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La vie monastique, modèle de confinement?

Lundi 20.04.2020
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Respecter les consignes pour préserver la communauté. Prendre le temps de lire et de méditer… Les règles actuelles liées à la pandémie semblent proches de celles pratiquées dans la vie monastique. Mais jusqu’où pousser la comparaison ?

Par Annick Anchisi, sociologue, infirmière et professeure, et Laurent Amiotte-Suchet, sociologue, chargé de recherche, Haute école de santé Vaud (HESAV), Lausanne, Haute École Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO)

Vie monastique et confinement : il suffit d’un clic sur les moteurs de recherche pour tomber sur un nombre incalculable d’occurrences qui nous proposent toutes sortes de recommandations délivrées par les moines et moniales pour vivre mieux le confinement imposé. Via les médias, la vie monastique est remise sur le devant de la scène par la crise du Covid-19. En période de Pâques, ces conseils parfois très pratiques se doublent d’injonctions spirituelles et philosophiques. L’occasion de repenser nos modes d’interactions et de production, de favoriser l’introspection et la quête de sens. À l’aune de la crise actuelle, le monastère serait un modèle d’écosystème pour un nouveau projet de société.

Dans le cadre d’une étude sociologique qualitative en cours sur les communautés religieuses contemplatives [1], nous nous intéressons ici aux conditions de vie des moines et moniales de Suisse romande et de Bourgogne Franche-Comté. Nous reviendrons dans ce texte sur ce qui en fait leur spécificité mais aussi sur ce que la vitrine médiatique ne montre pas, soit les risques liés au grand âge qui qualifient également ces lieux et qui les fragilisent.

Abbaye La Pierre qui Vire Bourgogne c LASAbbaye La Pierre qui Vire, Bourgogne 2019 © LAS

Une vie au monastère : endurance et régularité

Se lever, s’habiller, manger à heures fixes, avoir un rythme de sommeil régulier, maintenir une activité physique quotidienne, prendre le temps de lire et de méditer, entretenir des relations sociales bienveillantes… on pourrait penser qu’il s’agit là des conseils d’un coach de vie comme il en fleurit aujourd’hui sur la toile. Il n’en est rien. Il s’agit d’une moniale interviewée dans le cadre d’un journal télévisé à une heure de grande écoute présentée comme une experte en confinement.

La vie monastique est le symbole par excellence de la régularité. Scandé par les offices (de 4 à 8 heures par jour selon les lieux), le temps qui reste se partage entre travail domestique et productif, prière personnelle, étude et, dans de nombreux monastères, accueil d’hôtes. Cette vie en collectivité exige de chacune et chacun participation et respect des règles communes, en limitant les interactions verbales au strict minimum afin de préserver la spiritualité contemplative qui reste prioritaire. Après le repas et l’office du soir, débute le grand silence qui se vit seul∙e en cellule jusqu’au premier office du matin.

«Il y a un fond d’équilibre et de régularité, ça je pense quand même, on n’est pas couchée un soir à 10 h et le lendemain à 3 h du matin. Bon, après, c’est aussi une question d’âge et de génération, mais je pense qu’il y a une forme de régularité de vie et de travail, prière, repos, repas… » (moniale, 62 ans, entretien du 18.10.2018)

Après plusieurs années de formation religieuse, moines et moniales prononcent leurs vœux solennels : pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité. Ils et elles s’engagent à vivre toute leur vie au monastère en respectant les usages de leur communauté. En principe, ils et elles y mourront et y seront enterré∙e∙s. Certes des simplifications ou des allègements de rythme ont été introduits au cours des siècles, mais la règle de départ, séculaire, est toujours suivie. Ce qui donne à ces modes de vie traditionnels, et aux imposants bâtiments qui les abritent, un caractère atemporel.

Une vie cloîtrée à distance des bruits du monde

Toujours définis par le principe de la clôture, plus ou moins matérialisée selon les lieux, les contacts avec l’extérieur varient d’une communauté à l’autre. La plupart des Ordres qui composent nos terrains ont par exemple un site internet qui les présente (photographies des lieux, des activités, offres de services d’hôtellerie, produits monastiques, etc.). Si ces vitrines leur donnent l’occasion d’être vu∙e∙s, cela leur permet aussi de gérer leur image et la perméabilité de la clôture (temps des offices partagés ou des rencontres avec moines ou moniales ; temps de retrait). Plus ou moins poreuse selon les Ordres, la clôture est le signe tangible du type de relation que chaque communauté choisit d’entretenir avec l’extérieur, tout en gardant le contrôle de ses propres frontières.

