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En 2023, le dossier thématique de la revue explore la notion de durabilité. Réflexions institutionnelles, démarches individuelles, recherches : votre engagement en faveur de pratiques durables nous intéresse.
Par Céline Rochat, rédactrice en chef
Hausse de la précarité, augmentation des inégalités à l’échelle locale ou internationale, réfugié·e·s climatiques, mesures d’économies dans le secteur public comme dans le privé, gestion écologique des institutions, reconnaissance salariale des professionnel·le·s, santé au travail, conséquences des traitements médicaux sur les écosystèmes... La liste des sujets liés à la notion de durabilité en matière de travail social et de santé est longue. Ceux-ci touchent aussi bien l’environnement, l’économie que l’équité sociale, soit les trois piliers entrelacés de la notion de durabilité. Pourtant, ainsi que le relève Dominique Grandgeorge dans L’écologisation du travail social [1], l’adaptation aux enjeux environnementaux reste un défi, marqué notamment par des blocages psychosociaux.
Dans l’état des lieux qu’elle dresse du croisement entre développement durable et travail social [2], Isabelle Porras note que, spontanément, seules 34 % des 137 personnes sondées estiment que le social fait partie des activités particulièrement touchées par la question de la durabilité. Les domaines de l’alimentation, du commerce, de la construction, de l’habillement, du bien-être, de la nature, de l’environnement ainsi que des transports sont cités comme davantage en lien avec ce sujet que le travail social et la santé. Cependant, lorsque l’étudiante présente les dix-sept objectifs de développement durable figurant dans l’Agenda 2030 [3] adopté par l’ONU en 2015 (voir illustration), 94 % des participant·e·s considèrent que le travail social est concerné.
La notion de développement durable apparaît dans les années huitante. Référence majeure en la matière, le rapport Brundtland [4] le définit comme un « développement qui satisfait les besoins des générations présentes sans compromettre l’aptitude des générations futures à satisfaire leurs propres besoins, à commencer par les plus pauvres » [5]. Cette formulation reste prégnante aujourd’hui, malgré sa dimension jugée restrictive et idéaliste.
Comme le souligne en effet Joëlle Libois dans un compte-rendu [6] de la Journée internationale du travail social 2022 consacrée à l’approche écosociale des pratiques professionnelles [7], la notion de durabilité dépasse les aspects intergénérationnels et de satisfaction des besoins, bien qu’ils en demeurent des composantes essentielles. Ces paramètres devraient s’articuler avec une décentralisation du regard. Pour répondre aux enjeux liés à la durabilité, la justice sociale et la transformation des politiques sociales doivent s’inscrire au cœur de la thématique et du nouveau monde à créer.
Le sujet de la durabilité se déploie également dans le milieu des soins et de la santé, en particulier avec l’émergence des études et recherches en santé environnementale. Quels aspects des activités médicales et soignantes impactent l’environnement, l’économie et l’équité sociale ? Comment concilier santé, soins et qualité de vie avec rentabilité, présence à l’autre et préservation de l’environnement ? Il ne fait en effet plus doute, aujourd’hui, que les progrès de la science ont conduit à un meilleur état de santé général de la population. Revers de la médaille, de nombreux résidus de produits phytotoxiques terminent dans les eaux et nappes phréatiques, compromettant dangereusement l’équilibre des écosystèmes [8].
La dégradation de la qualité de l’air et des aliments engendre également des conséquences sur la santé humaine. « L’augmentation des maladies chroniques, respiratoires, des cancers, des troubles neurologiques et des troubles du développement du système reproducteur trouvent majoritairement leurs explications dans les atteintes toujours plus nombreuses à l’environnement », écrivent Séverine Vuilleumier et Lisa Langwieser [9]. Ainsi, comment le champ de la santé devrait-il évoluer pour maintenir l’ensemble de ses activités, tout en prenant en compte l’urgence écologique et les exigences économiques de notre monde, ainsi que la nécessité d’une plus juste équité entre êtres humains en regard des traitements médicaux ?
Cette question de la durabilité dans le travail social et les soins s’articule évidemment aussi avec l’économie [10], où de nombreuses grandes firmes recourent désormais à des case managers ou d’autres professionnel·le·s du travail social. Pour garantir la santé physique et psychique des employé·e·s, la loi impose des dispositions de protection. De nombreuses mesures sociales visent à accompagner celles et ceux qui en ont besoin dans leur (ré)insertion professionnelle, imposant parfois aux travailleurs et travailleuses sociales des postures de grand écart entre contraintes légales et soutien à l’autodétermination des bénéficiaires.
Ce n’est plus la personne qui se trouve au centre de l'intervention, mais le lien entre cette personne et son environnement
Enfin, les client·e·s se montrent toujours plus sensibles aux aspects écologiques de la production de biens et de services, quels que soient les domaines concernés. En quoi ces éléments révèlent-ils une évolution vers un monde écosocial ? Quel rôle les professionnel·le·s du travail social et des soins peuvent-ils et elles endosser dans la redéfinition de problématiques où la notion de durabilité apparaît comme centrale ? Dans quelle mesure les responsabilités sociales, sociétales, politiques de ces actrices et acteurs se trouvent-elles engagées face au green washing [11] ?
