Projets de vie pour les personnes cérébro-lésées
Pour retrouver son logement, son travail ou ses occupations, la personne cérébro-lésée a besoin de thérapies intensives. A Neuchâtel, ces patient·e·s expérimentent un traitement combiné à un accueil de jour soutenu. Comment ce parcours est-il organisé?
Par Caroline Allemann, ergothérapeute, Thérapôle ergothérapie sàrl, Neuchâtel
Le parcours d’une personne cérébro-lésée est un long chemin qui débute par un séjour hospitalier dans un service de neuroréhabilitation spécialisé. Il se poursuit par une phase de réadaptation qui vise à compenser les capacités perdues en apprenant à la personne de nouvelles façons d’interagir. En fonction de l’évolution, il est très fréquent qu’un nouveau projet de vie s’organise pour le patient et son entourage [1]. Il est alors nécessaire d’être présents auprès de cette population, pour la soutenir dans cette étape en garantissant des interventions efficaces, coordonnées et personnalisées.
C’est dans le but de soutenir la transition entre l’institution et le retour à domicile que le Centre thérapeutique de jour neuchâtelois (CTJN) [2] est né en 2012 à Neuchâtel. Sa mission est d’offrir un espace de traitement spécialisé en neuroréhabilitation combiné à un accueil de jour qui permet accompagnement et socialisation.
Thérapies coordonnées au domicile, est-ce possible ?
Lorsque la personne cérébro-lésée est hospitalisée en neuroréhabilitation, elle bénéficie d’interventions thérapeutiques intensives et coordonnées. Mais qu’en est-il lorsqu’elle retourne dans son lieu de vie ? Ou lorsqu’elle doit être placée en institution non spécialisée si un retour à domicile est impossible ? L’encadrement interdisciplinaire par des spécialistes et la coordination des soins sont souvent trop conséquents pour être organisés à domicile. De ce fait, la personne cérébro-lésée passe d’une intensité thérapeutique quotidienne à une intervention ambulatoire plus ponctuelle et parfois décousue. De plus, la persistance d’un handicap plus ou moins sévère étant fréquent, cette personne risque de se trouver isolée et les répercussions sur ses proches aidants sont considérables. En effet, ceux-ci n’ont pas toujours les moyens, ni le temps à disposition pour réorganiser leur vie en conséquence.
D’après la Fondation suisse de cardiologie [3], « la persistance d’un handicap ne dépend pas seulement de la localisation et de l’étendue de la lésion dans le cerveau. Une bonne réadaptation joue un rôle important ». Mais qu’est-ce donc une bonne réadaptation ? Plusieurs auteurs s’accordent pour dire qu’une organisation structurée et interprofessionnelle est d’une importance capitale pour le succès de la réhabilitation [4]. Les moyens nécessaires pour l’application d’une politique de coordination efficace, d’après une méta-analyse réalisée aux Etats-Unis [5] sont : un contact personnel entre le coordinateur et le patient, un contact direct et régulier entre le coordinateur et le médecin traitant du patient, un travail pluridisciplinaire, une incitation financière pour les coordinateurs. C’est ce que s’efforce de garantir le CTJN, en proposant un lieu adapté combinant à la fois intensité thérapeutique, accompagnement et socialisation.
Deux jours par semaine, une équipe interdisciplinaire spécialisée en neuroréhabilitation s’organise pour recevoir sous le même toit les personnes cérébro-lésées qui ont un potentiel de rééducation/réadaptation. L’avantage d’une telle structure pour les bénéficiaires et leurs proches est d’effectuer plusieurs heures de thérapies par jour au même endroit. En parallèle des thérapies, des moments libres favorisent la participation sociale et l’autonomie dans les occupations. Les besoins spécifiques à la situation de chaque personne, ainsi que son projet de vie, sont discutés. En fonction des buts définis, un programme personnalisé est établi. Il peut s’agir de sortir d’une institution pour reprendre un appartement, de déménager pour trouver un lieu plus adapté au handicap, de reprendre son activité professionnelle, de sortir de chez soi pour participer à une activité sociale ou de loisir.
