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Présentation par Jean-Michel Bonvin, Pierre Gobet, Stéphane Rossini, Jean-Pierre Tabin, professeurs à la Haute école de travail social et de la santé – EESP – Lausanne, Université de Lausanne et Université de Genève
La politique sociale a de multiples raisons d’être. Ses objectifs sont modifiés au gré des problèmes qu’une collectivité identifie comme tels, parce qu’ils sont au centre de conflits, de revendications et de débats portés par des groupes de pression, des organismes politiques et économiques ou des mouvements sociaux suffisamment puissants pour se faire entendre. Loin d’aller de soi, la politique sociale est le reflet de la conception du bien public à une époque donnée. Il faut, pour la comprendre, la mettre en perspective, c’est-à-dire en faire la genèse, afin de dégager les raisons de son développement, les bases de son organisation et d’en mesurer l’impact.
C’est ce que propose ce Manuel de politique sociale. Il montre dans quel contexte la politique sociale est apparue et s’est développée, quels en étaient les fondements, quelles formes elle a pris, qui en bénéficie, comment et pourquoi en mesurer les coûts ou les effets et quels sont les enjeux sociaux qui la traversent. Ce Manuel de politique sociale n’est toutefois pas un simple recueil de faits et de dates plus ou moins marquants, ni la clef de lecture d’une architecture organisationnelle excessivement lourde et tortueuse : il est pensé comme un instrument permettant de mieux comprendre ce que l’on appelle communément le « système » de protection sociale. Il reprend et prolonge la réflexion de deux pionniers de l’analyse de la politique sociale, les professeurs Pierre Gilliand et Jean-Pierre Fragnière.
En 1988, Pierre Gilliand signait Politique sociale en Suisse. Introduction, alors que Sécurité sociale en Suisse. Introduction paraissait sous la plume de Jean-Pierre Fragnière et Gioia Christen. Ces deux ouvrages édités chez Réalités sociales avaient pour originalité de présenter non seulement le développement historique, l’organisation et les enjeux de la protection sociale en Suisse, mais également les normes et les valeurs qui la constituent, les institutions qui la portent et les personnes qui l’ont marquée. Depuis, la recherche a pu confirmer certaines tendances que déjà ils relevaient. Elle a également permis de souligner nombre de changements sociaux, politiques et législatifs, dont elle a analysé le sens et la portée. Ces développements appellent ce nouvel ouvrage de synthèse sur la politique sociale en Suisse. Il est le fruit du travail d’une équipe de professeurs de politique sociale à la Haute école de travail social et de la santé – EESP – Lausanne (HES-SO) et aux universités de Genève et Lausanne, Jean-Michel Bonvin, Pierre Gobet, Stéphane Rossini et Jean-Pierre Tabin.
Quatre parties composent ce Manuel de politique sociale. La première pose le cadre général d’analyse des politiques sociales. Elle présente les visions et les conceptions qui les sous-tendent, en cerne les champs d’application particuliers, décrit leurs modèles de financement et examine les formes de protection – charité, mutuelles, assurances privées, etc. – qui ont historiquement précédé les politiques sociales et avec lesquelles celles-ci ont dû souvent composer. Cette partie s’attache également à situer la politique sociale suisse dans le contexte international : des idées de Keynes sur l’intervention anticyclique de l’État légitimant le rôle économique de la protection sociale aux propositions actuelles d’Esping-Andersen de considérer la politique sociale comme un investissement.
La deuxième partie présente les origines et la mise en œuvre de la politique sociale en Suisse. L’analyse accorde une attention particulière aux luttes sociales et aux politiques liées à la définition des risques que le système de la sécurité sociale est appelé à couvrir. Elle souligne que l’évolution de la politique sociale helvétique n’est pas linéaire, pas plus qu’elle n’est progressive. Les différents régimes d’assurance et les prestations sous condition de ressources sont présentés dans leur spécificité, ce qui permet de relever les enjeux sociaux qui les sous-tendent. L’influence du cadre national et de ses particularismes est relevée, notamment la manière de concevoir la citoyenneté, le fédéralisme ou la subsidiarité. Cette partie permet également de saisir l’importance pour la politique sociale de l’organisation capitaliste et sexuée du travail.
La troisième partie porte sur l’étude des enjeux fondamentaux de la politique sociale. À quoi sert-elle, quelle en est la finalité ? Le sens qui lui est attribué change au gré des phases qu’elle traverse. La dernière en date s’ouvre symboliquement avec la crise des subprimes qui a surpris la majorité des observateurs politiques et des expert-e-s économiques à l’automne 2008. Aux risques sociaux liés aux transformations récentes des conditions de travail et de rémunération, aux mutations des rôles sociaux de sexe ou encore aux réformes mêmes dont la sécurité sociale fait l’objet, s’ajoute le risque, que l’on sait maintenant très réel, de défaillance des marchés. Devant cette nouvelle situation, il paraît judicieux d’envisager les prestations de la sécurité sociale comme des biens publics qui, précisément parce qu’ils sont soustraits aux lois du marché, sont à même de soutenir adéquatement ses missions. Dans cette perspective, la politique sociale n’est pas une affaire de l’État seul. Elle engage aussi la société civile et l’économie privée, et, partant, l’ensemble de la société.
