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Dialogue entre les générations
Interview parue dans la REVUE de la Société suisse d’utilité publique N°3, Mai-Juin 2011
Depuis plus de dix ans, Volker Amrhein encourage le dialogue entre les générations en Allemagne. Quelle est son analyse de la situation en Suisse ? Monika Blau et Natascha Wey l’ont interviewé pour la revue de la SSUP.
C’est avant l’an 2000 déjà que le Ministère fédéral allemand pour la famille, les seniors, les femmes et la jeunesse a décidé de créer le Réseau des générations. Il a confié cette mission à Volker Amrhein qui, depuis lors, parcourt le pays et organise des journées, des rencontres, des centres de compétences autour de cette thématique. Peu à peu, des équipes mobiles ont été mises en place et chargées de diffuser des informations et conseils sur la levée de fonds et le travail en réseau. Des groupes régionaux ont vu le jour dans les Länder et coopèrent sur des thèmes communs. Par exemple : écologie, activités d’utilité publique, gestion des conflits, participation des jeunes à la vie communale, théâtre plurigénérationnel, cirque, etc. Entretien.
Quelles différences avez-vous repérées entre la Suisse et l’Allemagne dans la promotion du dialogue entre les générations ?
Volker Amrhein : En ce qui concerne les activités intergénérationnelles, la Suisse a toujours été pionnière. En 1999, les fondations Pro Juventute et Pro Senectute ont édité un manuel intitulé « GénérAktion ». Celui-ci a constitué le premier ouvrage de référence pour la dimension européenne du dialogue entre les générations, soulevant l’idée d’un travail en réseau au-delà des frontières nationales et ouvrant la voie à une coopération internationale dans le domaine. Les collègues de l’église protestante « Eglises réformées Berne-Jura-Soleure » ont compris très tôt l’importance des mesures intergénérationnelles pour le développement de leurs communautés et des villages. Nous devons beaucoup à une visite commune auprès des villages « Generationendörfer » dans la région de Salzburg, à laquelle ils nous ont conviés. A Lausanne, l’Institut Universitaire Âges et Générations a été pionnière dans la formation continue, mettant au point un cursus en emploi, qui en 3 modules aborde 10 sujets en rapport avec l’intergénérationnel et pour lequel elle délivre un certificat.
Actuellement, c’est la « Generationenakademie » de la Fédération des coopératives MIGROS qui fournit de nouvelles impulsions au développement de projets intergénérationnels dans le contexte communal.
L’esprit fondateur des Suisses est donc toujours actif. Face au changement démographique, les communes se centrent souvent sur les possibles économies et ferment les yeux sur les facteurs « doux », notamment l’identification et l’ambiance, pourtant essentiels, pour les liens que les personnes tissent avec leur village, leur commune, leur quartier et leurs voisins. L’engagement bénévole est autre chose qu’une échappatoire dans l’hypothèse où la planification municipale tournerait court. Au contraire : lorsque de nouvelles formes de participation sont tentées (parfois très à contrecœur par des personnes concernées qui sont obligées de renoncer à des comportements conventionnels) et que des expériences nouvelles ont la chance d’être vécues, les problèmes apparaissent sous un autre jour. En d’autres termes : les processus destinés à réduire les effectifs ou les coûts peuvent se révéler des accélérateurs de modernisation.
En Allemagne, les programmes fédéraux ont toujours occupé une place importante. Leur important coût financier est plus difficile à gérer pour un petit pays comme la Suisse. D’autant que la continuité de ces programmes est souvent mise en question lorsque les sources tarissent après plusieurs années d’efforts financiers pour lancer les projets. La politique de promotion de l’avenir devra probablement renforcer l’auto-organisation.
Du côté de l’accompagnement scientifique de ces programmes, les chercheurs allemands se préoccupent principalement des effets intéressants pour le promoteur (et légitimant les moyens que celui-ci a mis en œuvre). En Suisse, cet accompagnement me semble – pour autant que je puisse en juger – davantage orienté sur les fondements conceptuels et soulever des questions stratégiques. Il s’intéresse avant tout au terrain. Ainsi, le professeur Kurt Lüscher et son « Académie suisse des sciences humaines et sociales ASSH » a initié des manifestations qui, sous cette même forme, sont encore rarissimes en Allemagne.
