Les femmes, des athlètes sous-visibilisées
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Si, l’été dernier, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris ont promis être les premiers JO paritaires, les femmes dans le sport restent généralement sous-représentées dans les médias, ce qui contribue à la perpétuation de certains stéréotypes.
Par Aurélie Hofer, responsable de projets et communication, décadréE, Genève, et Nadia Bonjour, spécialiste en communication et consultante, NB communication, Lausanne
« Ce faux départ nous permet d’admirer le visage, et un petit peu la plastique des concurrentes », « Le costume (rose) en jette autant que la nana, j’allais dire ! », ou encore « je connais plus d’un anaconda qui aimerait venir l’embêter un petit peu cette jeune Cléopâtre canadienne… ». Ces commentaires sportifs ont été entendus à l’antenne lors des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014. À Rio, en été 2016, la judoka française Automne Pavia est décrite comme une « athlète élancée que l’on pourrait voir ailleurs que sur des tapis de combat », Serena Williams est qualifiée de « drama queen » et les joueuses de rugby « françaises sont beaucoup plus mignonnes, beaucoup plus féminines que les Américaines ».
Une décennie plus tard, les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont promis que leur édition serait celle des premiers Jeux égalitaires. Et si, effectivement, de nombreuses mesures ont été prises de leur côté, qu’en est-il de la couverture médiatique de l’événement ? Voici un décryptage médiatique des JO et des paralympiques 2024 du point de vue du genre.
Coup de projecteur sur la scène sportive internationale
L’organisation des JO 2024 a tenu parole : la parité a été atteinte dans plusieurs domaines. Par exemple, autant de femmes que d’hommes ont participé à la compétition [1]. Le programme sportif [2] témoigne aussi de progrès significatifs : vingt-huit des trente-deux disciplines proposées étaient totalement paritaires, alors que les épreuves sportives féminines et masculines ont été équitablement réparties sur les seize jours de compétition. Ces efforts ont permis aux médias de mieux équilibrer leur couverture sportive et, ainsi, de visibiliser une nouvelle génération de sportives et de sportifs, au-delà des clichés.
En Suisse, de manière générale, seuls 13% de l’ensemble des contenus sportifs sont consacrés aux femmes [3]. Durant la compétition olympique 2024, les médias suisses romands ont-ils prêté une attention particulière à présenter autant des femmes que des hommes dans leurs articles ? Un moyen de répondre franchement à cette question est de compter les athlètes apparaissant dans les articles annoncés en Une. D’ailleurs, le seul moyen de rendre visibles les inégalités est aussi de les compter.
La performance sportive a donc un genre
Aux Jeux de Paris, soixante-deux athlètes femmes et soixante-sept hommes ont composé la délégation suisse, suivi·es de dix-neuf femmes et huit hommes aux Jeux paralympiques. Bonne nouvelle : la parité de genre semble s’approcher pour les athlètes illustré·es dans les médias romands, para-athlétisme compris. En effet, 45% des athlètes mentionné·es étaient des femmes, 55% des hommes. Toutefois, une analyse minutieuse de ces apparitions parfois très furtives révèle que 23% des athlètes féminines sont mentionnées par les médias, car elles sont montées sur le podium, alors qu’une médaille n’a été la raison d’un article que pour 13% des athlètes masculins. Sachant que quatorze femmes et six hommes ont rapporté au moins une médaille, un premier constat se dessine : les hommes n’ont pas besoin de gagner pour être médiatisés, puisque 87% des contenus sont consacrés à d’autres sujets que leurs titres. Les femmes, en revanche, on en parle surtout quand elles gagnent !
Quand le nombre d’athlètes femmes est supérieur à celui des hommes, comme c’est le cas pour l’équipe paralympique qui en comptait 70%, les proportions de visibilisation deviennent plus équilibrées. Durant l’événement parisien de l’été, 17% d’entre elles ont été rendues visibles, car elles ont gagné une médaille (20% pour les para-athlètes masculins). Nuance toutefois : les femmes ont rapporté seize médailles et les hommes cinq. La performance a donc un genre, les femmes doivent beaucoup plus gagner pour être vues.
Le sport, un entre-soi masculin
L’analyse de cette couverture médiatique consiste à vérifier de qui on parle, mais aussi à qui l’on donne la parole pour apporter un regard externe, par exemple technique ou scientifique. Durant les JO de Paris, les femmes invitées à apporter leur expertise dans les médias suisses romands ont représenté moins de 8% des interlocuteurs et interlocutrices au total. Aucune coach sportive n’a été interviewée pendant les JO et les paralympiques, par exemple. Ce faible taux se situe bien en dessous des statistiques générales, qui tournent autour des 20% d’expertes sollicitées dans les médias suisses [4]. Ce chiffre confirme que, malgré les efforts, le sport demeure encore un monde d’entre-soi masculin, où les femmes peinent à s’imposer.
