Renforcer la cohésion sociale au jardin
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© Mathilde Imesch
Pour encourager les habitant·es d’un quartier à créer des liens, un projet lausannois a transformé des espaces urbains en potagers communautaires et proposé différents ateliers aux participant·es. Une réussite destinée à être répliquée.
Par Aziz Orfia, chef de projet coordination de quartier, Ville de Lausanne
Une densité de population élevée, une desserte insuffisante en transports publics et un accès limité aux espaces verts : le contexte particulier du quartier de Bois-de-Vaux, à Lausanne, peut générer une forme d’isolement pour les résidentes et résidents, limitant leur accès à une offre variée de services et les possibilités de contribuer de manière active à la vie de quartier. Ainsi, sur la base d’une analyse sociologique et urbanistique menée par la Ville, ce lieu a été identifié comme un quartier doté de caractéristiques particulières, traversé par des enjeux de cohésion sociale et de santé publique.
Le projet « Graine Solidaire » a été élaboré afin de répondre à ces défis en transformant des espaces urbains non utilisés en jardins collectifs. Il promeut des pratiques durables en développant une agriculture urbaine où il devient possible de cultiver ses propres légumes tout en renouant des liens sociaux, renforçant la collaboration et nourrissant ainsi le sentiment d’appartenance. Pour mener à bien ce projet, les responsables bénéficient non seulement de l’accompagnement de la Ville de Lausanne et du soutien du Canton de Vaud, mais également de l’expertise de spécialistes en jardinage.
Consultations participatives et ateliers thématiques
Grâce à une série de consultations durant lesquelles tout le monde a pu exprimer ses besoins, ses attentes ainsi que ses préférences, les habitantes et habitants du quartier ont été placés d’emblée au centre du processus de conception et de mise en œuvre de « Graine solidaire ». Les responsables du projet ont pris le soin d’apporter des explications détaillées sur chaque option disponible, afin que chacun·e puisse faire des choix éclairés. De plus, des séances ont été organisées avec un service de garde d’enfants, pour que toutes et tous puissent participer pleinement, sans contrainte familiale.
Ces choix portaient notamment sur les lieux où pouvaient se dérouler les ateliers, les périodes, les jours et horaires les plus adaptés à leur rythme, ainsi que les thématiques jugées les plus utiles. De plus, les participant·es ont pu décider du mode de communication privilégié pour recevoir les informations (affichage, courriel ou messagerie), afin d’assurer une diffusion efficace et accessible à toutes et tous.
Plus de quinze ateliers gratuits et sans inscription préalable ont été proposés à toutes les personnes du quartier intéressées, garantissant ainsi une grande liberté de participation. Cette approche inclusive a apporté des dynamiques variées et des énergies nouvelles à chaque session, favorisant un apprentissage collaboratif et un partage d’expériences enrichissant. Cette flexibilité a permis à tout le monde de s’engager selon ses disponibilités et ses intérêts, renforçant par conséquent l’adhésion spontanée au projet.
Ces ateliers, axés sur les thématiques du jardinage et de la nutrition, ont été adaptés à différents niveaux de connaissances, afin que chaque personne puisse se sentir à l’aise. Par exemple, pour le volet « jardinage », plusieurs thématiques étaient proposées : « Protégez votre jardin », qui traitait de la prévention des maladies et des ravageurs, ou encore « Fertilisation & gestes de base », qui expliquait comment entretenir un potager avec des techniques simples. Pour les plus avancé·es, « Optimisez votre potager » proposait des conseils sur la taille, le tuteurage et la gestion des adventices. Du côté des ateliers dévolus à l’alimentation, des sessions comme « Repas vite fait » ont permis d’apprendre à préparer des repas sains et rapides à base de produits cultivés localement, renforçant ainsi le lien entre le jardinage et la nutrition. Plutôt que de se limiter à des cours théoriques, ces sessions incluaient également des exercices pratiques, afin que les personnes présentes puissent constater les résultats concrets de leur travail.