La quatrième partie s’intéresse à la manière propre à la statistique de conférer une réalité objective à la politique sociale qui devient ainsi susceptible d’être gérée et administrée. Cette partie explicite les enjeux de l’objectivation de la politique sociale et ses répercussions sur les institutions qui la définissent et la dirigent. C’est sur la mesure, en effet, que reposent non seulement la surveillance politique et administrative de l’État social, mais aussi l’appréciation des besoins sociaux et l’orientation des réformes nécessaires. Autrement dit, la mesure de la politique sociale produit la réalité sur laquelle elle agit.
La postface de ce manuel est signée par un économiste, Martino Rossi, qui fut également directeur de la Division de l’action sociale et des familles du canton du Tessin. Il y rappelle, en proposant diverses solutions, la nécessité de réformes de la politique sociale helvétique.
Sans prétention à l’exhaustivité, ce Manuel de politique sociale est un ouvrage introductif qui sera utile à toutes celles et tous ceux qui désirent connaître les origines, les principes et les mécanismes de la politique sociale helvétique et s’attachent à comprendre ses mutations actuelles. De nombreuses références permettent en outre l’élargissement ou l’approfondissement des thèmes et des questions qui y sont abordés. Une lecture féconde pour comprendre les enjeux actuels de la politique sociale.
Le terme recovery pourrait être traduit par guérison, rétablissement ou recouvrement de la santé. Un mouvement y est associé. Il a vu le jour aux États-Unis dans les années 1990 et réunissait des malades psychiques considérés comme inguérissables ou pour lesquels il n’existait plus de ressources psychothérapeutiques et qui s’étaient rétablis malgré ces pronostics défavorables. Rapidement, des professionnels engagés et des proches se joignirent à ce mouvement.
Depuis, les tenants du recovery attirent l’attention sur le fait qu’il est aussi possible de se rétablir de maladies psychiques graves et que le préjugé selon lequel une personne malade est condamnée à le rester toute sa vie est infondé. Ils informent les autres personnes concernées et les proches sur les possibilités de rétablissement et aident les professionnels à orienter leur traitement plutôt sur le rétablissement qu’exclusivement sur l’évitement des crises ou le contrôle des symptômes.
Cette nouvelle brochure de Pro Mente Sana contient de précieuses informations et indique concrètement comment il est possible de devenir acteur de son propre rétablissement, chemin passionnant et parfois difficile.
Pro Mente Sana édite cette brochure que vous pouvez vous procurer gratuitement au 0840 00 00 60 (tarif local) ou à l’adresse . Pro Mente Sana, 40 rue des Vollandes, 1207 Genève
Le Rapport social suisse n’est pas un ramassis de statistiques indigestes qui prouvent tout et n’importe quoi, ce n’est pas une complainte sur le triste sort des marginaux helvétiques, ce n’est pas un ouvrage scientifique insaisissable ni une offre d’évasion « fun ». C’est une tentative de radiographier périodiquement la société suisse dans tous ses états, d’en tracer les changements et les permanences en mobilisant, pour en parler, des connaisseurs compétents dans les sciences sociales.
Le format de base du Rapport est formé par cinq grands axes qui traversent l’organisation sociale et qui s’entrecroisent :
Chacun de ces axes est traité d’une part par un chapitre d’approfondissement écrit par un-e spécialiste de la question, et d’autre part par une quinzaine d’indicateurs. Ces indicateurs sont déclinés autour de différents critères (sexe, âge, niveau de formation, etc.) et souvent suivis dans le temps, voire comparés à d’autres pays ; chaque indicateur est présenté sur une double page par des graphiques et un commentaire ; dans l’ensemble, le livre présente ainsi 75 indicateurs.
Exemple d’un chapitre d’approfondissement pour l’axe des inégalités, pris dans le dernier Rapport : « On ne prête qu’aux riches : L’inégalité des chances devant le système de formation en Suisse » écrit par Thomas Meyer, responsable de l’enquête TREE qui suit les écoliers de l’échantillon interrogé pour l’enquête PISA depuis maintenant dix ans pour tracer leurs trajectoires après l’école obligatoire.
Exemple d’un indicateur pour le même axe : « Héritage et homogamie de formation en 2006 ». Cet indicateur est présenté en trois graphiques. Le premier montre la fréquence des trois situations de mobilité entre parents et enfants (ascension, stabilité ou descente), séparément pour les hommes et les femmes, pour la Suisse et cinq autre pays européens. Le deuxième a la même structure, mais en substituant la distinction par trois groupes d’âge à celle par le sexe. Le troisième montre, pour les mêmes six pays, l’homogamie ou l’hétérogamie dans les couples (la femme a une formation plus élevée, égale ou moins élevée que son partenaire).