Par ailleurs, les 45% de femmes représentées par cette couverture médiatique olympique restent une victoire éphémère pour l’égalité. Car en dehors de cet événement international majeur, les femmes disparaissent et les pratiques sportives médiatisées sont quasiment exclusivement consacrées aux hommes. Le Championnat d’Europe de football (Euro) masculin, par exemple, a mobilisé près de la moitié des articles du panel d’analyse [5], et ceux-ci ne mentionnent aucune femme, si ce n’est quelques spectatrices. Le tennis, un peu moins genré, ne réussit pas à rééquilibrer les chiffres. Et le cyclisme, pourtant porté cet été par le Tour de Romandie féminin, le Tour de France et le Tour de France Femmes, n’est apparu dans la veille estivale que pour promouvoir les performances masculines. Ainsi, hors articles liés aux Jeux olympiques et paralympiques, 90% des personnes figurant en Une, de juillet à début septembre, dans l’actualité sportive sont des hommes.
Du côté des rédactions, le ratio est semblable : 77% des articles placés en Unes sportives, durant cet été 2024, ont été rédigés par des hommes, 13% par des journalistes dont le genre n’a pu être déterminé et 10% par des femmes. Ces chiffres reflètent une tendance plus globale : parmi les milliers de journalistes accrédité·es dans la catégorie presse aux JO de Paris, 23% étaient des femmes [6].
Aller au-delà des chiffres pour changer le récit
Accroître la visibilité contribue à bousculer les conceptions traditionnelles de la féminité et de la masculinité. Au-delà d’être un relai de l’actualité, les médias ont le pouvoir d’amorcer un changement durable des mentalités, en visibilisant dans le sport les femmes dans toute leur diversité. Les médias choisissent leur éditorial, les personnes et les sujets mis en avant, comment ils les valorisent. Leurs choix portent sur les compétitions sportives à couvrir, les expert·es ou athlètes cité·es, les images publiées, l’angle et le langage adoptés. Ils définissent encore l’espace que l’article aura, ou pas, en Une. L’ensemble de ces décisions est significatif et peut contribuer à l’avancée de l’égalité entre les genres.
Il s’agit d’en faire plus, de manière plus régulière, en rendant visibles des modèles d’un autre genre pour le sport, pour que les femmes et les filles puissent prendre conscience que ce monde est aussi un univers pour elles ; que ce soit en tant que journaliste sportive, athlète, dirigeante, coach ou encore expertes.
De plus, les médias perpétuent une pratique sexiste, laquelle met un accent disproportionné sur les caractéristiques « hors terrains » des sportives. Trop souvent, les références sur les tenues, l’apparence physique, la vie personnelle, ou encore leurs rôles de « femme de » ou de mère priment sur leur statut d’athlète et leurs performances athlétiques. Étiqueter continuellement les compétitions où concourent les femmes de « féminin » sans jamais préciser la catégorie masculine des tournois où s’engagent les hommes est également un marquage de genre qui renforce cette impression de sportives au second plan.
Ne pas être juste inspirantes
En Suisse, seules 6% des études de sciences du sport se penchent sur l’entraînement, la récupération et le bien-être général des athlètes femmes (État : 2021)[7]. Swiss Olympic aborde cette inégalité activement, conscient que ce manque de connaissances autour des thématiques spécifiques aux femmes athlètes freine la promotion et le suivi sportif optimal pour ces personnes, ainsi que toutes celles qui aspirent à embrasser une carrière sportive. Écrire sur le sport au féminin reste également un obstacle pour les journalistes.
Aujourd’hui, de nombreuses recherches prouvent que les role models tiennent une place primordiale dans les choix de carrière féminines et que leur médiatisation a un véritable impact positif. La campagne actuelle de sensibilisation du Canton de Vaud #Dirigeantes sportives [8] repose sur ce constat, et met en avant trois ambassadrices. De nombreuses athlètes corroborent ces éléments et rappellent que, sans médiatisation, les sponsors et les sources de rémunération se trouvent avec peine.
Toutefois, les sportives doivent aussi pouvoir être simplement des athlètes, sans se retrouver cantonnées dans ce rôle de figures inspirantes. Car si elles sont inspirantes, elles sont aussi performantes, compétentes, engagées, résilientes, complexes... Ces femmes font face à des défis, des enjeux et des expériences dans le sport qui leur sont propres (cycle menstruel, grossesse, santé des seins, plancher pelvien, abus et harcèlement, équipement inadapté, infrastructure inadéquate, etc.), autant de sujets rarement abordés, ou maladroitement.