« Solitaires pour être solidaires » (Prieure, 71 ans, entretien du 24 juillet 2018), le but recherché ici n’est pas de s’extraire des préoccupations du monde, mais d’y apporter une réponse singulière par l’adoption d’un mode de vie exceptionnel. Sensibles aux discours sur la préservation de la planète notamment, portés par le Pape François dans l’encyclique de 2015 Laudato si sur la sauvegarde de la maison commune, les monastères ont une carte à jouer et l’ont bien compris. À l’interne, les façons de faire sont relues à l’aune de valeurs telles que l’écologie intégrale et le développement durable, soit la mutualisation des ressources, le recyclage des déchets ou encore le passage de la culture potagère classique à la permaculture. Les choix en matière de techniques agricoles et de production, le rythme quotidien dense et séquencé tout comme la solidarité intergénérationnelle sont reliés à une approche théologique du rapport à la terre, à soi-même et aux autres et rejoignent largement les aspirations des hôtes de passage, en quête de sens et d’authenticité. Le temps d’un séjour, l’expérience d’introspection qui leur est proposée leur permet de toucher du doigt une forme de vie idéale ou pour le moins idéalisée.

Un monde à part qui vieillit

Derrière l’image donnée par les sites web, le vieillissement d’une grande partie des communautés monastiques est bien réel. La baisse d’effectifs se vérifie depuis les années 60. Le ralentissement des entrées ou le non renouvellement des effectifs selon les Ordres tout comme l’augmentation de l’espérance de vie obligent la plupart d’entre elles à revoir leurs rythmes, à accepter des dispenses ou encore à assouplir les règles. La difficulté de suivre l’entièreté des offices à cause de la fatigue ou des divers handicaps, le travail qui se reporte sur les plus valides tout comme le soutien à apporter aux novices imposent de nouvelles pratiques. Ainsi, certain∙e∙s sont exempté∙e∙s des offices tardifs ou matinaux. Les maladies chroniques comme la démence ne peuvent pas toujours être prises en charge à l’interne, un placement à l’extérieur dans un établissement médico-social est alors nécessaire, en dépit du vœu de stabilité et parfois après plusieurs décennies de vie communautaire.

Même si plusieurs supérieur∙e∙s nous ont affirmé que le vieillissement de leurs membres n’était pas encore leur souci prioritaire, peu de communautés contemplatives ont aujourd’hui les moyens d’assurer la prise en charge coutumière des âgé∙e∙s par les plus jeunes. Certaines d’entre elles s’interdisent l’emploi de novices aux tâches de soins et ont recours ponctuellement à du personnel soignant extérieur. L’entrée des laïques en clôture comme le placement en institution médicalisée transforment le monachisme contemporain. Si ce dernier sait faire preuve d’innovation et de modernité pour séduire ses hôtes, il s’adapte aussi pour être en mesure de prendre soin de ses membres âgés sans compromettre son avenir.

Un modèle qui rassure

Bien que la réalité démographique soit admise, l’idée « d’en avoir vu d’autres » est également récurrente dans les entretiens :

« Ce n’est pas la première fois. Comme c’est arrivé au cours de l’histoire, il y a eu des monastères où souvent il ne restait plus que 2 ou 3 membres. Et puis tout à coup ça redémarrait. » (Abbé, 72 ans, entretien du 28 février 2017).

Dans un monde en constante mutation, ils et elles gardent le cap et tiennent le coup. Les discours situés des médias relayent ce que ces lieux à part veulent bien nous donner à voir : des microcosmes en harmonie, des modèles sociétaux d’intelligence collective révélant encore aujourd’hui leur potentialité. Entre communauté performative et performée se joue alors un discours double : rassurer l’extérieur (on peut vivre avec moins et mieux) et promouvoir l’intérieur (on était là avant, on est là pendant et on sera là après). Reflétant en partie la réalité de la vie monastique, ces affirmations restent néanmoins partielles et ne montrent pas la nécessaire adaptation des monastères en lien avec la vieillesse et les risques sanitaires, y compris ceux d’une épidémie comme le Covid-19 qui a franchi certaines clôtures et affaibli des communautés déjà fragilisées.

À l’instar d’autres vies séparées du monde, comme celle des marins ou des astronautes, moines et moniales sont présenté∙e∙s comme les athlètes d’un modèle d’écologie intégrale. Mais la finalité de leur engagement, tout comme sa durée exceptionnelle, relève d’un choix de vie que l’on s’impose de l’intérieur et qui dépasse de loin une expérience provisoire de confinement. Si l’image que les monastères aiment donner d’eux-mêmes masque en partie la fragilité réelle de ces formes de vie, rien n’empêche cependant d’en relever les bénéfices.

Bibliographie

Des références bibliographiques peuvent être demandés aux auteur∙e∙s. Voir aussi le site internet consacré à cette étude.

[1] « Vivre et vieillir séparé du monde. Stratégies de préservation des ordres monastiques » (recherche FNS, Division I, projet n° 179047).

Comment citer cet article ?

Annick Anchisi et Laurent Amiotte-Suchet, «La vie monastique, modèle de confinement?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 20 avril 2020, https://www.reiso.org/document/5819