Drogues et vieillesse : quel accompagnement ?
Afin de réduire les risques, les usagers toxicodépendants sont accompagnés dans des structures d’accueil à bas seuil. Comment faire face au vieillissement de ce public particulier ? Faut-il adapter les pratiques ?
Par Lucie Repond et Maud Umiglia, travail de bachelor à la Haute école de travail social Fribourg
Le vieillissement de la population concerne la société en général aussi bien que les usagères et usagers de drogues. Comment travaillent les éducatrices et éducateurs sociaux dans les structures d’accueil à bas seuil avec les personnes poly-toxicodépendantes vieillissantes ? Comment se représentent-ils l’accompagnement de ce public spécifique ? La recherche [1] présentée dans cet article a visé à mieux comprendre la réalité des consommateurs vieillissants (du point de vue des professionnels) et à caractériser l’accompagnement, notamment en terme de réduction des risques.
L’accueil à bas seuil s’est considérablement développé en Suisse depuis la politique des 4 piliers (prévention, thérapie, réduction des risques, répression). En mettant en œuvre des actions autant sanitaires que sociales, la réduction des risques a pour objectif de permettre à une partie de la population concernée d’améliorer ses conditions de vie et de préserver sa santé. Selon Ledermann et Sager (2006), ce modèle des 4 piliers donne à la Confédération les moyens de « (…) mettre à disposition des personnes toxicodépendantes une aide pragmatique répondant à leurs problèmes particuliers en postulant tout à la fois la responsabilité individuelle et le droit à obtenir aide et protection ».
Notre recherche s’est basée sur sept entretiens qualitatifs menés auprès d’éducatrices et d’éducateurs sociaux travaillant depuis au moins une année dans une structure d’accueil à bas seuil dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Répartis dans quatre structures, les professionnel·le·s ont partagé au moins une situation dans laquelle ils et elles ont accompagné une personne poly-toxicodépendante vieillissante.
Un vieillissement précoce
Premier constat unanime des équipes interrogées : à partir de 45 ans environ, un usager de drogues peut être considéré comme vieillissant. En effet, la consommation de longue durée accélère le processus de vieillissement notamment au niveau physique. Les professionnel·le·s expliquent cette précocité des signes de vieillissement par le jeune âge des premières consommations ainsi que par le nombre, parfois élevé, d’années de consommation. De plus, les usagers poly-toxicodépendants vieillissants présentent, pour la majorité d’entre eux, des comorbidités physiques et psychiques. En plus des problèmes de santé, ces comorbidités engendrent, dans de nombreux cas, une perte de motivation ainsi qu’une forme d’épuisement.
Une autre réalité mise en évidence dans les entretiens est l’isolement social des usagères et usagers vieillissants. Ils fréquentent les lieux d’accueil à bas seuil dans le but de développer des contacts sociaux. En premier lieu, ils recherchent le contact avec les collaborateur·trice·s. Ce qu’ils attendent principalement de ces échanges sont le lien de confiance, la reconnaissance, la valorisation ainsi que le non-jugement. Dans le contact avec les autres usager·ère·s, les échanges prennent plutôt la forme de partage d’expériences.
En ce qui concerne plus directement l’accompagnement sanitaire, les professionnel·le·s ont relevé que, dans la majorité des cas, sortir de la dépendance n’est plus envisageable pour ces personnes dépendantes depuis de nombreuses années. Dans leur suivi, ils mettent en place des objectifs atteignables et réalistes qui respectent également les compétences et la volonté de chaque usager·ère.
Les facilitateurs de l’accompagnement
Certains facilitateurs ont été mis en évidence. Souvent, les personnes vieillissantes fréquentent la structure depuis longtemps. De ce fait, le lien avec l’équipe est construit et solide. La qualité de ce lien permet aux professionnel·le·s d’être plus directs et confrontants avec leur public, sans craindre de briser la relation de confiance. A noter aussi que les personnes dépendantes semblent installées dans une routine qui leur permet de vivre dans une relative stabilité. Cette situation les amène à fréquenter de manière plutôt régulière la structure. Il est ainsi plus facile pour les accompagnant·e·s de garder le contact et la proximité nécessaires au suivi.
En ce qui concerne la réduction des risques sanitaires, les pratiques sont en général acquises. Cependant, certains comportements à risques peuvent exister et sont parfois ancrés dans les habitudes. Il est alors plus difficile d’accompagner la personne et de l’amener à modifier son mode de consommation pour adopter des pratiques moins dangereuses.
Dans les structures à bas seuil, l’accompagnement des usagères et usagers poly-toxicodépendants vieillissants vise finalement à amener la personne à apprendre vivre avec sa dépendance. La pratique de la réduction des risques y prend tout son sens.
Quant au vieillissement des usager·ère·s ? Les professionnel·le·s ont confié n’avoir pas vraiment pris le temps d’y réfléchir. Au fil des entretiens, plusieurs questionnements sont apparus sur cet aspect de leur pratique. Ils et elles se sont alors demandé si les structures actuelles suffisent ou si elles devraient être adaptées pour les plus de 50 ans. Les personnes poly-toxicodépendantes vieillissantes auraient-elles besoin de structures particulières ? Et si oui, lesquelles ? Ces questions restent ouvertes.
[1] « L’accompagnement des personnes poly-toxicodépendantes vieillissantes dans les structures d’accueil à bas seuil : Regards croisés de sept éducateurs sociaux ». Travail de Bachelor présenté par Lucie Repond et Maud Umiglia, sous la direction de Mme Florence Galland Laini, 2015, 111 p. (annexes comprises).