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Rapprocher école et familles: espoirs déçus

Jeudi 24.01.2019
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Pour que l’égalité des chances se réalise, une piste d’action réside dans une nouvelle collaboration entre l’école et les familles. Les expériences menées à ce jour sont pourtant décevantes. A cause de l’ethnocentrisme de l’école ?

Par Tania Ogay, professeure au Département des Sciences de l’éducation de l’Université de Fribourg

Devant le défi aujourd’hui toujours non résolu de l’égalité des chances de réussite scolaire pour les enfants de familles migrantes et/ou socialement défavorisées, la collaboration entre l’école et les familles suscite beaucoup d’attentes, en Suisse comme ailleurs. En rapprochant école et familles autour de l’objectif commun d’éducation de l’enfant, on espère favoriser une meilleure cohérence éducative qui soutienne l’enfant dans son parcours scolaire mais aussi de vie. Il est question non seulement de collaboration, mais également de partenariat et de coéducation. Développer la collaboration avec les familles fait ainsi désormais partie de la mission des professionnels de l’école, qui pour autant ne bénéficient encore que trop rarement d’une préparation adéquate à cette facette de leur métier.

Des attentes difficiles à concrétiser dans la pratique

La concrétisation dans les pratiques des attentes envers la collaboration école-familles s’avère difficile. Les nombreuses recherches réalisées dans divers contextes en dressent un bilan décevant. Comme la recherche ethnographique COREL [1], qui a été réalisée entre 2012 et 2015 auprès de familles principalement migrantes et/ou socio-économiquement défavorisées dont le premier enfant débutait sa scolarité dans un établissement scolaire du canton de Fribourg. Les interactions entre les parents et les six enseignantes des quatre classes accueillant les élèves de 1e et 2e années ont fait l’objet d’observations, des entretiens de recherche ont été réalisés avec les parents (à domicile) et les enseignantes (à l’école), et les documents qui transitent entre l’école et les familles ont été collectés. Si aucun conflit ouvert entre parents et enseignantes n’a été observé pendant ces trois années de terrain, la qualité des relations observées est apparue insuffisante pour pouvoir parler d’une véritable collaboration entre l’école et les familles. Au lieu des relations conflictuelles dont parlent souvent les médias, ce sont des frustrations qui ont été constatées quant à la collaboration que tous souhaitaient pourtant créer pendant cette première année d’école. Espoirs déçus que parents et enseignantes ne se sont pas exprimés, soucieux d’éviter le conflit et de préserver une apparence de bonne entente.

Lors des entretiens de recherche réalisés avant le début de l’école, les parents imaginaient souvent leurs futurs échanges avec l’enseignante dans une vision enchantée (encore plus lorsque leur enfant avait fréquenté une crèche, les parents s’étant alors habitués à être quotidiennement informés des faits et gestes de leur progéniture). Les premières semaines d’école leur ont fait revoir à la baisse leurs attentes quant aux possibilités d’échanger avec les enseignantes, notamment dans les moments de transition au début ou à la fin d’une période scolaire. En effet, les parents comme les chercheurs ont rapidement constaté que le temps à disposition, et même l’espace suivant la configuration spatiale du bâtiment scolaire, étaient bien trop restreints au vu du nombre de parents ou accompagnants présents. Plusieurs parents ont observé la complexité de la tâche des enseignantes dans ces moments de transition, où se transmet la responsabilité de l’enfant/élève. Soucieux de ne pas déranger l’enseignante, ils se sont mis en retrait de la scène et évitaient d’initier un échange, s’attendant à ce que l’enseignante le fasse si elle l’estimait nécessaire. Les parents ont aussi très rarement sollicité un entretien, refroidis par l’association entre « entretien » et « problème » opérée par les enseignantes les invitant à « demander un entretien en cas de problème ».

L’asymétrie de la relation enseignantes-parents

La réserve des parents a été interprétée par les enseignantes comme l’expression de leur peu d’intérêt pour la scolarité de leurs enfants, également comme un manque de reconnaissance de l’importance des premières années d’école et des apprentissages qui y sont faits, et donc un manque de reconnaissance de leur propre travail. Malgré la bienveillance affichée par les enseignantes envers la relation école-familles, certaines étant mêmes très investies, elles n’ont pas échappé à la vision déficitaire des parents migrants et/ou socio-économiquement défavorisés constatée dans de nombreuses autres recherches auprès des professionnels de l’école. Cette vision déficitaire se traduit dans la relation par une asymétrie entre les enseignantes-expertes et les parents-exécutants des conseils ou prescriptions qui leur sont faites. L’asymétrie de la relation provoque chez les parents le sentiment de ne pas être reconnus dans leurs compétences éducatives, ils se désinvestissent alors du partenariat qu’ils avaient pourtant souhaité, renforçant encore la vision déficitaire des enseignants.

Un paradoxe s’est fait jour : d’un côté, les enseignantes exprimaient des attentes fortes envers les parents (qui devraient préparer les enfants à entrer à l’école puis soutenir à la maison le travail de l’école, notamment en entraînant leur capacité à s’habiller seul mais aussi certaines compétences spécifiques comme la tenue du crayon ou des ciseaux). De l’autre côté, les enseignantes ont très peu dévoilé aux parents de ce qu’est l’école et de ce qui s’y passe, encore moins de leurs propres pratiques professionnelles. Par exemple, au sujet d’un enfant considéré comme trop peu autonome, les enseignantes disaient aux parents ce qu’ils devaient faire à la maison pour y remédier, mais n’explicitaient pas les stratégies qu’elles-mêmes mettaient en œuvre en classe, comme si le « problème » était à résoudre par les seuls parents.

