Handicap : l’heure du chambardement dans les cantons
Décembre 2010 : c’est le délai donné aux cantons pour réorganiser toute la prise en charge et l’intégration des personnes en situation de handicap. Où en sommes-nous en Suisse romande et latine ? Etat des lieux.
Par Jacques Laurent, chef du Service des établissements spécialisés, Neuchâtel
En Suisse latine, les chefs des Départements cantonaux des affaires sociales ont adopté, en septembre 2006 déjà, les bases d’une coopération intercantonale dans le domaine de l’hébergement et du travail encadré des personnes en situation de handicap ; ils ont mandaté un groupe de travail pour définir les différents objectifs et moyens d’une collaboration effective, en distinguant par une démarche originale ce qui continuerait de relever de l’autonomie cantonale, histoire et dispositions légales obligent, ce qui ferait partie d’une coordination volontaire et les dispositions ayant force obligatoire commune aux cantons.
C’est ainsi qu’en septembre 2007, les chefs de département disposaient d’une liste précise des travaux à conduire en vue de cette coordination et donnaient mission au groupe de travail d’y œuvrer en vue de pouvoir les intégrer aux plans stratégiques. Trois exemples :
1. Le droit au subventionnement des institutions sociales restera du domaine du canton.
2. Les outils statistiques nécessaires à une analyse des besoins des bénéficiaires seront communs, en laissant chaque canton y contribuer selon ses intentions.
3. Les principes régissant le financement seront obligatoirement les mêmes, quel que soit le canton.
Harmoniser les prestations institutionnelles et ambulatoires
La coordination intercantonale ne concernera toutefois pas que les besoins des personnes invalides au sens de la Loi sur l’assurance invalidité et l’offre des institutions reconnues et anciennement subventionnées par la Confédération. Elle aura aussi des effets sur d’autres populations et d’autres prestations que celles qui relèvent du stationnaire, en Suisse latine en tout cas. En effet, suivant sa grandeur et son organisation, le canton disposait d’établissements reconnus par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), mais accueillant des pensionnaires qui n’étaient pas au bénéfice d’une rente d’invalidité. A l’inverse, certains rentiers AI étaient reçus dans des institutions que l’OFAS ne reconnaissait pas. Les chefs de service ont donc suggéré aux conseillers d’Etat en charge de ces dossiers d’appliquer des principes uniformes en faveur de toutes ces populations et de l’ensemble des organismes s’en occupant, selon l’organisation des cantons.
Mieux, le désir d’harmoniser les prestations institutionnelles et ambulatoires existant dans tous les cantons, il a été décidé de tenir compte de ces dernières dans le cadre de la planification de l’offre intercantonale. Ces avancées sont importantes : elles permettent d’adapter l’offre d’accompagnement et de soin dans le respect de l’intégration, par un maintien plus actif du bénéficiaire de prestations au sein de son milieu familial ou social.
Le vrai rôle des centres d’indications
Le projet de développement de centres d’indications, parfois considérés comme des instances mises en place en vue d’économiser, vise cet objectif, permettant, en plus d’orienter convenablement la personne ayant besoin de prestations de soutien, de constituer une base des données nécessaires à cerner au mieux les besoins de demain. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle répartition des tâches entre la Confédération et les cantons, les planifications cantonales de l’offre étaient exigées et approuvées par l’OFAS ; elles n’étaient cependant établies que de manière empirique, le plus souvent sur la base d’une analyse des besoins constatés par les institutions.
Désormais, les chefs de département souhaitent plus : les données de bases communes aux cantons latins ont été arrêtées, des procédures ont été convenues. Aux enquêtes auprès des institutions, on ajoutera des indicateurs complémentaires concernant la demande, une analyse comparative des taux d’institutionnalisation dans les cantons et des scénarii dynamiques, susceptibles d’affiner les projections. Une planification doit s’inscrire dans la perspective d’horizons temporels différents.
- Le long terme autorise le développement d’infrastructures, la modification des types de prise en charge ou encore l’adaptation des plans de formation du personnel d’encadrement des bénéficiaires de prestations.
- Le moyen terme cautionne la création ou la suppression de places et permet d’élaborer les plans de législature cantonaux.
- Le court terme ancre le financement des prestations et leur éventuelle adaptation sans délai, ainsi que la conduite de projets-pilote.
Deux points délicats encore sur la table de travail
L’OFAS avait instauré un système de management de la qualité et chacun s’accorde aujourd’hui à relever que ce système a permis d’améliorer sensiblement la gestion et le fonctionnement des institutions. Mais les aspects liés à la personne (respect des droits, adéquation des prestations offertes, réalité de l’intégration sociale, etc.) ne sont pas suffisamment évalués. Les démarches d’analyse relative à l’organisation de l’institution ou à l’adéquation de ses prestations sont distinctes et mobilisent des compétences différentes ; les cantons en sont conscients et ont prévu d’y répondre.
Enfin, le plan stratégique cantonal doit exposer la manière dont le canton définit la procédure de conciliation en cas de différends entre une personne en situation de handicap et une institution d’une part, voire en amont, entre un futur bénéficiaire de prestations et le centre d’indications. Les cantons y travaillent, cherchant, en collaboration avec les associations, une procédure latine commune.
Il semble donc que, loin des craintes exprimées lors des discussions enflammées qui ont eu lieu durant les débats des Chambres fédérales au sujet de la RPT, chaque canton veille bel et bien à ce que toute personne en situation de handicap dispose des prestations qui répondent le plus adéquatement à ses besoins. Tout le monde y gagne : le bénéficiaire comme le contribuable.
Bien plus qu’une simple répartition des tâches entre Confédération et cantons…
Depuis janvier 2008, conformément aux principes de la « Réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons » (RPT), chaque canton est responsable de la planification, ainsi que du subventionnement de la construction et de l’exploitation des homes, ateliers et centres de jour destinés à favoriser l’intégration de ses ressortissants en situation de handicap ; il est tenu de s’assurer d’une surveillance suffisante et évolutive de ses institutions.
Au sens de la LIPPI (Loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides), cette réorganisation des responsabilités cantonales doit faire l’objet d’un document, appelé « plan stratégique », que le législateur a prévu de faire avaliser par le Conseil fédéral. La Constitution fédérale a de surcroît été modifiée en vue de garantir le maintien des prestations offertes aux bénéficiaires au même niveau que lorsqu’elles étaient soutenues par la Confédération, et ce, durant trois ans au minimum, mais aussi longtemps que le canton n’a pas fait reconnaître la pertinence de son plan stratégique. La fin de ces trois ans nous amène à décembre 2010 et il semble donc important de faire le point.
Le fait de transférer ces compétences de la Confédération aux cantons ne devait en effet pas se traduire par l’émergence de vingt-six systèmes cantonaux différents et incompatibles. La loi a donc exigé des cantons une collaboration accrue et le développement de solutions concertées et coordonnées.
Les cantons romands (à l’exception de la partie francophone du Canton de Berne) et le Tessin se sont alliés dans ce but et, comme les commentaires ci-dessus l’expliquent, jamais leurs responsables n’ont collaboré aussi intensivement.
J. L.