« Donnons à chacun la chance d’essayer ! »
Loïc aimerait quitter son atelier protégé et travailler dans la police ou dans un bureau avec un ordinateur. Il a été élevé de façon à ne jamais baisser les bras. Sa mère évoque les obstacles à franchir.
Par Christiane Métraux, Yverdon
Loïc [1] a maintenant 27 ans. Avec lui, nous ne nous ennuyons jamais ! Tout petit déjà, il montrait son autodétermination. Et pourtant, ce n’est pas facile quand on est différent. Le jour de son premier anniversaire, Loïc ne marchait pas mais il s’est mis debout seul quelques secondes. Il était si fier ! Nous avons senti ce jour-là qu’il ne baisserait pas les bras facilement.
Dans son éducation, nous avons toujours encouragé notre fils. Nous lui avons toujours dit qu’il devait faire ses expériences pour juger par lui-même de la faisabilité de ses rêves. Le problème c’est que, pour lui, tout est simple. Alors, nous sommes souvent ceux qui lui disent non. Et Loïc a tendance à penser que nous faisons barrage. Ce qui n’est de loin pas le cas. Nous l’encourageons à s’émanciper, mais dans certaines limites. Nous ne devons pas le surexposer. Les échecs peuvent le blesser. Lui, par contre, il ne montre jamais ses échecs, il dit chaque fois que c’est simplement « pas de bol ».
A l’école déjà, des clichés
A l’école, le responsable ne voulait pas lui permettre d’apprendre à lire, à écrire, à faire des maths. Quand Loïc lui a demandé pourquoi, la réponse a été sèche : « Tu n’y arriveras pas et tu seras déçu. » Loïc a immédiatement répondu : « On ne peut pas dire ça si on n’a pas essayé. » C’est une phrase qu’il dit souvent. Et il a appris à lire et à écrire. Il a été fier d’y arriver. Il ne s’est ensuite pas gêné de faire comprendre aux enseignants qu’ils devraient écouter la personne avant de dire non. Qu’ils doivent donner à chacun la chance d’essayer.
Nous avons toujours été surpris de voir avec quelle détermination Loïc a envie de quelque chose et, surtout, comment il y croit. Il a une telle confiance en lui quand il le fait que ça ne peut pas ne pas marcher.
À 20 ans, Loïc a voulu entrer dans la police. Nous en avons discuté ensemble et lui avons dit qu’il fallait d’abord avoir un métier et postuler ensuite. Mais Loïc, là aussi, a voulu parler avec le responsable. Le service du personnel n’avait pas beaucoup de temps et ne pouvait nous consacrer qu’une demi-heure. Loïc a dit : « C’est déjà ça. » Le jour J, nous arrivons et le rendez-vous est un peu retardé parce que deux personnes venaient d’être arrêtées. Loïc était très content de voir tout ce qui se passait au poste.
Policier et entraîneur de foot
Quand le responsable arrive pour l’entretien, il se présente avec aplomb : « Bonjour Monsieur. Je m’appelle Loïc Métraux. J’ai 20 ans et j’aimerais entrer dans la police. » Au lieu de lui répondre, l’interlocuteur me demande si il comprend tout ce qu’on dit et je m’empresse de lui dire que oui et qu’il suffit d’employer des mots simples et des phrases courtes. Il pose alors à Loïc une question qu’il venait de poser le matin-même aux examens des futurs policiers. Loïc a répondu juste sans hésitation. L’entretien devait durer une demi-heure et a finalement duré 1 heure 30. A la fin, un peu embarrassé, le responsable lui a demandé quelle était sa taille. 1 mètre 55. « Je suis désolé, mais il faut au moins mesurer 1 m 60 pour entrer dans la police. » La réponse de Loïc : « Ce n’est pas grave, je reviendrai l’année prochaine. »
Je peux vous dire que le responsable n’en revenait pas de la détermination de Loïc à vouloir à tout prix entrer dans la police et des excellents arguments qu’il a avancés. Au moment de partir, il a confié : « Ça m’a fait du bien d’avoir cet entretien avec votre fils. Je n’imaginais pas que je prendrais autant de plaisir à parler avec lui. »
Ce rendez-vous n’a pas du tout été un échec pour Loïc. Du moment que l’on écoute ses demandes et que l’on porte de l’intérêt à ce qu’il dit, il avance dans sa vie et prend confiance. Son grand désir maintenant est de pouvoir décrocher un poste dans un bureau avec un ordinateur. Dans l’atelier protégé d’Yverdon où il travaille actuellement, une activité de bureau n’est pas envisageable et il devrait donc se déplacer. Malheureusement, les trajets sont trop fatigants pour lui. De plus, il a vécu de mauvaises expériences dans ses déplacements avec d’autres personnes handicapées. Pour l’instant donc, il consacre beaucoup de loisirs à la maison avec son ordinateur et ses histoires de la dernière guerre. Et en compagnie de Napoléon dont il connaît toute la vie et les exploits.
Loïc joue beaucoup sur l’ordinateur. Il est entraîneur de football et achète des joueurs, fait des transactions importantes. Je reste impressionnée devant sa détermination à faire des expériences. Et quand je lui rappelle que ce n’est qu’un jeu et que la réalité est différente, il répond calmement : « Mais bien sûr, je le sais. » En fait, il n’a peur de rien et il aimerait tout essayer. Alors il faut que je le laisse faire ses propres expériences dans la limite du possible, pour le rendre plus sûr de lui et plus fort.
Un jour, on y arrivera
Notre fils est conscient que, à cause de son handicap, les portes ne s’ouvrent pas facilement. Mais il garde toute sa détermination : « Un jour, on y arrivera. Ils comprendront que je ne suis pas comme tout le monde, mais j’ai la volonté d’arriver à faire ce que j’aimerais faire. » Et chaque fois que quelqu’un l’écoute, il remarque qu’il est une personne comme vous et moi, et non un être différent.
Quand il avait 14 ans, Loïc a un jour déclaré : « Il y a deux sortes de grandes personnes : celles qui doivent demander et celles qui se débrouillent. Moi je voudrais être dans celles qui se débrouillent. » En fait, personne n’est parfait, le Parfait on le trouve en tube avec un bouchon !
Ça pose des quantités de problèmes d’avoir un fils déterminé comme Loïc qui n’a pas sa langue dans la poche. Mais je pense vraiment qu’il a raison d’être ainsi.
[1] Christiane Métraux a présenté son expérience lors de l’après-midi de réflexion sur le thème de l’autodétermination organisée par la Fondation Ensemble le 22 janvier 2013 à Genève.