Ce n’est, certes, pas un polar pour les vacances d’été à lire du début à la fin, mais plutôt un livre de référence, à feuilleter et, surtout, à reprendre chaque fois que l’on se pose une question sur la société suisse qui va au delà de l’expérience personnelle.
René Levy, professeur honoraire, Institut des sciences sociales, Université de Lausanne
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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bioéthicien
Le Dr La Rosa est médecin et docteur en anthropologie et écologie humaine ; il est aussi membre du Comité international de bioéthique de l’UNESCO. Il aborde dans cet ouvrage, de manière aisément compréhensible, plusieurs des défis actuels liés aux rapports entre l’industrie pharmaceutique, les autres secteurs du système de santé, notamment les professionnels et académiques, et la santé des personnes. On peut rappeler à ce propos le fait singulier, et problématique, que dans la plupart des pays occidentaux cette industrie, privée et à but lucratif, est le seul grand partenaire du domaine de la santé où il n’y a pas de représentant de l’intérêt général/public dans les instances qui déterminent les stratégies et prennent les décisions d’investir – ou pas. Précisons que d’autres secteurs – établissements sanitaires par exemple – incluent des éléments à but lucratif mais ces derniers restent minoritaires et les pouvoirs publics y jouent un rôle important [1].
Le disease mongering (ou invention de maladies avec colportage des prétendues raisons de juger les gens malades et de leur prescrire des médicaments [2] est l’objet d’analyses et de fortes prises de position sur le plan éthique depuis une vingtaine d’années. On se souvient en particulier de l’article de Marcia Angell sur la vénalité dans la médecine universitaire [3]. Des mesures correctrices et préventives ont été prises mais tout n’est certainement pas résolu.
La promotion des médicaments : massive et coûteuse
Dans la première partie de son ouvrage, La Rosa discute ainsi la « création corporative de la maladie » et donne des exemples de redéfinition des affections ou facteurs de risques, promouvant l’augmentation des prescriptions médicamenteuses. Il relaie le Nuffield Council on Bioethics britannique qui dénonce par exemple « l’étiquetage diagnostique inutile voire nuisible pour le patient ». L’auteur décortique la question délicate de l’élaboration et de l’adoption de recommandations de bonne pratique qui peuvent conduire à des gains majeurs pour l’industrie par l’élargissement du marché du médicament. Les épopées très lucratives de la dysfonction érectile, et maintenant de la dysfonction sexuelle féminine, sont de notoriété publique. L’auteur note pertinemment que cette promotion des médicaments passe même, et entre autres, par les associations de malades, soutenues par les firmes.
Dans la deuxième partie de son ouvrage, il décrit les mécanismes à l’œuvre dans la recherche, la mise sur le marché et le commerce des médicaments. Selon une source officielle, l’industrie consacre en France une somme de 25’000 euros par an et par médecin à la publicité et à l’activité des visiteurs médicaux ! L’auteur analyse l’évolution de plusieurs groupes de médicaments (hypolipémiants, psychotropes, antidépresseurs et anxiolytiques, en particulier) ainsi que les histoires instructives du rofécoxib (Vioxx R) et du benfluorex (Mediator R). Et il ne se montre guère optimiste : « Malgré ces difficultés, tout semble indiquer que l’industrie continuera dans la même voie, surtout dans les pays en développement. Le pouvoir et la surdité vont visiblement de pair ».
Démocratie sanitaire et conflits d’intérêts
La dernière partie traite d’abord de démocratie sanitaire, expression introduite et débattue en France à l’occasion de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades (dite Loi Kouchner). Puis elle aborde les règles liées à la bioéthique, mentionnant notamment la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme adoptée en 2005 par l’UNESCO, instrument international de valeur. La Rosa consacre utilement une vingtaine de pages aux conflits d’intérêts – question très actuelle à juste titre, à laquelle la corporation médicale a mis du temps à être adéquatement sensibilisée.
En résumé, une publication très pertinente qui réussit à présenter, sous une forme concise et agréable à lire, une information essentielle. Qui montre l’importance de la transparence dans un domaine où, si on a le droit d’y gagner de l’argent, d’importants défis éthiques (y compris d’éthique sociale) sont lancés à l’industrie. Est-il encore acceptable qu’y règne le principe que des efforts de recherche sont développés pour l’essentiel seulement là où il y a un marché solvable ? Alors que sont mis sur le marché de nombreux médicaments « me-too » (à savoir : moi aussi j’en propose un de plus) pour des affections largement couvertes par ce qui est déjà disponible, de grands fléaux infectieux (paludisme et tuberculose spécialement) restent, par le peu d’attractivité du marché potentiel, sans moyens de lutte ou prévention suffisamment efficaces et accessibles. L’OMS et d’autres déploient à cet égard des efforts qu’on peut saluer et l’industrie dit vouloir faire sa part, mais les progrès ne sont guère rapides. Autant de raisons de recommander la lecture du livre du Dr La Rosa.
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