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Lorsque les médicaments rendent dépendant·e·s

Mardi 08.06.2021

Une émission diffusée sur France Culture donne la parole à deux personnes dépendantes à la morphine. Lorsque la douleur est telle qu’elle engendre une spirale infernale, le danger de l’addiction est réel.

morphine

Tant les mots de Laura que ceux de Jean-Marie expriment la détresse face à la douleur et la renaissance trouvée dans les opioïdes. Prescrits par leur médecin, ces médicaments leur ont donné, pour quelques instants, la liberté d’un corps sans souffrance. Mais tous deux expliquent avec authenticité comment cette liberté se transforme vite en calvaire.

Dans « Dépendance sur ordonnance », l’émission de France Culture Les Pieds sur terre aborde donc un sujet de santé publique qui inquiète les milieux de la prévention. Les chiffres de dépendance aux opioïdes sont alarmants. En 2019, quelque 130 Américain·e·s en sont mort·e·s chaque jour. Aux Etats-Unis, cette addiction représente même la première cause des décès « évitables » avant 50 ans. Elle précède les accidents de la route et les décès par armes à feux. Ainsi, depuis les années 2000, plus de 300'000 décès par surdose y ont été enregistrés.

En Suisse, la situation reste un peu plus floue. Un article publié en 2018 dans la Revue médicale suisse [1] indiquait qu’entre 1985 et 2015, la consommation suisse d’opioïdes forts était passée de 18 à 421 mg par habitant·e et par année. Cela faisait de notre pays le septième consommateur mondial d’opioïdes. Les auteurs et autrices expliquaient cette hausse par « une meilleure prise en charge de la douleur, mais aussi une prescription plus libérale d’opioïdes pour des indications non démontrées. » Ils recommandaient ainsi « une prudence accrue » aux praticien·ne·s lors de telles prescriptions.

Faire face à des douleurs insupportables

Ce message de prévention ressort fortement dans l’émission de France culture. Tour à tour, un homme et une femme détaillent leurs douleurs poignantes et incessantes, la prescription des premiers antidouleurs puis le passage à la morphine. Pour faire face à l’insupportable, les doses augmentent petit à petit. La dépendance à ces antalgiques s’installe.

Ainsi de Jean-Marie, un quinquagénaire rongé par des maux de dos durant de longues années, dont le patron lui reproche sa « fainéantise » et lui demande de « prouver » sa douleur. Une malformation finalement diagnostiquée, il essaie nombre de médicaments avant de passer à la morphine. Les doses augmentent, les pilules deviennent sa « nourriture », au point de lui faire perdre le lien avec la réalité : « On est plutôt dans les nuages que sur terre. On ne mange plus, on perd le sommeil et la notion de vie de famille : on est là sans être là. » Un week-end, il n’a plus de pilule à disposition, mais se dit qu’il peut tenir jusqu’au lundi. Vomissements, diahrrées, décompensation : la crise de manque est violente. « Même ma femme avait peur », se souvient-il. Il s’est aujourd’hui libéré de cette addiction, mais reste soumis à de violentes douleurs et à la consommation de remèdes. Et surtout à un peu de rancœur : « J’en veux aux médecins qui n'informent pas du danger que représente la prise de ces médicaments sur un long moment. » [2]

« Quand on est une maman, on doit tenir la barre »

De son côté, Laura, une mère au foyer de 28 ans, raconte sa consommation de morphine pendant plus de trois ans pour faire face à des douleurs insoutenables. Elle se souvient des premières absorptions : « C’est un soulagement, on a l’impression de renaître. C’est le premier jour de notre nouvelle vie. Je n’ai plus mal, ça y est ! » Mais petit à petit, il en faut toujours plus. Les problèmes de santé s’accumulent, les doses continuent à croître. Son médecin traitant se trouve désemparé face à son corps qui s’est habitué au produit et que rien ne semble plus pouvoir soulager. « Quand on est maman, on doit tenir la barre, donc c’est l’escalade », reconnaît-elle. Lorsqu’on lui annonce qu’elle est enceinte de six mois, c’est le choc. Emerge beaucoup de culpabilité face à ce déni de grossesse et pour ce petit être nourri in utero « aux cachetons ». Pour pouvoir allaiter son bébé, Laura fini par trouver du soutien auprès d’une addictologue et d’un médecin de la douleur.

Si elle a pu réaliser son souhait de nourrir son nouveau-né grâce à la méthadone, elle n’a pas retrouvé une vie normale. Ses douleurs sont telles qu'elle ne peut quasiment plus marcher et doit se déplacer principalement en chaise roulante. Malgré cela, elle témoigne d’une longue remise en question: « Est-ce que je n’aurais pas pu tenir la douleur un peu plus et rester sous un médicament moins fort ? », se demande-t-elle régulièrement. Le souvenir de ses idées suicidaires l’aident à avancer : « Je n’avais pas le choix. C’était de la survie. C’était ça ou rien. Mais je n’aurais jamais pensé que moi, une femme que tout le monde trouvait forte et résistante à la douleur, je passerais par là. C’est dur quand ça nous arrive à nous. C’est très très dur. »

(Céline Rochat)

« Dépendance sur ordonnance », Les pieds sur terre, France culture, 2021

[1] Ruchat, David et al. « Consommations d’opïodes entre 1985 et 2015 : chiffres suisses et mise en perspective internationale ». Revue médicale suisse. 2018, 14 :1262-4

[2] Pour des raisons de lisibilité, REISO adapte légèrement les citations orales lors de leur transcription écrite.


Lire aussi :

Interview de la Pre Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV : « Médecine complémentaires au CHUV : défis et opportunité », REISO, Revue d’information sociale, publié le 11 mars 2021.

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