Une justice restaurative pour aider les victimes
Alors que la loi vise à défendre les victimes d’infraction, la procédure pénale les confine dans un rôle de partie adverse. Des processus restauratifs permettraient pourtant aux victimes de se reconstruire et aux auteurs de se responsabiliser.
Par Catherine Jaccottet Tissot, titulaire du brevet d’avocat et membre honoraire de l’Ordre des avocats vaudois, Lausanne, et Pascale Haldimann, assistante sociale
La Loi sur l’aide aux victimes (LAVI) s’articule autour de trois axes : l’aide dispensée par les centres de consultation, les droits de la victime dans la procédure pénale et l’indemnisation du préjudice subi [1]. Depuis 1993, elle a connu deux révisions et une refonte ; aujourd’hui, elle traverse une nouvelle évaluation [2].
Cette importante activité législative révèle la richesse et la complexité du sujet. A cheval entre le renforcement des droits de la victime et la réparation du préjudice issu de l’infraction, la LAVI instaure un système hybride qui présente certains dangers [3]. Elle vise en effet à la fois à garantir l’exercice d’un droit et à permettre l’expression et la satisfaction de besoins fondamentaux. Ces éléments se rattachent à des paradigmes différents qui présentent chacun leur propre logique. L’un se réclame du respect de la loi, l’autre se réfère à une éthique de la responsabilité.
Actuellement, la procédure pénale ne permet pas à la victime d’exprimer ses besoins, de faire le récit des événements tels qu’elle les a vécus, de dire les facteurs de reconstruction qui lui permettront d’aller de l’avant. Assignée au rôle de partie adverse de l’auteur, elle ne peut échapper, malgré les protections procédurales que lui confère la LAVI, à l’obligation de fournir la preuve de ses allégations, à la nécessité de convaincre le juge qui ne saurait la croire sur parole. Cela est conforme aux règles du procès pénal et contribue à garantir le respect des droits de la défense. Mais, alors qu’elle croyait trouver dans la justice pénale le lieu d’atténuation de ses souffrances, la victime découvre que c’est en fait le lieu des affrontements. Ces constats invitent à s’orienter vers une approche véritablement réparatrice et reconstructive.
Les principes de base de la justice restaurative
Pour la justice restaurative, l’infraction est un acte qui occasionne un dommage aux personnes et porte atteinte aux liens qu’elles entretiennent entre elles et avec leur entourage. Ce type de justice peut s’appliquer à toutes les infractions, même aux plus graves, il faut le souligner, pour lesquelles il s’est révélé en pratique qu’elle était plus efficace que dans les «cas bagatelle». Le dommage ainsi occasionné crée des besoins dont il convient autant que possible de réparer les conséquences.
Les cinq questions de Howard Zehr [4] cernent de manière simple et concrète l’approche restaurative. Qui a subi un dommage ? Quels sont les besoins ? A qui revient-il d’y répondre ? Qui est légitimé à s’investir dans la recherche de solutions réparatrices ? Selon quel processus ? Ajoutons que cette approche est régie par plusieurs règles : le caractère volontaire de la démarche, la confidentialité, la sécurité psychique et physique des protagonistes, la formation adéquate du facilitateur. Elle peut prendre des formes diverses [5].
La médiation. Premiers à avoir été mis en place, ces programmes impliquent l’intervention d’un médiateur qui mène des entretiens séparés avec les parties avant une éventuelle rencontre directe. Le respect du principe de la médiation volontaire est important pour éviter toute victimisation secondaire. L’objectif de la médiation est de permettre à la victime d’exprimer ses besoins et aux parties de trouver un accord mettant fin au conflit.
Conférences familiales ou communautaires. Outre l’auteur et la victime, leurs amis et leurs proches, des membres de la communauté sont invités. Ces personnes participent à une procédure facilitée par des professionnels, analysent les conséquences de l’infraction, recherchent des solutions réparatrices et des moyens d’éviter la récidive.
Peace Circles ou Peace making circles. Selon ce processus, les participants qui sont assis en cercle se passent une talking piece (objet de parole) qui permet à chacun de s’exprimer, l’un après l’autre, dans l’ordre où l’on est assis. Un ensemble de valeurs ou même une philosophie sont souvent affirmés au début du processus, dont on souligne l’importance et que chacun respectera. Une ou deux personnes jouent le rôle de facilitateur. Les participants au cercle sont la victime, l’auteur, leurs proches, d’autres personnes concernées par l’infraction (membres de la community selon la terminologie anglo-saxonne).
Cercles de détermination de la peine. Appliqué dans de nombreuses communautés aborigènes du Canada, ce processus invite l’auteur, la victime, leurs proches, mais aussi la police, les avocats et le procureur à trouver des solutions réparatrices tenant compte des besoins, et de la victime et de la communauté. La sanction qu’il y a lieu d’infliger au coupable est aussi discutée, elle fait partie d’un accord qui permet le classement de l’affaire au pénal. Le cercle assure le suivi de l’accord.
