Participation des jeunes et place dans la fratrie
L’ordre de naissance influence-t-il la participation des enfants et des adolescent·e·s dans les conseils ou parlements de jeunes ? Une recherche ouvre la réflexion.
Par Amélie Hagmann, Master interdisciplinaire et Philip D. Jaffé, professeur, Centre interfacultaire en droits de l’enfant, Université de Genève
La Convention relative aux droits de l'enfant, instrument juridique le plus ratifié au monde, octroie des droits aux personnes âgées de 0 à 18 ans, notamment des droits dits participatifs. Ces derniers sont novateurs, puisqu'ils suggèrent de considérer les enfants et les jeunes comme étant des acteurs et actrices à part entière de la société, dont l'avis compte (Stoecklin & Zermatten, 2009). Dès lors, des espaces de participation se développent et l’ONU [1] ou le Conseil de l’Europe encouragent la création de conseils ou parlements de jeunes. Cependant, ces formules sont dépendantes des politiques locales et la représentation équitable de la jeunesse est entravée par des facteurs comme le genre (Malatesta & Golay, 2010) ou encore l’origine sociale (Hbila, 2014).
S’appuyant sur les travaux d’Adler (1930) et plus récemment de Sulloway (1996), nous nous sommes demandé si l’ordre de naissance, et certaines caractéristiques personnelles associées, étaient susceptibles de favoriser ou de freiner l’adhésion à des processus participatifs. Il est en effet souvent invoqué que les aîné·e·s, (premier·e·s-né·e·s d’une fratrie), développeraient davantage des caractéristiques de détermination, d’ambition, de conformisme et de sens des responsabilités. Les cadet·te·s (né·e·s après l'aîné·e) seraient sociables, ouvert·e·s d'esprits et plus enclin·e·s à vouloir changer l'ordre établi.
Aîné·e ou cadet·te, un engagement différent
La recherche de Hagmann (2020) a permis de récolter, via un questionnaire en ligne, des informations provenant de trente-trois participant e·s, membres de conseils et de parlements de jeunes, réparti·e·s de manière presque égale entre les deux sexes. Deux tiers étaient des cadet·te·s et un tiers des aîné·e·s. Les un·e·s comme les autres ont indiqué s’être impliqué·e·s volontairement et déclaré être des membres motivé·e·s. Cependant, quelques différences notables existent entre les deux groupes quant aux raisons de s'investir, aux types de motivation, à la façon dont elles et ils participent et au sentiment de soutien perçu dans leurs engagements.
Bien que la majorité des sondé·e·s soient des cadet·te·s, ce sont principalement les spécificités de la détermination, du sens des responsabilités et de l'ambition qui sont les plus mentionnés. Ces traits de personnalité se trouvent attribués plutôt aux aîné·e·s dans la littérature. L'ouverture d'esprit, qui distinguerait les cadet·te·s, est également bien présente, mais affirmée le plus fortement par les aîné·e·s. Ensuite, des propositions telles que « être suiveur·se » et « rebelle » sont plutôt rejetées par les participant·e·s, alors que ce sont des caractéristiques des cadet·te·s et qu'ils sont majoritairement représenté·e·s parmi l’échantillon. Ainsi, les résultats indiquent que les traits de personnalité des permier·e·s-né·e·s et l’ouverture d’esprit sont des ressources en termes de participation au sein de conseils et de parlement de mineurs, indépendamment du genre ou de l’origine sociale.
L’ordre de naissance et les traits de personnalité qui, potentiellement, en découlent semblent également influencer la volonté de s’impliquer et la pratique participative. Ainsi, on observe une tendance plus marquée chez les cadet·te·s à s’engager pour des raisons liées à leurs valeurs personnelles, à savoir l’aide et le partage. De plus, ils avancent l’envie de provoquer un changement de l'ordre établi comme élément de motivation, tandis que les aîné·e·s assurent vouloir « représenter la jeunesse, les minorités » et gagner en compétences personnelles. Ce sont également eux qui évoquent surtout des motifs de contribution liés à leur avenir professionnel.
Les données obtenues au sujet de la pratique participative dans les institutions des jeunes suggèrent que les aîné·e·s sont plus susceptibles d'endosser des responsabilités, comme présider une séance ou rédiger un procès-verbal. Ils et elles affirment le plus fortement s’impliquer par la prise de parole. Les cadet·te·s sont plus enclin·e·s à donner leurs avis et à proposer des projets. Ainsi, de manière succincte, l'envie de changement et l'intérêt pour « l'autre » se révèlent plus marqués chez les cadet·te·s, tandis qu'émanent la détermination, l'ambition et le sens des responsabilités dans les réponses des premier·e·s-né·e·s.
Une recherche exploratoire
L'ordre de naissance n'est pas l'unique facteur qui intervient dans le développement de traits de personnalité et différentes formes de participation sont mobilisées par les mineur·e·s impliqué·e·s dans des démarches participatives. Cette recherche se revendique exploratoire. Il serait crucial de croiser des données telles que celles obtenues sur l'ordre de naissance avec le genre, l'âge, ou encore de sonder les jeunes militant·e·s ou initiateurs et initiatrices de mouvements semblables, par exemple, à la grève pour le climat.
L'intérêt porté aux facteurs individuels contribue à la compréhension de la mobilisation et du militantisme sans précédent des enfants et des adolescent·e·s (Jaffé & Lakatos, 2019). En outre, cette connaissance favoriserait le développement de différents types de contribution, afin que chacun et chacune, selon sa personnalité, puisse pleinement saisir son droit à la participation.
Bibliographie
- Adler, A. (1930/1949). L’enfant difficile : Technique de la psychologie individuelle comparée. Québec: Université du Québec à Chicoutoumi.
- Malatesta, D., et Golay, D. (2010). La participation des enfants au débat public : une expression des dominants. Nouvelles Questions Féministes, 29(2), 88-99.
- Hbila, C. (2014). « La participation des jeunes des quartiers populaires : un engagement autre malgré des freins. » Sociétés et jeunesses en difficulté. Revue pluridisciplinaire de recherche, (14).
- Hagmann, A. (2020). Ordre de naissance et participation : quel accès et quelle participation si l'on est aîné ou cadet ? Mémoire de Master interdisciplinaire en droits de l'enfant, Université de Genève.
- Jaffé, Ph.D. & Lakatos, Ö. (2019). « Children marching towards total participation. » 114-123. In J. Zermatten & Ph.D. Jaffé (Ed.). 30 ans de droits de l'enfant : un nouvel élan pour l'humanité ! Association 30 ans de droits de l’enfant : Sion, Valais.
- Stoecklin D. et Zermatten J. (2009). Le droit des enfants de participer : norme juridique et réalité pratique : contribution à un nouveau contrat social. Institut international des droits de l'enfant, Sion, Valais.
- Sulloway, F.J. (1996/1999). Les enfants rebelles (trad. par A. Michel). Paris : Editions Odile Jacob.
[1] https://www.un.org/youthenvoy/wp-content/uploads/2018/09/18-00080_UN-Youth-Strategy_Web.pdf
Lire aussi:
- Manon Juillerat et Philip D. Jaffé, «Les fratries comptent dans les familles d’accueil», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 12 octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6490
- Marine Coullery, «Pauvreté infantile : la parole donnée aux enfants», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 7 octobre 2019, https://www.reiso.org/document/5022
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Amélie Hagmann et Philip D. Jaffé, « Participation des jeunes et place dans la fratrie », un nouveau modèle d’apprentissage », REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 février 2021, https://www.reiso.org/document/7053