Aujourd’hui, aller au-delà de l’héroïne et de la femme inspirante contribue à re/présenter les femmes dans le sport, dans toute leur diversité. Et les médias doivent prendre leurs responsabilités en la matière.
Pour ce décryptage, une marge d’erreur des statistiques reste possible. Sept médias romands ont été retenus. Quelque 184 articles ont été analysés, dont 124 spécifiquement sur les JO et les paralympiques. Tous ces articles ont été sélectionnés, car ils figuraient en Une.
Photo d'illustration de l'article: L'athlète thurgovienne Catherine Debrunner a notamment remporté cinq médailles aux Jeux paralympiques de Paris (quatre d'or et une d'argent).
Bibliographie sélective
- Cath Bishop, 2024. Women’s parity in sport has a long way to go despite positive Paris signs, The Guardian[en ligne]. 15 août 2024. Disponible à l’adresse : https://www.theguardian.com/sport/article/2024/aug/15/womens-parity-in-sport-has-a-long-way-to-godespite-positive-paris-signs
- Causette, 2022. Hors-série n° 20 l Spécial sport féminin
- Couper l’herbe sous les roues | Pour tailler les clichés du handicap, 2024. Sport qui peut ! [En ligne]. L’infolettre de Malick Reinhard, 4 septembre 2024. Disponible à l’adresse : https://souslesroues.ghost.io/sport-qui-peut/
- Les Couilles sur la table, 2024. Sports olympiques, médaille d’or du sexisme [en ligne]. Binge audio, 25 juillet 2024. Disponible à l’adresse : https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/sports-olympiques-medaille-dor-du-sexisme
- Matilde Meslin, 2024. Paris 2024 : peut-on parler de JO égalitaires si les athlètes doivent encore prouver leur féminité ?, Slate [en ligne]. 11 août 2024. Disponible à l’adresse : https://www.slate.fr/story/267854/jo-paris-2024-athletes-sportives-preuve-feminite-egalite-parite-sexisme-imane-khelif
- Nicolas Poinsot, 2024. Les 8 moments sexistes des JO de Paris 2024, Femina [en ligne]. 8 août 2024. Disponible à l’adresse : https://www.femina.ch/societe/actu-societe/les-8-moments-sexistes-des-jo-de-paris-2024
- Représentation égalitaire, équitable et inclusive des genres dans le sport, 2024. Comité international olympique, 4 juin 2024 [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://olympics.com/cio/egalite-des-genres/representation-des-genres
[1] Cet article utilise les termes « femmes » et « hommes », bien qu'il y ait eu au moins une personne non-binaire qui a participé aux JO car les catégories dans le sport sont binaires et les personnes sont uniquement et forcément comptabilisées sous une de ces deux catégories.
[2] #GenderEqualOlympics : Paris 2024 : une page de l'histoire s’écrit sur l’aire de compétition, 2024. Comité International Olympique, 12.09.2024 [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://olympics.com/cio/news/genderequalolympics-paris-2024-une-page-de-l-histoire-s-ecrit-sur-l-aire-de-competition
[3] Forschungszentrum Öffentlichkeit und Gesellschaft (fog), Jahrbuch Qualität der Medien Studie 3/2021. Darstellung von Frauen in der Berichterstattung Schweizer Medien, 2021, [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://foeg.uzh.ch/dam/jcr:49098d84-7d46-4b20-8852-98430195a31a/Studie%20Frauen%20in%20den%20Medien%202021_final.pdf
[4] WHO MAKES THE NEWS (WMTN), Global Media Monitoring Project (GMMP) 2020 Report. Suisse, Résumé analytique, 2020, [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.ge.ch/actualite/resultats-du-global-media-monitoring-project-gmmp-2020-15-09-2021
[5] Hors JO et paralympiques, le panel d’analyse porte sur soixante articles en Une de la rubrique sportive ou concernant le sport, du 1er juillet au 9 septembre 2024.
[6] Paris 2024 : plus de 24 000 accréditations validées pour les médias aux Jeux Olympiques, 2024. Comité International Olympique, 12.09.2024 [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://olympics.com/cio/news/paris-2024-plus-de-24-000-accreditations-validees-pour-les-medias-aux-jeux-olympiques
[7] Femme et sport d'élite, Swiss Olympic, 2023 [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.swissolympic.ch/fr/athletes-entraineurs/femme-sport-delite/themes-principaux
[8] Dirigeantes sportives: encourager une meilleure représentation des femmes dans les comités de club, État de Vaud, 2024 [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.vd.ch/population/sport/dirigeantes-sportives
Cet article appartient au dossier Sport et mouvement
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Aurélie Hofer et Nadia Bonjour, «Les femmes, des athlètes sous-visibilisées», REISO, Revue d'information sociale, publié le 19 décembre 2024, https://www.reiso.org/document/13503