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Témoignages: des étudiant·es infirmier·ères au cœur du Covid

Lundi 15.06.2020

Une expérience professionnelle et humaine hors du commun !


Par Wassim Jerbia, Téa Leresche, Estelle Sauty, Louise Schlaefli, Manon Sieber, Fleur Valterio, étudiant∙e∙s 3ème année, Annick Anchisi, professeure, Haute Ecole de santé Vaud (HESAV), HES-SO

Le printemps 2020 restera marqué d’une pierre blanche. En quelques heures, la crise du COVID-19 nous propulse dans une réalité professionnelle hors du commun. Apprendre de nouveaux gestes, faire face à l’incertitude, mobiliser ses connaissances et ses compétences, s’adapter au jour le jour, être infirmier et infirmière, un peu avant l’heure. En quelques lignes, nous revenons ici sur cette expérience vécue avant la fin de notre formation.

S’engager, une évidence !

À l’appel envoyé par notre école, ça n’a pas fait un pli, s’engager sonne comme une évidence, la concrétisation d’une mission, celle d’œuvrer pour la population. À peine arrivé·e·s, nous avons été mis∙e·s dans le bain, avec cette question qui taraude : allons-nous être à la hauteur ? Ce rôle de diplômé·e, envié d’une part mais craint de l’autre, se vit à même le corps, les émotions se bousculent. Le doute est là même si nous sommes encadré·e·s par les soignant·e·s sur le terrain et par nos référent·e·s à l’école. Le théâtre des opérations, jusque-là connu, est chamboulé.

À l’hôpital, en quelques heures, les services de soins sont déplacés, les flux de patient·e·s séparés, des équipes reconstituées. Dans les établissements médico-sociaux (EMS), l’expérience est d’un autre ordre. Ici, c’est la modalité du confinement qui marque. Coupé·e·s de leurs proches, les résident·e·s se sentent parfois abandonné·e·s malgré les efforts du personnel. L’usage des technologies de communication n’est pas toujours approprié, l’image à distance parfois anxiogène. Il faut alors user de créativité, installer une résidente sur le pas de la porte de sa voisine pour qu’elle l’écoute jouer de l’accordéon ; tenter de se faire reconnaître malgré son masque. Par ailleurs, si à l’hôpital il a fallu enfiler une blouse de diplômé·e·s, à l’EMS, il s’agit de se distinguer du rôle d’aide-soignant·e. À l’hôpital, dans un EMS ou ailleurs encore, nous devons trouver notre place comme infirmière et infirmier.

Tenir sur la longueur, faire face aux incertitudes

Malgré les journées qui s’allongent, douze heures consécutives, plusieurs jours d’affilée, nous sommes pris·e·s dans une sorte d’élan collectif mis à profit des personnes qui viennent à la consultation COVID avec toute l’appréhension qu’on devine, au service des patient∙e∙s et de leurs proches, des résident·e·s et des équipes soignantes parfois submergées. Les incertitudes sont multiples : est-ce que je prends des risques, est-ce que j’en fais courir à mes proches ? Combien de temps cela va durer ? Est-ce que la situation va impacter mon diplôme ? Est-ce que je vais pouvoir garder mon job d’étudiant·e, source de financement de mes études ? Tant de questions simultanément.

Les réponses sont multiples, changeantes, elles en rajoutent parfois au souci d’être performant·e·s. Alors qu’est-ce qui nous fait tenir malgré tout ? L’équipe d’abord, chaleureuse et bienveillante, les collègues de volée aussi, celles et ceux qui vivent des instants pareils aux nôtres, les enseignant·e·s soutenant·e·s, les ami·e·s qu’on voit de loin mais qui sont là, qui applaudissent le soir dans leur quartier, la famille fière et présente, les amours. Et puis, quand c’est possible, se défouler, faire du sport, s’échapper un instant. Par moment, c’est la solitude qui domine, quand on est loin des siens ou quand les résident·e·s n’ont que nous sur qui compter. Éprouver le manque, rire, pleurer, bâiller à n’en plus pouvoir, tenir encore, vivre.

Ce qui fait tenir aussi, ce sont nos connaissances et nos compétences acquises jusque-là. C’est proposer, se positionner comme professionnel·le·s dans une équipe pluridisciplinaire, faire valoir son point de vue. C’est se sentir utile, savoir qu’on peut aider quelqu’un qui souffre, qui a peur. On l’a appris à l’école, on l’a expérimenté en stage, ici on se lance sans filet, il faut faire face et ça marche ! C’est aussi l’occasion de tester ses points forts, ce qu’il faut travailler encore, c’est une expérience formatrice à tous les niveaux, en situation réelle, quelques semaines avant d’être engagé·e·s comme diplômé·e·s.

Une identité professionnelle renforcée

Cette situation aura plus que toute autre conforté notre choix d’être infirmière et infirmier. À aucun moment nous aurons douté de cela. La crise du COVID nous fait également prendre la mesure du fossé qui existe parfois entre les professionnel·le·s de la santé et la population. Les gestes qui nous semblent les plus anodins (se laver les mains, porter un masque, tenir la distance, etc.) ne s’acquièrent pas avec les affichettes. Ils doivent s’apprendre, s’inscrire dans des univers de sens accessibles aux usagers et usagères. C’est là que la question de l’enseignement à la population prend toute son importance.

Nous avons évalué la faille entre notre savoir et le sens commun afin d’être des repères crédibles : nous avons démenti des fake news, contrer des croyances de tous ordres, rassuré contre des peurs irrationnelles, nous ne nous sommes pas offusqué·e·s des erreurs ou des maladresses, mais avons tâcher de les comprendre pour être plus efficaces, nous avons fait entendre la voix des plus âgé·e·s assigné·e·s à résidence, nous avons, nous avons… quel boulot !

Un dernier mot encore pour dire l’espoir d’être reconnu·e·s comme professionnel·le·s autonomes, bien formé·e·s et irremplaçables. Nous applaudir tous les soirs nous a fait chaud au cœur, nous souhaitons que le bruit se fasse entendre plus loin dorénavant, jusqu’aux oreilles des politiques en charge du système sanitaire afin que notre profession soit enfin considérée à sa juste valeur.

Une version de ce texte a été publiée en français et en allemand par la revue «Soins infirmiers» 06/2020. 

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