Dialogue restauratif direct ou indirect [6]. Ces programmes s’adressent le plus souvent à des auteurs en exécution de peine. Ces derniers sont encouragés à assumer la responsabilité de leur acte et à développer leur capacité d’empathie. Les contacts avec la victime sont souvent indirects (par l’intermédiaire d’un facilitateur, contacts épistolaires, parfois même simple échange d’objets).
A noter que la justice restaurative peut intervenir parallèlement à l’enquête pénale ou en phase d’exécution du jugement. Dans ce deuxième cas, elle n’aura aucune influence sur la quotité de la peine. On distinguera aussi la justice restaurative des approches restauratives qui se déploient en dehors de toute procédure.
Le récit, l’écoute et la responsabilisation
Textuellement, la loi actuelle sur l’aide aux victimes apparaît comme exclusivement orientée vers la défense des droits et des intérêts de la victime et de ses proches [7]. Une série de questions en résulte. Cette orientation de base est-elle compatible avec l’introduction, dans le corps même de la loi, d’une passerelle vers la justice restaurative qui fait surgir l’auteur, protagoniste nécessaire du dialogue restauratif ? Doit-on admettre le postulat selon lequel ce qui nuit aux auteurs profite immanquablement aux victimes ? Dans cette logique, assure-t-on la protection des victimes en accroissant l’intensité de la riposte pénale et la sévérité des sanctions ? Comment la victime vit-elle la libération du condamné, au terme de sa peine ?
Pour répondre à ces questions légitimes, il faut se référer à une approche « renversée » selon laquelle, dans nombre de situations, ce qui est bon pour les uns profite également aux autres. En effet, surmonter le choc lié à l’infraction implique la capacité d’en faire le récit. Dans ce but, développer la capacité d’empathie de l’auteur peut constituer, à côté d’autres approches, l’une des conditions du récit de la victime [8].
Un deuxième postulat mérite d’être interrogé : l’auteur serait l’agent actif de la réparation du dommage causé par son acte, la victime restant dans l’attente de ce qui lui sera offert. Cantonner la victime à ce rôle passif alors qu’elle est seule à connaître la nature et l’ampleur de son dommage ainsi que les besoins qui en découlent ne constitue pas le préalable adéquat à une véritable reconstruction. La victime doit être soutenue dans l’expression de ses besoins. L’auteur doit être mis en situation de pouvoir les entendre. C’est pour lui le préalable nécessaire à sa responsabilisation.
Cet élargissement nous ramène à cette idée de base selon laquelle ce qui profite aux uns peut profiter aux autres. L’auteur ne peut que grandir à travers la recherche active des moyens de réparer le dommage résultant de son acte.
On ne soulignera donc jamais assez cet apparent paradoxe que la victime profite directement des effets positifs de l’approche restaurative sur l’auteur. Le développement de la capacité d’écoute et d’empathie de ce dernier est un préalable nécessaire à une rencontre directe ou indirecte au cours de laquelle la victime pourra exprimer ce qu’elle a ressenti et recevoir des réponses à ses nombreuses questions, réponses que l’auteur est souvent seul à pouvoir lui donner [9]. Au-delà des effets positifs pour la victime, la recherche montre que le développement de la capacité d’empathie est chez l’auteur un frein puissant à la récidive [10].
Les notions de réparation et de subsidiarité
L’idée selon laquelle la victime ne saurait être la première à solliciter la mise en route d’un processus restauratif de crainte que le possible refus de l’auteur d’y prendre part ne provoque une victimisation secondaire ne peut être soutenue. Une telle approche enlève tout pouvoir d’initiative aux victimes, or dans bien des cas, la restitution d’un tel pouvoir, qui précisément lui a manqué lors de la commission de l’infraction, constitue une étape importante vers une forme de reconstruction. En outre, les raisons pour lesquelles l’auteur ne souhaite pas un tel échange constituent déjà une réponse à la première question de la victime. Il est possible enfin que l’auteur ne soit pas prêt à engager un tel dialogue au moment où la demande est formulée mais qu’il revienne ultérieurement sur sa décision.
Il n’y a donc aucune contre-indication fondamentale à l’élaboration de passerelles permettant, à partir de la LAVI, d’accéder à des espaces restauratifs [11]. Au contraire, il y a une logique puissante et cohérente qui demande l’élaboration de tels lieux de passages. C’est la notion de réparation qui rend nécessaire le recours à la justice restaurative et justifie son ancrage dans la loi. La brèche ouverte par le principe de la subsidiarité de l’aide aux victimes confirme cette nécessité. Que signifie en effet ce principe si ce n’est qu’il appartient avant tout à l’auteur de tout mettre en œuvre pour réparer le dommage consécutif à son acte ?
