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Recension: «Une approche éthique des maladies rares génétiques»

Lundi 10.09.2018
  • Sous-titre : Enjeux de reconnaissance et de compétence
  • de Marie-Hélène Boucand, Toulouse : Editions érès, 2018, 357 pages.

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

BoucandElle-même atteinte d’une maladie rare, Marie-Hélène Boucand a été chef de service aux Hospices civils de Lyon (réadaptation). Son livre traite de manière substantielle les multiples dimensions des soins aux personnes atteintes d’une des quelque 7000 maladies rares génétiques connues et du statut de ces maladies. Il est basé sur une thèse universitaire où elle rapporte notamment des entretiens approfondis avec des personnes concernées.

Contacts avec le système de soins. « Les retards diagnostiques, la banalisation des symptômes, les jugements formulés suscitent un rapport conflictuel initial avec le corps médical. Période d’errance et de galère ». L’expression d’«errance diagnostique» a d’ailleurs trouvé place dans des rapports officiels français [1]. « La posture du médecin face aux maladies rares plaide pour une médecine de l’incertitude où il devient possible de dire ‘Je ne sais pas, vos symptômes ne m’évoquent rien de connu, je vais demander un avis spécialisé’.»

L’annonce diagnostique : « Après la dénomination de la maladie, le premier sentiment est souvent celui du soulagement. Le diagnostic permet de comprendre le pourquoi de symptômes qui semblaient venir de nulle part : ‘Enfin on a une réponse’. » Mais ce n’est pas toujours le cas : « Pour moi, cela été un moment très dur, le ciel m’est tombé sur la tête. » A plusieurs reprises est évoquée l’épée de Damoclès.

« La transmission est souvent associée à une forte culpabilité de la mère […] la transmission devient objet de décision alors qu’elle n’est que le fruit du hasard et ne nous appartient pas. »

« L’enjeu de la reconnaissance est un point fort du vécu ; il va, paradoxalement, en émerger une grande force de solidarité […] Le soin, développé dans sa dimension éthique, devient alors partagé, tant prodigué par les soignants que par le malade qui, apprenant à prendre soin de lui, peut prendre soin des autres. »

« La maladie rare génétique illustre une modernité de la contagion. Elle prend le sens métaphorique de la transmission à un proche […] Le gène de la science contemporaine vient remplacer le microbe pasteurien. »

Patients experts, partenaires, formateurs. Un chapitre leur est judicieusement consacré. « Quel chemin parcouru entre la posture paternaliste où le médecin savait ce qui était bon pour ‘son’ patient sans lui délivrer aucune information, et la conversion marquée par la loi de 2002 [loi Kouchner sur les droits des patients]. L’implication du patient comme partenaire est un pas vers un équilibre nouveau, où médecins et patients collaborent dans une négociation partagée. » « Les nouvelles figures de patients, instaurées par les malades du sida et confirmées par ceux touchés par une maladie chronique et/ou rare, c’est la capacité de prendre la parole et de décider. »

Plus avant, il y a l’évolution vers des patients-formateurs (dans la foulée des travaux sur l’éducation thérapeutique de J.-Ph. Assal et A. Lacroix). A noter que, en France, la qualité de patients-formateurs fait l’objet depuis 2010 d’une reconnaissance officielle universitaire (diplôme).

A propos des témoins qu’elle a rencontrés, l’auteure précise : « Nous avons tâtonné, sans savoir si nous devions les appeler des malades, des porteurs d’un handicap, des usagers, des participants à notre recherche ou des co-chercheurs. »

Une médecine de l’adaptabilité. « La médecine ainsi envisagée est celle d’un accompagnement dans le temps pour apprendre comment faire face et résister à l’abattement. Il s’agit d’adaptabilité au sens de Canguilhem, capacité de la personne à retrouver en elle un équilibre au long cours, avec ses nouvelles capacités et limites. Une médecine qui accepte l’échec, lorsque plus rien ne peut être tenté pour guérir. « A 60 ans, handicapé, j’ai une bonne qualité de vie. Je ne suis plus impatient de guérir. » Le philosophe Alexandre Jollien, handicapé lui aussi, a une phrase semblable en parlant de «guérir de l’idée de guérir».

« La désignation des maladies rares semble être celle de l’entre-deux. Il y a dans cette expérience particulière une part de maladie et une part de handicap ». Avec « un point commun : la force paradoxale du manque. »

Les autres dimensions. De larges passages sont consacrés à d’autres aspects : le vécu social et familial de ces patients, le « regard des autres », pas toujours aimable ; le soutien social en ligne par réseaux et forums ; l’utilité des associations de patients (ou de proches).

Un chapitre traite de la méthode narrative et de la reconstruction identitaire. « Le vécu d’une maladie rare génétique peut être excluant et désocialisant. Faire son récit de vie soutient le travail de reconstruction du malade. »

Cet ouvrage est une véritable somme sur les maladies rares génétiques, y compris sur les plans épistémologique et sociologique. Très bien informé, bien écrit, il apporte une importante contribution, selon les termes de la préfacière, « pour avancer sans complaisance dans l’exploration philosophique et humaine d’un monde multiple, mal décrit et mal perçu ». Il retiendra l’attention de tous ceux qui sont concernés par ces affections, mais d’autres personnes aussi.

Editions érès, avec brève vidéo de l’auteure

[1] France. Plan national maladies rares 2011-2014, p. 4 et 34.

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