Concrètement, comment ça se passe ?
« ...tout peut se faire au même endroit, sur une même journée et surtout par du personnel motivé et formé, qui est à l'écoute des besoins et envies du patient ».
Laurent [6] a 40 ans. Suite à une lésion cérébrale, il souffre d’une hémiplégie et de troubles cognitifs qui limitent son indépendance dans les activités quotidiennes. Après plusieurs mois de réhabilitation dans un centre spécialisé, Laurent va retourner vivre chez ses parents car il n’est pas capable de vivre seul pour le moment. Les médecins lui recommandent de poursuivre la réadaptation, afin de retrouver un maximum d’indépendance et, par la suite, de regagner son propre domicile.
Afin de rendre possible le retour dans son appartement, Laurent est orienté vers le CTJN. Il s’y rendra deux jours par semaine et le reste du temps séjournera chez ses parents. Il doit réapprendre à utiliser les transports publics en fauteuil roulant. Pour vivre seul dans son appartement, il aimerait se déplacer à l’aide d’une canne uniquement. De plus, Laurent aimerait gérer ses finances et ses tâches administratives, qu’il n’a plus exécutées depuis six mois. Il demande à entraîner les activités de cuisine car il aimerait aider ses parents à préparer les repas et réaliser cette tache seul quand il sera chez lui. Enfin, Laurent a encore de la difficulté à s’exprimer, ce qui le gêne pour reprendre ses activités de loisirs.
En fonction des buts de ce patient, le programme thérapeutique est composé de physiothérapie, d’ergothérapie, de logopédie et de neuropsychologie. De plus, il participera à l’atelier cuisine, à un cours de yoga et à un atelier informatique. Les ateliers en groupe lui permettront à la fois de pratiquer des activités qu’il réalisera à son domicile, mais aussi d’échanger avec d’autres personnes (visualiser un exemple de programme).
« Une entraide et des encouragements se créent naturellement du moment qu’on est tous plus ou moins dans la même galère ! Il se crée dans ce centre de véritables amitiés. Car mêmes si les difficultés sont différentes les unes des autres, le fait de se retrouver une ou deux fois par semaine apporte beaucoup de réjouissances et de joie. »
Les prestations de l’accueil de jour
En dehors des heures de thérapies, Laurent partage le repas de midi et des moments de pause avec les autres bénéficiaires du centre. Tout au long de la journée, des moments d’accompagnement lui permettent d’échanger, d’exprimer ses émotions, de se reposer et aussi de pratiquer une occupation de façon autonome. Une accompagnante est présente toute la journée à ses côtés pour apporter l’aide et le soutien nécessaires. Dans ce cadre sécurisant, Laurent met en pratique les progrès réalisés durant les thérapies et expérimente, à nouveau, des situations qui lui étaient habituelles avant sa maladie. De plus, se lever et s’organiser pour la journée au centre de jour lui redonne un rythme qui le prépare à reprendre une vie active.
« En intégrant le centre thérapeutique de jour deux fois par semaine, cela m’a permis de sortir de chez moi, de rencontrer d’autres personnes atteintes d’AVC ou de traumatismes crâniens. J’ai pu parler, échanger et retrouver un lien ‘de famille’ ».
Afin de garantir des prestations toujours adaptées à Laurent, un colloque hebdomadaire de l’équipe interdisciplinaire a lieu. Son évolution est discutée et le programme est adapté au besoin. Pour l’accompagner dans les étapes clés qui l’attendent, des colloques de réseau sont réalisés avec toutes les personnes concernées : ses parents, les thérapeutes et les médecins dans un premier temps, l’employeur, les assurances et les autres professionnels dans un second temps. Parfois, pour faciliter les échanges et la participation du patient, des entretiens en petit comité sont également organisés. Laurent bénéficie ainsi de prestations coordonnées et de soutien pour avancer dans son projet de réintégrer son appartement et de reprendre les occupations importantes pour lui. Soulignons ici que, sans le soutien financier de la Ville et du canton de Neuchâtel, ainsi que de quelques donateurs, le CTJN ne pourrait pas financer ces prestations-là.
