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Depuis plus d’un an et demi, la santé mentale est mise à rude épreuve par le Covid-19 et les mesures sanitaires. Les inquiétudes sur les conséquences psychologiques néfastes à long terme, surtout pour les jeunes, se confirment.
Par Léonore Dupanloup, STOP SUICIDE
Si les statistiques officielles des décès par suicide ne seront pas connues avant au moins une année, les sondages, études et articles publiés depuis le début de la pandémie révèlent que les principaux indicateurs de la santé mentale sont au rouge. Le point sur les données disponibles à ce jour.
Différentes enquêtes ont été menées auprès de la population suisse pour évaluer l’effet des mesures sanitaires sur le bien-être et la santé mentale. Le sondage « Swiss corona stress study : second pandemic wave » [1] publié en décembre 2020 révèle que le nombre de personnes souffrant de symptômes dépressifs graves a été multiplié par six, atteignant 18% de la population. Les jeunes ont été particulièrement impacté·e·s, puisque 29% des 14-24 ans se sont dit·e·s concerné·e·s par des symptômes dépressifs modérés et sévères.
L’enquête de l’ADEPSY [2] auprès des étudiant·e·s de psychologie de l’Université de Genève, à l’automne 2020, a confirmé ses résultats. Quelque 82% des répondant·e·s signalent un impact négatif ou fortement négatif de la pandémie sur leur santé mentale et 53% se disent tristes, déprimé·e·s ou désespéré·e·s. Les symptômes de stress sont également très présents : 67% subissent des troubles du sommeil et 44% sont concerné·e·s par des troubles de l’appétit. Plus inquiétant encore, un tiers des étudiant·e·s ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires au moins une petite partie du temps et 10% ont pensé qu’il vaudrait mieux mourir ou ont envisagé de se faire du mal. [3]
Menée à plus large échelle, la « Swiss corona stress study : high school » [4] montre en revanche moins de symptômes de stress sévères (14,6%) pour cette population en comparaison avec le précédent sondage (28,5%) et une légère baisse des symptômes dépressifs (26,9% contre 31,7%). Parmi les causes de stress identifiées par les étudiant·e·s, on trouve principalement la pression scolaire, la crainte d’avoir une éducation « au rabais » et les conflits familiaux.
Au niveau international, l’UNICEF a également alerté sur l’urgence de la situation. Dans les résultats préliminaires d’une enquête internationale menée dans vingt-et-un pays [5], l’organisation internationale relève qu’un·e jeune (de 15 à 24 ans) sur cinq se dit souvent déprimé·e ou peu intéressé·e par les choses en général.
En première ligne dans la prise en charge des personnes à risque suicidaire, les permanences téléphoniques disposent de données permettant de rendre compte du niveau de bien-être de la population. Il y a quelques semaines, la Main Tendue a publié un communiqué de presse [6] faisant état, au niveau national, d’une hausse de 30% des appels concernant des pensées suicidaire entre le premier semestre 2019 et le premier semestre 2021. L’augmentation de 40% des appels de personnes mineures se révèle également préoccupante : les jeunes préférant habituellement l’écrit (chat, mail, sms…), cette recrudescence de contacts téléphoniques laisse supposer un niveau de stress et une souffrance plus élevés, requérant une réponse plus urgente.
Un rapport de Pro Juventute [7] publié en février dernier corrobore ces chiffres. Parmi les appelant·e·s au 147, les contacts pour symptômes dépressifs ont augmenté de 16%, ceux pour troubles psychiques de 21% et les appels urgents pour des situations de crise aigüe sont en hausse de 29% par rapport à 2019. À Genève, l’unité Malatavie, qui accueille des adolescent·e·s en crise suicidaire et tient une ligne d’aide, a également constaté une recrudescence des appels, qui sont passés de 881 en 2019, à 1332 en 2020, pour atteindre déjà le nombre 1056 dans les cinq premiers mois de 2021 [8].
Si ces chiffres peuvent sembler très alarmants, il s’agit toutefois de nuancer la situation. Il s’avère en effet préférable qu’un individu en détresse contacte une helpline plutôt qu’elle n’appelle pas. Voir augmenter les appels vers les lignes d’aide peut aussi être le signe que plus de personnes sont prêtes à demander de l’aide pour sortir de leur mal-être.
Il n’existe pas en Suisse de recensement systématique des tentatives de suicides prises en charge dans les hôpitaux. Les communications des services hospitaliers sur le sujet restent rares, mais plusieurs d’entre eux se sont exprimés dans les médias ces derniers mois.
En février, le CHUV avançait auprès de la RTS une augmentation de 60% des hospitalisations en pédopsychiatrie pour la période allant de juin à septembre 2020, en comparaison à la même période l’année précédente [9]. À l’hôpital pédiatrique universitaire de Zurich, les admissions d’enfants et d’adolescent·e·s à la suite d’une tentative de suicide ont plus que doublé, passant de 22 en 2019 à 49 en 2020. Entre janvier et avril 2021, le service en comptabilisait déjà 21 [10]. Le service Malatavie a également connu une hausse des prises en charge, toutefois moins marquée. L’unité a accueilli 38 jeunes à la suite d’une tentative de suicide en 2020, pour 24 en 2019 et 18 entre janvier et mai 2021 [8].
