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La procréation médicalement assistée
Considérations éthiques et propositions pour l’avenir, Prise de position de la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine, Berne, 59 pages.
Le commentaire du Dr Jean Martin
Dans sa récente prise de position [1] sur la procréation médicalement assistée (PMA), la Commission nationale d’éthique (CNE) recommande, dans sa majorité, d’autoriser le dépistage préimplantatoire (DPI). Ce dépistage consiste, en cas de fécondation in vitro (en laboratoire), à examiner le bagage chromosomique des embryons obtenus, pour éviter la transmission d’une maladie héréditaire ou détecter des aneuploïdies (nombre anormal de chromosomes, comme dans les trisomies). Notons que la CNE s’oppose en revanche à un dépistage systématique qui envisagerait un tel diagnostic dans tous les cas de FIV, indépendamment d’un risque reconnu.
Plus avant, la majorité de la CNE souhaite ouvrir la voie à la possibilité de DPI avec typage tissulaire dit HLA – qui a fait parler de « bébé sauveur », avec pour objectif d’engendrer un enfant susceptible de contribuer efficacement au traitement d’une sœur ou d’un frère malade. Cette éventualité est controversée à cause de la crainte d’une instrumentalisation inacceptable de l’embryon potentiellement « sauveur » et de la personne qu’il deviendra.
Je reste perplexe devant la conviction affichée par certains de savoir beaucoup mieux que les parents concernés ce qu’est le mieux-être de leur famille (y compris à propos de l’enfant à naître). Les observations et témoignages recueillis pas des cliniciens (médecins, psychologues) et éthiciens montrent, dans tout le domaine de la PMA, combien ces couples réfléchissent de manière approfondie aux enjeux et aux engagements qu’ils prennent. Vouloir que la qualité des intentions des parents potentiels soit vérifiée par quelque commission officielle, voire par un fonctionnaire jugeant sur dossier, cela interpelle sérieusement. A mon sens, la légitimité d’interventions de l’Etat est ici limitée à s’assurer qu’on ne nuit pas gravement à autrui, et le cas échéant au respect de l’ordre public. Et il n’est pas possible de dire que l’ordre public est menacé parce qu’un couple entend bénéficier dans son propre pays d’une technique biomédicale mise en œuvre impeccablement en Belgique ou en France.
A propos de la possible instrumentalisation d’un enfant souhaité : s’avise-t-on que cela n’est pas nouveau du tout ? Ainsi en va-t-il depuis des siècles dans des sociétés où la valeur d’un enfant dépend de son sexe. Né en milieu terrien, j’ai vu comment on voulait un garçon après plusieurs filles, pour lui remettre le domaine ; même volonté dans l’aristocratie ou la bourgeoisie industrielle pour maintenir un nom, une lignée. Lors d’un débat radiophonique, on m’a objecté qu’il ne fallait pas tout mélanger. Est-ce à dire qu’il est beaucoup plus légitime de vouloir à tout prix un enfant de plus dans les buts qui viennent d’être mentionnés que de l’engendrer pour permettre le traitement d’une sœur ou d’un frère atteint d’une maladie grave ?
Dernier point : les parents qui ont voulu un « bébé sauveur » n’aimeraient pas celui-ci comme ils aiment leurs autres enfants… Peut-être l’aimeront-ils un peu plus parce qu’il a aidé son aîné, mais est-ce là un danger sérieux ? Ces parents, comme la plupart, aimeront tous leurs enfants de la même manière.
Alors, que ceux qui sont à « l’extérieur », et notamment les pouvoirs publics, se gardent de lancer des anathèmes moraux avant d’avoir considéré sereinement les situations.
Commentaire [2] de Jean Martin, membre de la Commission nationale d’éthique (2001-2013)