Les inégalités frappent les personnes handicapées
La loi de 2004 devait permettre d’éliminer – ou au moins de réduire – les inégalités frappant les personnes en situation de handicap. Au bilan, c’est loin d’être le cas. Sur plusieurs aspects importants, l’année 2010 sera cruciale.
Par Jean-Pierre Fragnière
Tableau 1 : 1er janvier 2004
La loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées est entrée en vigueur. Elle confère au législateur le mandat de prévoir des mesures destinées à éliminer les inégalités que subissent les personnes en situation de handicap. Elle concrétise ce mandat dans des domaines essentiels pour l’égalité des personnes handicapées, tandis que d’autres lois fédérales et des prescriptions cantonales réglementent d’autres champs d’importance pour ce secteur.
Le but ? Prévenir, réduire voire éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées. Créer des conditions propres à faciliter leur participation à la vie en société, en les aidant notamment à être autonomes dans l’établissement de contacts sociaux, dans l’accomplissement d’une formation et dans l’exercice d’une activité professionnelle. Elle réglemente par conséquent l’accès aux constructions et aux installations, l’utilisation des transports publics et de prestations telles que la formation et la formation continue et prévoit des dispositions spécifiques pour la Confédération et les cantons.
En outre, cette loi oblige la Confédération à évaluer périodiquement l’impact des mesures prises en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Bien sûr, la loi vise l’élimination graduelle des inégalités frappant les personnes handicapées.
Tableau II : 3 Décembre 2009
C’est la journée de confrontation des rapports. Conjointement, le Département fédéral de l’intérieur (DFI), sous la présidence du nouveau conseiller fédéral Didier Burkhalter, et les institutions représentant les personnes handicapées dont la Conférence des organisations faîtières de l’aide privée aux personnes handicapées (DOK) présentent leurs rapports portant sur les cinq premières années d’existence de la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées. Leurs analyses concordent dans de nombreux domaines. La démarche mérite d’être saluée. Le Département fédéral de l’intérieur exprime sa satisfaction relative avec un brin d’autocritique alors que les organisations d’usagers signalent quelques progrès mais soulignent l’ampleur du chemin qui reste à parcourir.
Tableau III : Un gouvernement plutôt satisfait
Le Conseil fédéral estime que « la nouvelle législation a permis de réaliser d’importants progrès – ou y a contribué – dans l’élimination des inégalités qui frappent les personnes handicapées. Ces progrès sont particulièrement visibles dans les domaines de la construction, des transports publics et – avec certains bémols – des services. »
Il note cependant, dans des termes feutrés, des limites dans les réalisations. Par rapport à la Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, il admet que le régime juridique suisse reste en deçà des objectifs concrets visés par la convention dans le domaine de la protection contre les inégalités en ce qui concerne les rapports de travail privés. Il observe également que la législation est surtout efficace pour les handicaps physiques et sensoriels. Pour les autres catégories, comme les personnes en situation de handicap psychique ou mental et pour les catégories particulièrement vulnérables de personnes handicapées, comme les femmes, les enfants et les adolescents, les personnes âgées ou encore les personnes nécessitant une assistance particulièrement intensive, « il faut davantage mettre en relief et faire valoir la portée concrète de l’égalité. S’agissant de l’égalité des femmes handicapées, domaine important s’il en est, un rapport indiquant les secteurs où il faut agir et les mesures à prendre sera publié en 2010 ».
Le gouvernement note aussi que la Confédération doit montrer l’exemple en encourageant l’intégration professionnelle des personnes handicapées et plus particulièrement en leur accordant l’égalité des chances, mais il concède que jusqu’à présent, elle ne le fait que dans une mesure restreinte.
Tableau IV : Les attentes exprimées par les organisations d’usagers
La contribution de ces organisations est majeure dans la mesure où elles évoquent les multiples dimensions de ce que peut signifier l’accès à l’égalité pour les personnes handicapées. Bien qu’elles s’en tiennent aux aspects principaux, elles soulignent avec force au moins deux problèmes qui méritent d’être considérés avec grand soin.
D’une part, les déclarations d’intention, voire les promesses, sont généreuses, mais la réalisation traîne les pieds dans de nombreux secteurs. Les excuses sont multiples : elles vont de la complexité des problèmes, à la multiplicité des obstacles à surmonter et aux coûts engendrés par les mesures.
D’autre part, les organisations soulignent les difficultés induites par la structure fédéraliste et les conflits de compétence qu’elle entraîne trop souvent. Lenteurs et disparités sont la résultante de ces réalités structurelles. Certaines catégories de personnes en font particulièrement les frais. Le rapport évoque explicitement le problème des directives concernant le traitement des requérants et requérantes d’asile handicapés.
Tableau V : Nuages à l’horizon
L’association romande Pro Mente Sana rappelle que les mesures prises dans le cadre de la 5e révision de l’assurance invalidité ne pourront porter leurs fruits, le cas échéant, qu’après plusieurs années.
Dès lors, il lui semble tout à fait prématuré d’introduire de façon précipitée de nouvelles dispositions alors que celles préconisées par la 5e révision font encore partie des nouveaux instruments à disposition des offices AI. Or, la 6e révision prévoit une base légale afin de réviser toutes les rentes attribuées avant 2008 pour les troubles somatoformes douloureux, les fibromyalgies et les pathologies similaires, soit 4500 rentes entières. Elle prévoit de les supprimer quel que soit l’âge de la personne ou la durée d’octroi de la rente.
L’objectif du paquet de mesures est le suivant : en six ans, diminuer de 12’500 rentes entières le nombre total de rentes. Cette diminution touchera un nombre bien supérieur d’assurés puisqu’il y a également des quarts de rentes, des demi-rentes, etc. Cet objectif, chiffré d’avance, ne tient pas compte de la difficulté du processus de réadaptation et laisse clairement apparaître la volonté du Conseil fédéral : parvenir à supprimer 5% des rentes, quelle que soit la réalité du potentiel de réadaptation des rentiers.
Pro Mente Sana ajoute : « Lors de la campagne du référendum contre la 5e révision de l’AI, les employeurs se sont engagés à soutenir les personnes atteintes dans leur santé, à les maintenir en emploi, à les embaucher. Cette promesse a-t-elle été tenue ? Or, ce projet de 6e révision parie sur le fait que les employeurs, sans y être fortement incités ou contraints, embaucheront des personnes atteintes dans leur santé et absentes du marché du travail depuis de nombreuses années. »
Garder les yeux ouverts ! Une attitude qui s’impose pour l’année qui vient. Les politiques de promotion de l’égalité des personnes handicapées peuvent basculer. D’un côté les discours et les vœux, de l’autre un chapelet de petites mesures qui peuvent induire une péjoration de la situation. Les choix doivent être confirmés dans un contexte où les « fausses » excuses ne manquent pas à ceux qui invoquent inlassablement la « crise » ou le frein à l’endettement pour aggraver les conditions de vie des plus démunis.