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Recension : «Le travail de l’éthique» de Marta Spranzi

Vendredi 02.11.2018

Bruxelles : Editions Mardaga, 2018, 233 pages.

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

Ce livre propose une approche bottom up inductive et montre la place des intuitions morales dans les décisions difficiles.

Marta SpranziPhilosophe des sciences italienne formée aussi en France et aux Etats-Unis, Marta Spranzi enseigne à l’université et est chargée de mission au Centre d’éthique clinique de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. Son ouvrage est un argumentaire substantiel pour une approche résolument bottom up du travail bioéthique. « Le but de l’éthique, dans sa dimension existentielle – par opposition à hiérarchique – est de donner forme à ce qui compte dans notre vie. »

Expérience morale et conflits de valeurs

En soi, on voudrait des normes emportant l'approbation de tous. Mais devant les différences culturelles et religieuses, « la seule façon de réfléchir constructivement à la bioéthique est de s’assurer d’une évolution adéquate des normes et de partir des dilemmes réels auxquels les personnes concernées doivent faire face. […] L’expérience morale des personnes est la pierre de touche de cet édifice complexe ». Spranzi met ainsi l’accent sur l’expérience morale par opposition au jugement moral.

Concrètement, dans les soins, « le travail d’ajustement progressif des pratiques est très utile et repose sur des valeurs non controversées. En se concentrant sur le ‘comment faire’ plutôt que sur le ’que faire’, on privilégie l’opérationnalité. Toutefois, cette démarche est impuissante à traiter les cas qui fâchent. La conception alternative que je défends part de la reconnaissance des confits de valeurs, pour déployer leurs raisons et identifier les solutions possibles. »

L’art de trouver la « bonne », ou la « moins mauvaise », décision dans les cas singuliers est placé au centre de la réflexion. « Dans cette perspective, les conflits de valeurs ne sont pas un obstacle qui doit être esquivé mais plutôt un outil de travail essentiel. » Cette approche « s’appuie donc sur le dissensus ; elle ne se veut pas d’emblée apaisante mais joue le rôle inconfortable de ‘poil à gratter’, au sens de mise à l’épreuve des raisons des uns et des autres. » Un arbitrage est alors nécessaire en vue de trouver une issue positive.

Le tri des intuitions

Spranzi illustre son propos par des exemples et des réflexions sur les flous dans les soins en fin de vie. Elle présente aussi les philosophes qui ont fait des intuitions leur champ d’étude. L’auteure y débat d’intuitionnisme élitiste et d’intuitionnisme démocratique, des critiques faites à cette doctrine et des réponses qu’on peut leur donner. Elle développe l’hypothèse qu’une approche heuristique doit inclure un processus de tri des intuitions.

Chacun serait-il un expert en éthique ? Spranzi : « Tout le monde possède potentiellement l’expertise morale nécessaire pour réfléchir et faire face aux dilemmes éthiques. ». Toutefois, « si les personnes concernées peuvent faire valoir une expertise sur la base de leurs intuitions morales, cela n’empêche pas que le rôle de tiers joué par le consultant reste essentiel dans les situations de conflits de valeurs. »

En guise de conclusion 

« La bioéthique a pris récemment un ‘tournant empirique’ : les sciences sociales, ainsi que les sciences de la nature, sont amenées à y contribuer de façon essentielle. On parle d’éthique intégrée ou symbiotique ou contextuelle. » L’inclusion de ces données contribue à améliorer les pratiques et à comprendre l’expérience des personnes concernées.

Le livre de Marta Spranzi est important en ceci qu’il met substantiellement en discussion la place en éthique des intuitions, définies comme des « jugements à la fois immédiats, résistants à la critique et stables dans le temps ». Alors que prévaut souvent la notion qu’il s’agit surtout de suivre un cadre de règles, dans une démarche top down (la règle dit ceci, il s’ensuit que…), il est nécessaire de travailler dans les deux sens, à savoir aussi bottom up.


Editions Mardaga

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