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Hubert Reeves, un parcours sans se renier

Mardi 16.06.2020

Commentaire de Jean Martin

Reeves Lhuillier

Je n’appartiens pas au club des fans inconditionnels de Hubert Reeves, l’astrophysicien québécois qui, après études et enseignement au Canada et aux Etats-Unis, a passé la plus grande partie de sa vie en France, depuis l’âge de 33 ans, et est très sollicité par les médias. Mais peut-être parce que je tiens aussi parfois des propos de type « enseignements de mon existence » (j’ai bientôt 80 ans, il en a 88), j’ai beaucoup apprécié son petit livre tout récent.

Trois parties : une sur l’enfance stricte mais entourée de nature au Québec, ensuite la description d’un parcours académique brillant et atypique, puis ce qu’il a « récolté en chemin ». La conversation restitue son itinéraire. Elle est agréable à lire, sous une forme concise.

lI a été très proche de sa mère et d’une grand-mère, a étudié les sciences parce que c’était un domaine où son père autoritaire ne connaissait rien. Fait un doctorat à l’université Cornell. Ses recherches scientifiques portent sur la nucléosynthèse, la recherche de l’origine des éléments chimiques pour établir des théories permettant de reconstituer le passé. « La question qui me captive : que s’est-il passé pour que les choses soient comme elles sont ? »

Il poursuit sa carrière au CNRS et au Commissariat à l’énergie atomique. D’où, dit-il, il n’a pas été éjecté ni même censuré quand il s’est mis à tenir des propos anti-nucléaires. Il est de plus en plus actif comme vulgarisateur scientifique. On l’entend maintenant de Malicorne, sa maison bourguignonne.

Les castes en France. A propos de Mai 68, « la grande différence, c’est les castes. Il y a beaucoup moins de cela en Amérique du Nord. En France, étudiants et professeurs ne déjeunent pas ensemble. Aux Etats-Unis, nous mangions en toute simplicité avec des sommités, voire buvions un peu trop avec eux (…) Cette réalité des castes n’est pas étrangère au mauvais classement des universités françaises (...) Aux Etats-Unis, il y a un climat de coopération entre profs et étudiants qui est plus constructif.» Plus loin : « J’avais l’espoir à mon échelle de faire changer les choses en France, c’était une illusion. Sur ce sujet j’ai perdu mon temps. »

L’écologie et la militance. Hubert Reeves rappelle que, dans les années 1960, un de ses collègues enseignants à New York était James Hansen, un physicien spatial qui se préoccupait vivement déjà de gaz carbonique et d’effet de serre (Hansen dont on reconnait maintenant l’importance majeure). Reeves note que, avec d’autres, « nous n’étions ni convaincus ni tracassés ». Mais, de plus en plus, il milite pour le milieu de vie et, en compagnie notamment de Théodore Monod, il a un engagement social. Il a même l’oreille de Nicolas Sarkozy durant sa présidence.

Les relations avec ses enfants. « Je dois avouer que je ne suis pas très à l’aise avec cette question, parce que je n’ai pas été assez disponible pour eux. (…) Il y a eu une période de crise où le dialogue a été difficile. Mes enfants eux, aujourd’hui, s’occupent beaucoup de leurs enfants. Mais je n’ai jamais fait ça et je me le reproche. Si c’était à recommencer… »

Que dire à un (futur) scientifique de 18 ans ? Je dirais : « Méfie-toi, ne cherche pas à tout prix à être le meilleur, c’est destructeur. La chose contre laquelle je me suis toujours battu, c’est ma propre compétitivité. Être compétitif, c’est une qualité mais ça peut aussi te ruiner la vie (…) J’ai contre-investi beaucoup cette tendance et je continue à le faire. »

Les futures générations. « La planète sera-t-elle habitable dans cinquante ans ? Je me demande quelle vie auront mes petits-enfants. Il y a cent ans, tu connaissais concrètement le travail de tes parents et tu le poursuivais. Maintenant il n’y a plus de modèle. L’avenir est un grand blanc, les jeunes n’arrivent pas à y projeter des images. » Toutefois, avec Edgar Morin, se souvenir que la réalité est toujours surprenante. « La réalité a plus d’imagination que nous. »

«Je chemine avec Hubert Reeves», entretiens avec Sophie Lhuillier, Editions du Seuil, 2019, 115 pages.

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