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Journée d’étude «Décrire, documenter, explorer. Des ethnométhodes aux ethnographies pratiques»

lundi 05.06.23
  • Date : 05 juin 2023 08h45 - 06 juin 2023 17h10
  • Lieu : Lausanne, UNIL, Geopolis
  • Coût : Entrée libre, sans inscription

Chacun·e est susceptible de conduire des enquêtes visant à rendre compte tant d’expériences en propre que du monde social dans lequel l’on est plongé. Deux journées d’étude interrogent les « enquêtes pratiques » que divers acteurs et actrices sociales mènent au quotidien.

journee decrire documenter explorer hetsl 2023 400© DepositphotosAppréhender l’interaction comme le principe transcendantal de l’organisation du monde social, c’est le programme que se donnent une variété de sociologies qui convoquent une filiation avec le pragmatisme, dont se sont inspirés les fondateurs de l’École de Chicago, et dans une (dis) continuité menant de Weber à Garfinkel ou Goffman en passant par Schütz, Simmel ou Merleau-Ponty.

Ces approches ont pour point commun de considérer la vie quotidienne ou le « monde vécu » (Lebenswelt) comme un milieu écologique où, dans la dynamique des rapports intersubjectifs, s’éprouve le caractère incarné de l’expérience et se manifeste la dimension publique des significations communes, se coordonnent les activités et se constituent les identités, les relations sociales, les institutions et les collectifs.

Ces sociologies, ancrées dans un « empirisme radical », accordent une primauté à la praxis, ce qui les conduit à nouer un compagnonnage étroit avec la démarche ethnographique. Leur lien à cette forme d’enquête se révèle quasi organique : il a trait au rapport particulier que cette méthode de description du réel, qui transite par l’observation en situation naturelle, entretient avec le monde vécu. Loin de forcer les phénomènes à se plier à des catégories analytiques intrinsèques à sa méthode, et donc à des concepts formulés a priori, coupés des réalités quotidiennes, l’ethnographie, en tant qu’« effort intellectuel », se donne au contraire pour méthode de s’adapter aux phénomènes.

Ces journées d’étude réunissent des chercheuses et des chercheurs qui interrogent la façon dont leurs pratiques de l’ethnographie, et les savoirs ainsi élaborés, s’intriquent dans les enquêtes auxquelles les acteurs sociaux se livrent dans l’exercice de leurs pratiques professionnelles ou expertes. Elles ont pourobjectif de mettre en évidence, depuis le pragmatisme, l’ethnométhodologie, l’analyse de conversation, la phénoménologie ou les sociologies pragmatiques (STS, sociologie de l’épreuve, etc.), les formes et les modalités, notamment sensibles, de la connaissance que ces enquêtes mondaines engagent et façonnent.

Beaucoup d’attention a été accordée aux conditions que l’ethnographie devait remplir pour opérer comme une méthode systématique et rigoureuse d’analyse du monde social — et cela par le recours à l’écriture. Chercheuses et chercheurs se sont en particulier interrogés sur leur rapport pratique et épistémique à l’ethnographie, l’enjeu étant de cerner et de préciser comment, dans l’exercice du métier, rester fidèles aux phénomènes sociaux. Dans la mesure où la sociologie est une forme de connaissance scientifique, une telle préoccupation est importante, mais encourt le risque de développer une vision partielle de l’enquête ethnographique, au sein de laquelle est privilégié le seul point de vue du ou de la sociologue. Or, dans le monde social, il arrive aussi que les acteurs mènent, dans la conduite de leurs affaires ordinaires et à toutes fins pratiques, des enquêtes susceptibles de revêtir un caractère ethnographique, et visant à rendre compte tant de leurs expériences que du monde social dans lequel ils sont plongés.

C’est le cas de L’étranger d’Alfred Schütz, mais aussi d’Agnès, dont le passing de genre a été minutieusement analysé par Harold Garfinkel, ou encore de K, dont la maladie mentale a été factualisée, comme l’a montré Dorothy Smith, par les récits de ses ami·e·s. Emblématiques de la façon dont les ethnométhodes opèrent, ces trois cas montrent que l’observation, mais aussi l’interprétation et la description, ne sont pas exclusives aux savoir-faire des sociologues professionnels : ces micro-pratiques font partie d’un savoir procédural partagé par quiconque.

Ces pratiques de description, de documentation mais aussi d’exploration du monde, les acteurs sociaux les maîtrisent en raison de leur participation à une société dont ils connaissent les us et coutumes ; ils les mobilisent au quotidien pour donner du sens aux situations et réaliser diverses opérations. Largement tacites, opérant à l’arrière-plan des conduites, ces pratiques se donnent particulièrement à voir quand agir et se coordonner avec autrui commandent des formes de réflexivité particulières. C’est le cas quand le rapport aux choses, aux personnes et aux circonstances a perdu le caractère familier de l’allant de soi, ou quand le trouble s’insinue dans une situation problématique. De même lorsque les activités menées, dans le cadre professionnel par exemple, requièrent une attention particulière, ou une expertise spécifique dans l’usage de technologies de toutes sortes, allant de technologies de visualisation à des techniques du corps, voire des compétences sensibles peu communes (couvrant le spectre du toucher, du goût, de la vue, de l’ouïe ou de l’odorat), ou encore une maîtrise particulière et de « première main » de l’environnement dans lequel l’on est immergé.

Ces pratiques de description, de documentation et d’exploration, et plus largement les ethnographies pratiques conduites par les acteurs sociaux qui peuplent nos recherches, sont au cœur de ces deux journées d’étude. Nous nous proposons de les aborder à partir d’un espace de problématisation circonscrit par un ensemble ouvert de questions. Quelles formes prennent les connaissances confectionnées par les acteurs sociaux au cours de leurs enquêtes mondaines ? Si, à première vue, des formes de connaissance sensibles ou incorporées devraient prédominer, ces dernières sont-elles les seules à entrer en jeu ? Et comment ces modalités sensibles du connaître s’intègrent-elles à des modalités plus discursives d’appréhension et de description du réel, via des comptes rendus narratifs par exemple ? Comment, par ailleurs, qualifier ce type d’enquêtes mondaines, qui s’effectuent à toutes fins pratiques ? S’il semble juste d’y voir des enquêtes situées, souligner leur caractère local rend-il justice à la pluralité des façons dont elles se rapportent au réel ? Ou encore, et pour autant que les acteurs font face à des problèmes pratiques, comment s’arrangent-ils pour les transformer en « problèmes solubles » ? Enfin, quelle place est-elle laissée à l’interprétation, voire à la délibération ?

Symétriser l’enquête ethnographique, comme nous nous le proposons, n’est pas sans conséquences sur la description sociologique. C’est pourquoi il s’agira aussi de se pencher sur les respécifications de la description sociologique auxquelles cette symétrisation donne lieu. Au-delà de l’enquête coopérative, qui demeure une modalité possible de la pratique ethnographique, les formats discursifs dont dispose la sociologie sont-ils tous à même de décrire les opérations qui s’effectuent sous l’égide des ethnométhodes ou de la variété des pratiques ordinaires de description, de documentation et d’exploration ? Et si tel n’était pas le cas, quels seraient les formats les plus propices à la mise au jour et à la cartographie de la diversité des connaissances produites par les acteurs sociaux ?

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