Le soutien aux proches aidants
Pour accompagner complètement et efficacement une personne cérébro-lésée, il est important d’intégrer les proches aidants et de leur apporter du soutien. En effet, comme le mentionne l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile, les proches aidants sont indispensables aux projets de maintien à domicile. Le temps investi dans l’aide apportée est considérable, bénévole, et permet de diminuer le recours au système de soins.
Cependant, ce n’est pas sans peine que les proches aidants jouent leur rôle. Un rôle souvent soudain et non-choisi dans le cas de l’accompagnement d’une personne cérébro-lésée qui implique une réorganisation et modifie les relations établies. En effet, du jour au lendemain, des parents peuvent se retrouver à accueillir de nouveau leur fils de 40 ans sous leur toit. Ils sont eux-mêmes âgées, occupés, fatigués et ne possèdent souvent ni les connaissances, ni les moyens financiers pour faire face à la situation. Cette réorganisation engendre, selon plusieurs études [7] [8], une réduction de la participation sociale et un désengagement des proches aidants dans divers domaines de la vie quotidienne, tels que les soins personnels, la productivité et les loisirs. De plus, les études montrent que certains de leurs besoins ne sont pas toujours assouvis. Ces besoins concernent notamment le soutien émotionnel, le soutien pratique, l’information ainsi que le soutien des services de soins.
Ainsi, un accueil de jour offre un temps de répit aux proches aidants. Les thérapies permettent de les décharger et de donner de l’information. Enfin, les colloques et les rencontres permettent de communiquer sur la situation vécue et les besoins, de soutenir et coordonner les interventions, d’encourager et de mettre en place des solutions d’accompagnement spécifiques pour le domicile, le retour au travail, les occupations.
[1] Bossi, R. & Rapin, P.-A. (2011). Quel itinéraire de neuroréhabilitation pour les patients victimes d’un AVC ou d’un TCC ? Revue médicale suisse, 7, 941-943.
[3] Fondation suisse de cardiologie, en ligne
[4] Beer S, et al. (2007). Neuroréhabilitation après un accident vasculaire cérébral. Forum Med Suisse, 7, 294-297.
[5] Peikes D., Chen A., Schore J., & Brown, R. (2009). Effects of care coordination on hozpitalization, quality of care, and health care expenditures among Médicare beneficiaries. 15 randomized trials. Journal of the American Medical Association, 301(6), 603-618.
[6] Prénom modifié.
[7] Pierce, L. L., Thompson, T. L., Govoni, A. L., & Steiner, V. (2012). Caregivers’ incongruence : emotional strain in caring for persons with stroke. Rehabilitation Nursing, 37(5), 258–266. doi : 10.1002/rnj.035
[8] Taha, S., & Sassine Kazan, R. (2016). L’expérience du « prendre soin » vécue par les aidants familiaux survivants d’accident vasculaire cérébral à domicile : une métasynthèse. Revue Francophone Internationale de Recherche Infirmière, 2(3), 159‑169.doi: https://doi.org/10.1016/j.refiri.2016.05.001
Lire aussi:
- Langhorne P. & Duncan P. (2001). Does the organization of postacute stroke care really matter? Stroke, 32(1), 268-74.
- Worrall, L., Brown, K., Cruice, M., Davidson, B., Hersh, D., Howe, T., & Sherratt, S. (2010). The evidence for a life-coaching approach to aphasia. Aphasiology, 24(4), 497‑514. doi: https://doi.org/10.1080/02687030802698152
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Caroline Allemann, «Projets de vie pour les personnes cérébro-lésées», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 17 août 2020, https://www.reiso.org/document/6238