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Recension du livre «Le juge et le psychiatre»

Lundi 22.01.2018
  • De Jean Fonjallaz et Jacques Gasser
  • Editions Médecine et Hygiène, Chêne-Bourg/Genève, et Stämpfli Editions SA, Berne, 2017, 223 pages.

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien


Juge psychiatreJean Fonjallaz est docteur en droit et juge fédéral. Jacques Gasser est professeur à la Faculté de médecine de Lausanne et directeur du Département de psychiatrie du CHUV. Leur livre répond à des manques persistants dans la formation des professionnels impliqués, du domaine juridique (procureurs, juges, avocats) et du domaine médical, deux champs professionnels qui se connaissent trop peu. Leur ouvrage clair et bien structuré apporte une foule d’informations et est utilement complété par une bibliographie choisie, le texte des normes légales concernées et un exemple-type de questionnaire auquel la justice pénale souhaite qu’un expert réponde.

L'irresponsabilité et la gestion du risque

« Les plus anciennes législations considéraient la folie comme un motif d’exemption de punition […] On estimait que l’on ne pouvait pas imputer une faute à quelqu’un dont l’esprit est aliéné et il en allait de même pour l’enfant, l’animal ou la tuile qui tombe d’un toit. » Les choses ont changé et les questions de responsabilité (entière, restreinte ou nulle) se sont complexifiées, avec l’élaboration et la diversification des codes pénaux. Evolution influencée aussi par l’accent croissant mis sur le respect des droits humains.

« En une quinzaine d’années, la justice pénale - du moins le législateur - est passé d’une logique de punition et de réinsertion sociale à un modèle de gestion du risque mettant au centre la protection de la société.» L’intérêt des milieux professionnels, politiques et médiatiques s’est déplacé de la problématique de la responsabilité à celle du risque de récidive, avec une intensification des réflexions sur la dangerosité.

Ce changement « est à la racine des difficultés des experts psychiatres qui doivent se prononcer non seulement sur ce qu’ils savent faire (diagnostiquer, proposer des thérapeutiques, apprécier la responsabilité), mais également sur des aspects beaucoup plus flous et éloignés de leurs préoccupations habituelles, qui sont ceux relevant de la sécurité publique. » Il n’en reste pas moins que la maîtrise de la sécurité constitue une préoccupation forte, en particulier celle de savoir quels sont les risques acceptables – si l’on admet que le risque zéro n’est pas réalisable.

La thérapie et l’expertise

« En premier lieu, l’expertisé doit être averti que le médecin n’est pas dans son rôle habituel de thérapeute mais qu’il agit sur mandat d’une autorité judiciaire à laquelle il devrait communiquer tous les éléments nécessaires, et qu’il n’est donc pas soumis au secret médical dans cette fonction. » Et l’ouvrage d’insister sur la nécessité de procéder à une expertise à deux. Elle permet de « travailler les éventuels désaccords, non pas pour les gommer, mais pour les expliciter et trouver la meilleure solution. » Autre précision importante : « Dans le cas où la façon dont les fait sont survenus jouerait un rôle quant aux réponses à donner, l’expert doit prendre en compte séparément les diverses possibilités. Ce n’est pas à lui de choisir la ‘meilleure’ version. Il peut ainsi être amené à donner deux versions de ses conclusions en fonction des ‘réalités’ différentes décrites par l’accusation et le prévenu. »

Présentée dans le rapport psychiatrique, la partie «discussion» est la plus importante de l’expertise. « Elle représente l’interface entre le monde médical et le monde juridique. C’est là qu’il s’agit de chercher s’il existe un lien de causalité entre les éléments cliniques observés et les actes reprochés à l‘expertisé, ce qui revient à mettre en évidence un éventuel déterminisme pathologique. L’expert doit transposer ses observations en langage compréhensible pour les non-spécialistes. »

Le libre arbitre et le déterminisme

« Le droit pénal est fondé sur la conception que chacun est en principe libre d’agir. C’est le libre arbitre, la conscience et la volonté sont présumées […] En revanche la psychiatrie a observé que le comportement d’un individu est conditionné par différents éléments liés à son état mental et à son histoire. C’est le déterminisme ». Aussi : « Le droit fonctionne le plus souvent par catégories et concepts distincts, alors que les psychiatres voient leurs observations dans une certaine globalité et un certain continuum ». A propos de ce continuum, l’auteur de cette recension, en tant que médecin cantonal, a bien souvent constaté et expliqué comment le droit est contraint de voir les choses en noir ou blanc, alors que le médecin, les soignants ou les travailleurs sociaux sont contraints de voir la vie en nuances de gris, du plus clair au plus foncé.

Est-ce que comprendre, c’est excuser ? Excellente question posée à la fin du livre. « Comprendre est de l’ordre de la connaissance, c’est l’action qui vise à accéder au sens, à chercher les mécanicismes ou déterminants significatifs d’un acte […] En aucune façon le psychiatre ne devra se prononcer sur la valeur positive ou négative de l’acte. Sanctionner, en revanche, est une action d’un autre ordre, qui a pour fin d’appliquer la loi que s’est donnée la collectivité. »

Un ouvrage qui prouve que le dialogue entre un juge et un psychiatre peut «déboucher sur un résultat concret et utile, aux confins de deux matières dont les fondements et fonctionnements sont diamétralement divergents mais dont l’interaction devrait servir le vivre ensemble. »

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