Avec la fermeture des écoles en mars 2020, STOP SUICIDE s’est retrouvée coupée du terrain et de son public-cible, les jeunes. Les mesures sanitaires ont rendu impossible la mise en œuvre des ateliers de prévention dans les classes au semestre de printemps. Elles ont aussi entraîné l’annulation des nombreux événements organisés pour les 20 ans de l’association. Pour faire face à cette situation et apporter des messages préventifs et des conseils pour prendre soin de soi et de ses proches, STOP SUICIDE a investi massivement les réseaux sociaux, en particulier instagram, en publiant quotidiennement des « stories ».
Lors de la reprise des cours et des activités en présentiel à l’automne 2020, les restrictions encore présentes ont poussé l’équipe de l’association à mettre en place une formule temporaire d’atelier pour les classes. Des événements en ligne (lives instagram) sont venus compenser l’annulation des soirées de la campagne.
Dans un premier temps, de nombreux acteurs de terrain ont adapté leurs actions sans remettre en question la priorité mise sur l’endiguement de la pandémie. Cependant, face à cette situation qui s’inscrit désormais sur le long terme, les milieux de la prévention et de la protection de la jeunesse appellent à une véritable prise en compte des risques pour la santé psychique dans les mesures sanitaires.
Fin avril 2021, une alliance d’organisations pour la jeunesse (regroupant notamment Pro Juventute, UNICEF Suisse et le Conseil Suisse des Activités de Jeunesse) a adressé un appel au Conseil Fédéral [11]. Le texte met en avant différentes mesures-clés à adopter d’urgence pour redonner aux adolescent·e·s et jeunes adultes des perspectives d’avenir et des solutions concrètes à leurs préoccupations les plus urgentes. La récolte de signatures en soutien à l’appel est toujours ouverte [12]
A la mi-juin, c’est par une lettre ouverte au monde politique [13] que La Main Tendue, Pro Mente Sana et Santé Publique Suisse ont alerté sur les « ravages de la pandémie sur la santé mentale des enfants, des adolescents et des jeunes adultes ». Ces trois organisations nationales demandent des moyens financiers plus importants pour renforcer les actions de prévention et les structures de prises en charge. Elles enjoignent les politicien·ne·s et les gouvernements, tant au niveau cantonal que fédéral, à investir immédiatement dans la santé mentale pour limiter les dégâts à long terme sur le bien-être de la population.
Quatre mois plus tard, les retombées de ces appels à l’action restent modestes. La mise en œuvre des politiques de santé publique relevant majoritairement de la compétence des cantons, il faut s’attendre à des disparités importantes selon les régions. Perspective encourageante, le canton de Vaud vient d’attribuer un budget d’urgence de cinq millions de francs qui sera réparti entre les écoles, pour élargir le soutien dans les établissements, et des associations pour renforcer leurs actions de prévention déjà existantes [14]. Espérons que cette initiative incitera d’autres décideurs à suivre le mouvement et développer de véritables mesures pour mettre la santé mentale au cœur de leurs décisions.
Où trouver de l’aide en cas de besoin ?
Parler et être écouté·e
Écoute et conseils pour les jeunes – 147 – Pro Juventute – composer le 147, gratuit et anonyme, 7j/7 24h/24
La Main Tendue – 143 – quelqu’un à qui parler – composer le 143, gratuit et anonyme, 7j/7 24h/24 ou demander une aide par mail
Malatavie, unité de crise pour adolescent·e·s - 022 372 42 42 - aide Aide par mail- 7j/7 24h/24
Autres ressources
SantéPsy – répertoire des ressources d’aide en santé mentale de Suisse romande
Sources
[1] The Swiss Corona Stress Study: second pandemic wave, November 2020, 16 décembre 2020
[2] ADPESY, Rapport d’enquête sur la santé mentale des étudiant.e.x.s à l’automne 2020, 14 février 2021
[3] Pour plus de détails sur cette enquête, lire notre l’article co-écrit entre STOP SUICIDE et Minds https://blogs.letemps.ch/stop-suicide/2021/03/16/covid-19-il-faut-ecouter-les-etudiant-e-x-s/
[4] The Swiss Corona Stress Study: survey in high school students, March 2021, 10 mai 2021
[5] UNICEF, Les effets néfastes de la COVID-19 sur la santé mentale des enfants et des jeunes ne seraient que la « partie émergée de l’iceberg », 4 octobre 2021
[6] La Main Tendue, Tél 143 : les pensées suicidaires nettement plus fréquentes qu’avant la pandémie, 10 septembre 2021 ;
[7] Pro Juventute, Rapport sur la pandémie : les plus jeunes durement touchés, février 2021
[8] Bluewin, Un labyrinthe plonge dans les méandres de l’adolescence, 3 juin 2021
[9] RTS, Covid-19, le cri de détresse des étudiants, 4 février 2021
[10] Tribune de Genève, Zurich : Hausse des tentatives de suicide chez les ados en 2020, 11 avril 2021
[11] L’alliance, La jeunesse a besoin d’avenir et de perspectives, 29 avril 2021
[12] Pour signer l’appel, suivre ce lien participer, https://www.projuventute.ch/fr/appel-jeunesse
[13] La Main Tendue, Plus de moyens pour la santé psychique des adolescents et jeunes adultes, 14 juin 2021
[14] RTS, Le canton de Vaud renforce son soutien aux jeunes en souffrance, 5 octobre 2021