Fait surprenant en Allemagne : à l’époque du lancement de la campagne pour l’amélioration du dialogue entre les générations, une sorte de co-évolution a pu être constatée – le développement synchrone des offres fédérales et de très nombreuses initiatives écloses en parallèle. Celles-ci semblaient avoir dormi là, en attente de quelqu’un qui vienne découvrir leur potentiel. L’explosion sidérante des projets – ils sont passés en un rien de temps de 150 à 1000 – ne peut s’expliquer autrement. Le temps était venu pour le dialogue des générations.
D’ailleurs, il est peut-être plus facile d’en parler aujourd’hui parce que des événements sont intervenus qui démontrent clairement que l’action des générations actuelles peut avoir des conséquences dramatiques pour les générations futures. Prenons par exemple l’abandon de la filière nucléaire pour la production d’électricité et la lutte contre le changement climatique : il s’agit de projets intergénérationnels.
Quelles sont les mauvaises pistes que les acteurs suisses devraient éviter et quels enseignements peuvent-ils tirer des expériences faites en Allemagne, au Royaume-Uni ou ailleurs ?
Je déconseillerais les programmes trop ambitieux ou « prometteurs ». Les projets doivent présenter un lien avec des situations professionnelles pratiques (l’idée du coach citoyen par exemple). Les bénévoles doivent dès le début être considérés comme des partenaires égaux par les associations, les entreprises, les communes et les ministères. La manière de parler aux acteurs est primordiale. Il convient de les considérer (et il devrait se considérer eux-mêmes) comme des explorateurs et exploratrices d’une terre nouvelle. Découvrir cette terra incognita requiert une grande sensibilité et une extrême attention.
Quelles sont pour vous les mesures les plus efficaces pour promouvoir le dialogue entre les générations ?
Ce sont tous les projets qui ont une influence sur les manières de percevoir les choses et qui nous préparent au changement. Le fait d’entretenir des relations intergénérationnelles autres que familiales ouvre des options et permet d’élargir le projet de vie individuel et communautaire. Ces relations lancent des défis aux personnes impliquées et développent leur esprit communautaire.
Les moyens mis en œuvre pour renforcer les réseaux communaux sont donc un investissement utile, tout comme les ateliers de discussion, les coachs citoyens ou les services favorisant l’engagement civique. L’éclosion de projets individuels (parrainage, démence, mentoring, cohabitation accompagnée) est alors facilitée.
Dans quels domaines voyez-vous des possibilités de coopération intéressantes avec des acteurs suisses ?
Dans le domaine de l’implantation communale des projets et au niveau de la qualification des acteurs. En Allemagne, l’intégration colporte trop souvent une image négative. Nous sommes trop centrés sur nous-mêmes (prenez le terme de « deutsche Leitkultur » (culture de référence allemande). Nous luttons contre des peurs, attisées par les populistes (pensez à la phrase « Deutschland schafft sich ab » (L’Allemagne s’abolit.). Il me semble que la Suisse a une longueur d’avance sur nous du fait de ses traditions liées à sa géographie et à sa pluriculturalité.
Les formes de participation de la jeunesse, nées des programmes d’encouragement destinés aux enfants et aux adolescents , offriraient également une bonne base pour une coopération fructueuse entre les deux pays.
Dans le contexte intergénérationnel, quel est le mythe que vous souhaiteriez voir éradiquer rapidement ?
Sans hésiter : le mythe de la guerre entre les générations. A ce sujet, j’aimerais rappeler un proverbe tibétain cité par Hans Peter Dürr : « L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». En dépit de ce qu’affirment certains médias, cette guerre est totalement dépassée et la tendance est au contraire aux initiatives communes.
Trop souvent pourtant, nous perdons de vue les conséquences qu’auront nos actes pour les générations futures. Au lieu d’adapter nos comportements et de changer nos modes de vie, nos yeux sont rivés sur les « contraintes insurmontables », tels les yeux du lapin sur le serpent. Fukushima a fait bouger les choses. A croire que l’humanité a besoin de catastrophes avant de réagir au fond.
Les enfants, eux, le savent : il est possible de faire mieux tout de suite. On n’est pas obligé d’attendre le lendemain. Je me souviens ici du slogan d’une élève ayant participé à une action au lac de Starnberg : « Stop talking, start planting. »