Un autre aspect central a été de laisser aux personnes du quartier le choix du mode de gestion — collectif ou individuel — des jardins. Dans la gestion individuelle, chaque personne cultive et récolte ses propres légumes, tandis que la gestion collective implique un partage équitable du travail et des récoltes. Le modèle collectif a été privilégié, favorisant ainsi les valeurs de solidarité et de coopération. De plus, la proximité entre le potager et le Patio, un bâtiment abritant des logements à des personnes de condition modeste, a ajouté une dimension sociale significative au projet. En participant aux activités de jardinage et en partageant les récoltes, ils et elles ont pu s’intégrer pleinement dans la dynamique locale, devenant des membres actif·ves et engagé·es dans la vie du quartier. « Graine Solidaire » a, de ce fait, offert à ses habitantes et habitants l’occasion de tisser des liens avec les autres membres du quartier, rompant ainsi l’isolement souvent ressenti.
Défi : maintenir l’engagement collectif
La mise en œuvre de « Graine Solidaire » ne s’est pas déroulée sans difficultés. Il n’est en effet pas aisé de mobiliser et de maintenir l’engagement collectif des habitant·es d’un quartier comme celui de Bois-de-Vaux, aux origines et caractéristiques socio-économiques très variées. Pour certaines personnes, les préoccupations économiques peuvent prendre le pas sur les activités collectives. Comme le démontre l’étude Social Cohesion and Well-being in Europe menée par Eurofound (2018), les personnes à faibles revenus, sont souvent moins impliquées dans les activités sociales et de quartier. Cela s’explique essentiellement par des contraintes financières et de temps qui les poussent à prioriser des besoins plus immédiats, tels que le travail et la gestion des finances personnelles.
© Mathilde Imesch
Pour surmonter ces écueils, deux axes ont été privilégiés. D’abord, le choix d’un outil de communication adapté s’est révélé essentiel. L’utilisation de WhatsApp en particulier, bien intégrée dans le quotidien des personnes et facile d’utilisation, a joué un rôle central. Cet outil numérique offre l’avantage d’être gratuit, disponible sur la plupart des téléphones et ne nécessite pas de compétences techniques particulières. Il donne également accès à une communication instantanée et flexible, facilitant l’organisation des rencontres et le partage d’informations en temps réel. Aisée, la diffusion de contenus visuels ou audio s’est aussi révélée un facteur crucial pour maintenir l’engagement des participantes et participants. De plus, l’utilisation de ce service a contribué à éviter les coûts supplémentaires liés à l’impression ou à la distribution de documents physiques, allégeant ainsi les charges organisationnelles tout en garantissant que l’information atteigne rapidement et efficacement toutes les parties prenantes.
En parallèle, l’association de quartier « La Communauté du Bois-de-Vaux » (LAC), créée dans ce cadre, a joué un rôle structurant dans la réussite du projet. En prenant en main l’organisation des activités, elle a non seulement facilité la transition vers une gestion autonome des activités, mais elle a aussi renforcé le lien social entre les habitantes et habitants. Cela a permis à la Ville de Lausanne de se retirer progressivement du projet, tout en assurant la continuité des actions engagées. Grâce à cette approche, les activités ont pu perdurer de manière durable, en s’appuyant sur des outils simples et sur une organisation communautaire bien ancrée.
Une clé : la communication de proximité
Le projet a été préparé à partir de novembre 2022, avec un lancement de la communication en février 2023. Les premières plantations se sont déroulées en mai 2023, et des récoltes ont suivi tout au long de l’année. La Ville de Lausanne y a consacré un taux d’activité de 20% annualisé sur une période d’une année, fournissant un encadrement pour les aspects organisationnels et opérationnels. Ce soutien inclut également l’accompagnement de la création de l’association « La Communauté du Bois-de-Vaux », avec des statuts préétablis, une aide à l’organisation de l’assemblée générale constitutive, et une explication du rôle de chaque membre du comité.
