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Il n’y a pas de mort naturelle. Etat des lieux sur le suicide assisté
Claude Schwab et al., Editions Mon Village, Sainte-Croix, 2010, 264 pages.
Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Parmi les éclairages variés et de styles différents de ce livre, je choisis, subjectivement, quelques extraits des auteurs théologiens. Ainsi, Claude Schwab, le pasteur, titre « Nous me suicidons », pensant à la problématique de la personne dans la société. « Toute réflexion sur le suicide assisté ne peut échapper aux questions fondamentales : l’être humain, entité autonome ou partie d’un tout ? Entre l’affirmation claironnée d’une autonomie sans bornes et le dogme d’un droit imposé par la société, il y a un chemin à trouver ; [notamment] en actualisant le personnalisme, inspiré par Kant et Péguy. A l’individu, il oppose la personne, qui se sait reliée à une communauté (…) L’être humain est relationnel ou il n’est pas. »
Faisant référence à certaines assistances à la survie : « Quand on met fin à une vie, est-ce à cette vie individuelle ou à la prothèse de cette vie ? On a renoncé à l’absurdité de l’acharnement thérapeutique mais il restera toujours des situations-limites où la question se pose dans la douleur et la perplexité ». Pratiquement, relevant les analogies entre plusieurs interrogations éthiques : « Sur l’avortement, les Eglises protestantes ont adopté une position d’équilibre entre la banalisation et l’interdiction. Elles ont plaidé pour une ‘décision responsable’, elles acceptent d’entrer sur le terrain du moindre mal, se méfiant des absolus et du piège des idéaux de perfection ». Plus loin : « Le débat est ouvert mais il y a un argument contre le suicide assisté qui est irrecevable : celui de la souffrance rédemptrice ».
Le prêtre Philippe Baud évoque une vraie difficulté : « Personne ne peut réellement traiter de la mort qu’il n’a pas connue ; de la souffrance, oui. » Il pose la question, à toujours garder à l’esprit, de possibles pressions sociétales : « Une société qui commerce le ‘jeunisme’ s’accommode mal de la maladie et du déclin. La rapide disparition des rites funéraires en témoigne. Dans un tel contexte, demander à s’en aller pour échapper à la dépendance est vite salué comme un acte de courage ; si l’on n’y prête garde, cela deviendrait bientôt un devoir moral (…) L’argumentaire pointera la perte des capacités psychiques et corporelles, l’humiliante dépendance et l’inutilité de la souffrance. Autant le dire que toutes les souffrances seraient stériles. [Pourtant] la sagesse populaire ne marche pas unanimement dans cette direction, celle des soignants non plus. La souffrance ne fait pas que détruire. » Le lecteur intéressé approfondira ce point sur lequel les deux personnalités sont en désaccord, ou semblent l’être.
Philippe Baud ajoute : « Mais il y a des souffrances qui sont telles que l’on ne peut plus rien désirer d’autre que de mourir : l’envie de ‘n’être plus’ existe (…) Au corps médical, au personnel accompagnant, revient la tâche délicate et difficile de faire tout le possible pour que ce désir intense d’un ‘ailleurs’ n’engloutisse pas le malade ». Et il précise : « Qui, dans nos maisons de long séjour, rappelle aux pensionnaires cette voie où puiser un peu de courage pour avancer jusqu’au bout de cette vie ? [Par exemple] l’aide-soignante marocaine qui se retourne et glisse brièvement, avec un sourire, ‘ Je prierai pour vous’ ».
« Mourir dans la dignité, c’est demander de renoncer à vouloir prolonger artificiellement une vie qui s’en va. [Quid de] la grossissante cohorte de ceux qui, les yeux encore grand ouverts mais de plus en plus hagards vont comme perdus dans le brouillard. Ils ont connu le sentiment accablant d’être à charge, et la perte d’estime de soi. Bientôt sans force, sans mots, ils trébuchent, errent, à la dérive ». Les défis liés aux états démentiels ne sauraient être abordés par le suicide assisté (la loi interdit de telles directives anticipées), mais ils sont présents à l’esprit de beaucoup.
A l’évidence, nous n’avons pas fini de parler de la légitimité – ou non, et dans quelle mesure – humaine, éthique, juridique, culturelle, médico-soignante, de l’assistance au suicide.
Cet ouvrage est signé par un collectif de sept personnes : Claude Schwab, théologien ; Jean Martin, ancien médecin cantonal ; Philippe Vuillemin, médecin généraliste ; Philippe Baud, théologien ; Christian Danthe, médecin généraliste ; Christine Maquin-Gleiyse, direction d’EMS ; Filip Uffer, Pro Senectute. Avec plusieurs témoignages de proches ayant été impliqués dans un suicide assisté : Geneviève Heller, Stéphane Lévy, Pascale Lévy-Dalain, Marie-Claude Stricker-Juillard, Sophie Mermod-Gilliéron.