Derrière les implicites de l’école : l’ethnocentrisme

Derrière les nombreux non-dits de l’école – y compris pour des informations comme l’indication du lieu où se trouve la classe que parents et futurs élèves sont invités à visiter quelques semaines avant la rentrée – se cache une pensée ethnocentrique. Parce que « tout le monde sait ou devrait savoir » ce que l’on sait soi-même, on n’arrive pas à imaginer que d’autres puissent avoir un autre cadre de référence que le sien. Difficile dès lors de prendre en compte les besoins des autres et d’instaurer une collaboration équilibrée !

Au-delà de l’ethnocentrisme des acteurs individuels, c’est l’ethnocentrisme de l’école en tant qu’institution qui est apparu dans cette recherche comme faisant obstacle à la collaboration école-familles. Étant donné le rôle particulier de l’école qui a pour mission de transmettre la culture aux jeunes générations, il n’est pas étonnant que l’école soit ethnocentrique. Ses textes législatifs, procédures et prescriptions en sont imprégnés. Mais à l’heure où les populations se diversifient, où les sociétés changent et s’ouvrent à une pluralité d’opinions, le cadre de référence culturel de l’institution scolaire est appelé à s’élargir. Sinon, l’école n’est lisible que pour les parents qui en partagent déjà les implicites : parce qu’ils y ont été eux-mêmes élèves, qu’ils en parlent la langue, qu’ils sont de milieux socio-culturels proches de celles et ceux qui font l’école. Pour les autres parents, l’école ethnocentrique reste un monde étranger et étrange. La collaboration école-familles se révèle alors un piège pour les élèves à qui elle était censée bénéficier en premier, une spirale de l’échec se met en place: l’école leur étant illisible, les parents ne s’impliquent pas de la façon attendue par les enseignants et se sentent incompétents dans leur rôle de parents d’élève ; leur participation hésitante renforce les acteurs scolaires dans leur vision déficitaire de ces parents ; pensant que les parents ne sont pas intéressés ou qu’ils sont incompétents, les enseignants leur donnent encore moins d’informations, interagissent moins avec eux, ce qui rend l’école encore plus obscure pour ces parents.

Pour que la collaboration ne soit pas un piège

Quand elle n’est que discours, prescription ou simple vision romantique, la collaboration école-familles se retourne contre les familles minoritaires. Elle ne fonctionne d’ailleurs pas très bien non plus avec les autres familles. En effet, lorsque derrière « collaboration entre l’école et les familles » on entend en réalité « collaboration des parents avec l’école » comme le formulait la première version du règlement de la nouvelle loi scolaire fribourgeoise, on est dans une vision unilatérale de la collaboration. Il s’agit d’une relation asymétrique où il est implicite que dans le « rapprochement entre l’école et les parents », seuls les parents bougent. Il n’est dès lors pas étonnant que de nombreux parents ne se sentent pas à l’aise dans cette conception de la collaboration école-familles.

Si l’institution scolaire souhaite promouvoir la collaboration avec les familles, il lui faudra commencer par travailler à sa propre capacité de décentration, afin de reconnaître la pluralité des formes de participation des parents et accueillir toutes les familles, et donc tous les élèves. Ce processus lui demandera d’autant plus d’efforts que la diversité de son personnel est faible.

Pour revenir à la question de l’égalité des chances de réussite scolaire, même si elle peut y contribuer, il serait erroné de faire de la collaboration entre l’école et les familles le remède miracle aux inégalités scolaires. Parce que cela ne saurait suffire, et parce que cela reviendrait à faire porter aux seules familles le fardeau de la responsabilité des inégalités de réussite scolaire. Il s’agit également, et surtout, d’empoigner sérieusement la question des discriminations à l’école et dans la société en général, dont on ne peut attendre qu’elle soit résolue par les personnes et les groupes sociaux qui en sont les victimes.

 

Bibliographie

  • Asdih, C. (2017). Coéducation, compétences parentales et professionnelles. Administration & Éducation, (153), 31‑36.
  • Boulanger, D., Larose, F., Grenier, N., Doucet, F., Coppet, M., & Couturier, Y. (2014). Les discours véhiculés dans le champ du partenariat école-famille-communauté : analyse de la documentation scientifique. Service social, 60(1), 119‑139.
  • Cohen-Emerique, M. (2011). Pour une approche interculturelle en travail social. Théories et pratiques. Rennes: Presses de l’EHESP.
  • Felouzis, G., & Goastellec, G. (Éd.). (2015). Les inégalités scolaires en Suisse: école, société et politiques éducatives. Bern ; Berlin [etc.]: P. Lang.
  • Ogay, T. (2017). L’entrée à l’école, berceau de l’alliance éducative entre l’école et les familles? Le rôle perturbateur des implicites de l’école. Revue suisse des Sciences de l’éducation, 39(2), 336‑351.
  • Périer, P. (2012). De quelques principes de justice dans les rapports entre les parents et l’école. Education & didactique, 6(1), 85–96.

[1]  « Quand l'enfant devient élève, et les parents, parents d'élèves. Construction de la relation entre familles et l'école lors de l'entrée à l'école. », projet FNS n° 100019 152695, en ligne

Comment citer cet article ?

Tania Ogay, , «Rapprocher école et familles : espoirs déçus», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 24 janvier 2019, https://www.reiso.org/document/3955