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Trois questions à Francis Loser, enseignant-chercheur émérite à la Haute école en travail social à Genève et auteur de La médiation artistique en travail social. Enjeux et pratiques en atelier d'expression et de création
(REISO) Votre livre [1] est le fruit d’une recherche sur le terrain lors de trois types d’ateliers, un auprès de personnes aux prises avec des problèmes d’addiction à l’alcool, un avec des seniors et un dernier dans un centre de rencontre et d’expression créatrice. Il explique que la médiation n’est pas tant un outil thérapeutique, mais davantage une expérience esthétique. Qu’entendez-vous par là ?
(Francis Loser) De nos jours, on a tendance à penser qu’il faut guérir les personnes en souffrance et l’aspect thérapeutique de la médiation artistique prend le dessus. Lors de mes recherches, j’ai pu constater à quel point nous avons tous tendance à voir le monde de façon binaire : d’un côté le corps, de l’autre l’esprit ; d’un côté la nature, de l’autre la culture. Il faut cesser d’opposer le corps et l’esprit et revenir au sensible de la vie. La médiation artistique relève d’une expérience esthétique qui permet de concilier corps, émotions et cognition. Esthésie veut dire sentir. Les personnes qui souffrent, mais aussi les seniors se coupent souvent de leurs émotions et de leur sensibilité.
Selon vous, la maladie ne serait finalement qu’un blocage des émotions et sensations ?
Oui, en quelque sorte. Les personnes malades sont bloquées dans un processus de vie. Il faut alors leur permettre de se remettre en mouvement : déplier le corps, pour déplier l’esprit. La médiation artistique leur offre ainsi un chemin vers leur sensibilité. Il n’est pas utile de faire plein de projets pour se sentir vivant, il suffit de réintensifier la part de vivant qui sommeille en chacun de nous.
Comment des ateliers de création artistiques peuvent-ils aider à se reconnecter avec cette part de vivant ?
En créant quelque chose, la personne n’est pas uniquement spectatrice. Elle se laisse ainsi émerveiller par le produit qu’elle a fabriqué et découvre qu’elle possède des ressources dont elle n’avait pas forcément conscience. Par ailleurs, les participant·e·s de ces ateliers, bien que concentré·e·s sur ce qu’ils·elles font, partagent un moment agréable qui brise leur solitude. S’instaure alors un dialogue. La parole vient naturellement sans que cela tourne en interrogatoire comme cela peut arriver lors des entretiens. Ils·elles vivent une expérience globale, artistique, mais aussi thérapeutique, dans le sens de prendre soin de soi.
(YT)
[1] La médiation artistique en travail social, Enjeux et pratiques en atelier d’expression et de création, Francis Loser, Ed. Ies, 2021, 288 pages.