L’impact du projet sur le quartier du Bois-de-Vaux a été mesuré à travers des questionnaires administrés avant et après la mise en place des jardins. Le groupe WhatsApp regroupe désormais plus de 24 membres, dont plus de la moitié est activement impliquée dans la gestion du potager et de l’association. Une dizaine de personnes ont répondu aux questionnaires, fournissant des retours précieux sur leur expérience.
Les résultats montrent que la plupart n’avaient pas de pratique de jardinage avant de rejoindre « Graine Solidaire ». Avant son lancement, l’intérêt pour les fruits et légumes variait parmi les participantes et participants, mais une tendance générale vers une appréciation moyenne à élevée a été observée. En ce qui concerne les interactions sociales, beaucoup déclaraient parler avec leurs voisines et voisins moins d’une fois par semaine avant de commencer le jardinage. Grâce au projet, ces interactions sont devenues plus fréquentes, contribuant à renforcer les liens sociaux et à créer un environnement plus inclusif.
Fort de son succès, « Graine Solidaire » a le potentiel de devenir un modèle pour d’autres quartiers ou communes cherchant à améliorer la cohésion sociale et à promouvoir la durabilité. Pour assurer la réplicabilité de ce modèle, il est recommandé de renforcer la communication de proximité, de diversifier les canaux d’information, et de maintenir l’engagement de la population à travers des formations continues en jardinage durable. La création d’associations de quartier pour la gestion des jardins est également un élément clé dans l’objectif de garantir la pérennité de ce type de projet.
« Graine Solidaire » illustre l’importance des initiatives de quartier pour renforcer le lien social et promouvoir des modes de vie sains et durables. Ce projet, bien qu’ancré localement, peut servir de modèle à d’autres collectivités qui cherchent à adopter des approches inclusives et durables pour relever les défis contemporains. Pour les soutenir, un petit guide pratique a finalement été élaboré.
Catalyseur social
Aujourd’hui, Graine Solidaire est entièrement géré par l’association La Communauté du Bois-de-Vaux. La Ville de Lausanne et les spécialistes du jardinage se sont progressivement retiré·es, laissant place à une gestion autonome du potager et des activités associées. Cette transition marque un véritable succès : les habitantes et habitants ont su s’approprier l’espace et l’organiser selon leurs besoins.
Ce jardin a trouvé une place centrale dans la vie du quartier. Bien que des dynamiques évoluent naturellement avec le départ de certain·es membres, les nouvelles arrivées et la curiosité des passant·es contribuent à renouveler l’intérêt et l’engagement des riverain·es. Le potager, au-delà de sa fonction première, est devenu un véritable catalyseur social, un lieu de rencontres et d’échanges. Même lorsque la saison de culture s’achève et que le jardin entre en dormance, les membres de l’association continuent de se retrouver, témoignant du lien fort qui s’est créé autour du projet.
Après une première année d’autonomie réussie, sans aucun appui extérieur, Graine Solidaire démontre qu’un modèle participatif peut perdurer dans le temps, porté par la motivation et l’attachement des habitantes et habitants à leur cadre de vie. Cette réussite ouvre des perspectives intéressantes pour d’autres quartiers lausannois ou communes qui souhaiteraient s’inspirer de cette initiative pour renforcer la cohésion sociale et l’appropriation des espaces publics par les habitantes et habitants eux-mêmes.
Références bibliographiques
- Eurofound (2018). Social Cohesion and Well-being in Europe. Luxembourg: Publications Office of the European Union.
Lire également :
- Magali Donzel, «Écologie et lien social, étape vers la réinsertion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 11 mars 2024
- Marie Lequet et Marion Repetti, «Nourrir durablement, un projet pilote à Sion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 6 novembre 2023
- Sonia El Rhazi et Claire Attinger, «Pour allier éducation alimentaire et mixité sociale», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 30 mars 2020
Cet article appartient au dossier Solidarité et lien social
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Aziz Orfia, «Renforcer la cohésion sociale au jardin», REISO, Revue d'information sociale, publié le 17 février 2025, https://www.reiso.org/document/13742