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Une journaliste française a questionné l’émergence de nouvelles pandémies en interrogeant une soixantaine de scientifiques internationaux. Résultat ? La sauvegarde de la biodiversité relève d’un impératif pour la santé planétaire.
Par Jean Martin
Marie-Monique Robin est une journaliste et réalisatrice française qui s'est fait connaître par des recherches sur les pesticides et l’agroécologie. Elle vient de publier un livre remarquable, qui ouvre des perspectives majeures en rapport avec la pandémie actuelle.
Entre mai et juillet 2020, cette autrice a contacté soixante scientifiques de haut vol, sur les cinq continents. Son but ? Préciser ce que les données scientifiques avérées permettent de savoir de l'émergence probable de nouvelles pandémies. Le constat s'avère passionnant, éclairant... et inquiétant.
Dans le monde entier en effet, des études montrent que la disparition des moyens de subsistance traditionnels de nombreuses populations sont étroitement liés aux problèmes actuels. L'agriculture industrielle et l'urbanisation galopante dévastent les territoires encore vierges : ces mutations ont accru les contacts et conflits entre humains et beaucoup d'espèces animales sauvages, porteuses de centaines de virus. Selon toute probabilité, le Covid pourrait être la première de plusieurs (beaucoup ?) pandémies. Dans la foulée, Robin affirme : « Si nous ne revoyons pas de toute urgence notre rapport à la nature, nous vivrons dans une ère de confinement chronique. »
La journaliste fait référence notamment aux travaux de Jakob Zinsstag, professeur à l’Institut tropical et de santé publique de Bâle. Ce dernier a développé le concept de « One Health », qui considère ensemble les questions de médecine humaine et vétérinaire [1] - un concept à l’évidence essentiel dans la pandémie Covid. Est décrit aussi le programme « Planetary Health », initié par Lancet [2], qui défend également une approche holistique des défis actuels. Et Robin d’ajouter : « Il est temps que les pouvoirs publics comprennent que la santé humaine dépend de celles des écosystèmes et des animaux. »
La notion de « services écosystémiques » a émergé dans les années 2000 à la suite d’une initiative de l’Unesco, comme une stratégie de gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes. Il s’agit de considérer les bénéfices que les personnes et sociétés obtiennent du bon fonctionnement des écosystèmes. C’est une réflexion qu’il importe de développer aussi à propos de la pratique médicale et du système de santé (c’est le cas par exemple au sein de Unisanté, à Lausanne).
Un chapitre est consacré à « l’effet dilution ». On a montré que les organismes dangereux ont d’autant moins d’opportunités de déclencher une crise sanitaire s’ils existent dans un biotope largement diversifié (pages 136-143). C’est un enseignement majeur : loin d’être seulement sympathique pour celles et ceux qui aiment la nature, la biodiversité a été – et devrait rester – des « homogénéisations » délétères et tous azimuts que vit/subit notre monde.
Dans ce sens, on notera le chapitre où Marie-Monique Robin traite des allergies. Elle s’arrête sur le fait reconnu que la partie de l'humanité vivant dans des environnements très propres, parfois quasi aseptisés, développe beaucoup plus d'allergies que les personnes exposées au contacts avec les animaux, la nature, la terre, voire la poussière ou la saleté : « Quelle ironie, nous sommes confrontés à deux menaces : une de pandémies de maladies transmissibles dues à des pathogènes émergents et l’autre faite de maladies non-transmissibles liées à la disparition de pathogènes. »
La journaliste évoque encore le « paradigme de Stockholm » (pages 229-235). Celui-ci rompt avec la théorie dominante selon laquelle l’association hôte-pathogène est très stable au cours du temps. En réalité, beaucoup d’organismes ont la capacité d’acquérir de nouveaux hôtes rapidement en cas de bouleversements tels que le dérèglement climatique (c’est l’ecological fitting). Ainsi des pathogènes qui étaient initialement des « spécialistes » peuvent devenir des « généralistes » et leur potentiel de dommages s’élargit d’autant.
Les données présentées représentent une mise au point solide sur des réalités éco-biologiques qui sont à l’origine du phénomène Covid. Et on reste songeur en constatant que tant d'élites politiques, économiques, intellectuelles, regardent ailleurs alors que les faits avérés sont là, disponibles pour qui veut bien s'y intéresser.
[1] Jakob Zinsstag et al. One Health: The Theory and Practice of Integrated Health Approaches. CABI Books, 2020.
[2] Lancet Commission on Planetary Health. The Lancet, vol. 386, 14 novembre 2015.