Le thème de la durabilité porte par ailleurs sur les parcours professionnels. Encourager les personnes formées à perdurer dans leur métier, surtout dans des contextes éprouvants et pénibles comme les soins et le social, exige de pouvoir compter sur de ressources suffisantes. En ce sens, comment la pénibilité des conditions de travail est-elle intégrée aux politiques publiques et à la gestion des institutions ? Dans une situation de pénurie de collaboratrices et collaborateurs qualifiés, quels sont les défis liés à la fidélisation du personnel ? Quelles sont les conséquences de taux de rotation élevés sur les bénéficiaires, les professionnel·le·s et les équipes, ainsi que sur les systèmes socio-sanitaires en général ? Comment répondre aux besoins et exigences de la société dans de telles conditions et quelles sont les adaptations auxquelles la formation doit s’astreindre pour y parvenir ?
Avec l’irruption du travail social vert, le paradigme de l’intervention sociale évolue : « ce n’est plus la personne qui se trouve au centre (...), mais le lien entre cette personne et son environnement » [12]. Ce changement engendre des transformations dans les pratiques quotidiennes, dans la gestion des institutions, ainsi que dans les formations initiales et continues. Ainsi, curieuse d’explorer ce qui se réalise ou se pense autour de la durabilité, tant dans le travail social que dans la santé, REISO choisit d’y consacrer son dossier annuel 2023.
Ce sont ces gestes, questionnements et pratiques, déployés en Suisse romande ou au-delà [13], que la rédaction souhaite réunir sous l’égide de ce dossier. En cohérence avec sa mission, il s’agit là de favoriser le partage des savoirs et des connaissances entre acteurs et actrices du social et de la santé, mais également de nourrir la réflexion et la prise de conscience dans des domaines marqués par l’effervescence et l’urgence.
Cet appel coïncide avec vos pratiques, vos travaux, vos réflexions ? Prenez contact avec la rédaction par courriel pour soumettre votre proposition de contribution et participez à ce dossier thématique. Nous nous en réjouissons déjà !
Modalités pratiques
Les articles du dossier annuel de REISO « Durabilité » sont publiés de janvier à décembre 2023. Les textes peuvent prendre diverses formes, que ce soit une synthèse de recherche, une réflexion, une présentation d’action sur le terrain ou un partage d’expérience. Les articles comptent 10'000 signes (espaces compris) au maximum. Les modalités de contribution, la ligne éditoriale et les recommandations rédactionnelles se trouvent sur cette page. La rédaction se réjouit de recevoir vos propositions à .
En 2022, le dossier thématique s'intitulait « Intimité(S) ». Les articles publiés dans ce cadre peuvent être consultés sur cette page.
Références
[1] Grandgeorge, Dominique. « L’écologisation du travail social ; Les établissements sociaux à l’épreuve du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité ». édition ies : Genève, 2022.
[2] Porras, Isabelle. « Développement durable & travail social : État des lieux auprès des professionnel-le-s ». Haute école de travail social, Fribourg, 2022. Cette recherche exploratoire quantitative se base sur un sondage mené en 2021 auprès de 137 travailleuses et travailleurs sociaux des cantons de Fribourg, de Neuchâtel et du Jura.
[3] Voir la page de la Confédération consacrée à l’Agenda 2030 et ses 17 objectifs de développement durable.
[4] Notre avenir à tous (rapport Brundtland), Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, 1987.
[5] Ladouceur, Benoît. « Fabrice Filipo, Le développement durable », Lectures, Les comptes rendus, mis en ligne le 20 juillet 2015.
[6] Libois, Joëlle. « Écologie et travail social : quelle place demain ? », REISO, Revue d'information sociale, publié le 29 avril 2022.
[7] La Journée s’intitulait : « Repositionner le travail social dans un monde écosocial. Nouveaux partenariats, nouvelles alliances ».
[8] Voir notamment les travaux de Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne.
[9] Vuilleumier, Séverine, et Langwieser, Lisa. « Essor indispensable pour la santé environnementale », REISO, Revue d'information sociale, publié le 30 mai 2022.
[10] Dans son article, Joëlle Libois — tout comme Isabelle Porras dans sa recherche — souligne à plusieurs reprises la nécessité et l’importance de se saisir de la question du développement durable de manière interdisciplinaire.
[11] Pratique qui consiste à faire croire à des pratiques durables sans qu’elles le soient réellement.
[12] Portillo, Magali. « Qu’est-ce que le travail social vert et en quoi est-il pertinent aujourd’hui ? », Forum, vol. 157, no. 2, 2019, pp. 46-54.
[13] Les articles présentant des actions portées par des organismes romands au-delà des frontières suisses sont également bienvenus dans ce dossier.