Par rapport à la France, l’Allemagne, l’Italie ou la Belgique, la Suisse accuse encore un retard important dans la mise en œuvre de processus restauratifs même si on ne peut que se réjouir des démarches entreprises ces dernières années [12]. Les expériences menées dans d’autres pays font ressortir les limites de cette approche, tributaire de la volonté des professionnels de la justice pénale de prendre en compte la perspective de la victime, de la capacité d’écoute des personnes concernées par l’infraction et de leur «compétence morale», pour reprendre une expression du spécialiste belge Ivo Aertsen.
En cas d'attentat terroriste, mais également d'accidents de train ou d'avion ou d'autres événements dits extraordinaires au sens de l'art. 32 LAVI et 9 OAVI, susceptibles de causer des dommages à un grand nombre de victimes, des processus de justice restaurative seraient parfaitement adaptés pour les soutenir et répondre à leurs besoins.
Notre pays a urgemment besoin d’une justice restaurative ouverte, réaliste et efficace, notamment pour répondre aux nouveaux risques d'infractions violentes et aux besoins spécifiques des victimes de masse. D'autant plus que les processus de justice restaurative se concilient particulièrement bien avec la tradition humanitaire de la Suisse.
[1] Ce texte est une adaptation pour le lectorat interdisciplinaire de REISO de l’article : Catherine Jaccottet Tissot / Pascale Haldimann, Le droit à des processus restauratifs dans l’aide aux victimes, in : Jusletter 23 octobre 2017, lien internet. De nombreuses précisions juridiques développées dans l’article complet ne sont que mentionnées ici.
[2] Jonas Weber / Marianne Johanna Hilf / Ueli Hostettler / Fritz Sager, Evaluation des Opferhilfegesetzes, Institut für Strafrecht und Kriminologie der Universität Bern, Berne 2015.
[3] Pour les dangers du mélange entre système judiciaire et approche réparatrice, voir Catherine Jaccottet Tissot, En droit suisse, quelle place pour la justice restaurative ?, in : Nicolas Queloz / Catherine Jaccottet Tissot / Nils Kapferer / Marco Mona, Mettre l’humain au centre du droit pénal : les apports de la justice restaurative, éditions Schulthess, Genève / Zurich 2018. Présentation
[4] Cf notamment Howard Zehr, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, éditions Labor et Fides, coll. « Le champ éthique, 57 », Paris 2012 ; Howard Zehr, Changing Lenses – a new focus on crime and justice, 3e édition, Scottdale, 2015 ; John Braithwaite, Building Legitimacy through Restorative Justice, in : Tom Tyler (édit.), Legitimacy and criminal Justice – International Perspectives, New-York 2007 ; John Braithwaite, Restorative Justice and Responsive Regulation, Oxford University Press, New-York 2002 ; Claudio Domenig, Restorative Justice und integrative Symbolik, éditions Haupt, Berne 2008.
[5] Cf notamment Manuel sur les programmes de justice réparatrice – Série de manuels sur les réformes de la justice pénale, Nations Unies, New York 2008. Les formes de justice restaurative sont tirées de ce manuel. Il est accessible en format pdf.
[6] Voir notamment le projet européen Building Bridges en ligne.
[7] Art. 1 LAVI al. 1 et 2: « Toute personne qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (victime) a droit au soutien prévu par la présente loi (aide aux victimes). Ont également droit à l’aide aux victimes, le conjoint, les enfants et les père et mère de la victime ainsi que les autres personnes unies à elle par des liens analogues (proches)».
[8] Hal Pepinsky, Empathy and Restoration, in : Dennis Sullivan / Larry Tifft (édit.), Handbook of Restorative Justice – A Global Perspective, éditions Routledge, Londres / New York 2006, pp. 188–197.
[9] Shad Maruna, Making Good – How Ex-convicts Reform and Rebuild their Lives, American Psychological Association, Washington DC 2001.
[10] Voir notamment : Gwen Robinson / Joanna Shapland, Reducing recidivism : A task for restorative justice ?, British Journal of Criminology, vol. 48(3), Londres 2008, pp. 337–358 ; Antony Pemberton / Frans Willem Winkel / Marc Groenhuijsen, Evaluating Victims Experiences in Restorative Justice, British Journal of Community Justice, vol. 6, N° 2, Londres 2008, pp. 98–119 ; Meredith Rossner, Healing Victims and Offenders and Reducing Crime : A Critical Assessment of Restorative Justice Practice and Theory, The Sociology Compass, vol. 2, Issue 6, 2008, pp. 1734– 1749.
[11] L’art. 14 al. 1 LAVI pourrait être libellé comme suit : « Les prestations, fournies en Suisse, comprennent l’assistance médicale, psychologique, sociale, matérielle et juridique appropriée, ainsi que l’accès à des processus restauratifs, dont la victime et ses proches ont besoin à la suite de l’infraction ».
[12] Démarches menées par l’Association pour la justice restaurative en Suisse romande (AJURES, site internet) et par le Forum suisse de la justice restaurative en Suisse alémanique, site internet.
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Comment citer cet article ?
Catherine Jaccottet Tissot et Pascale Haldimann, «Une justice restaurative pour aider les victimes», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 5 février 2018, https://www.reiso.org/document/2644