L’EMS de demain se redessine en Suisse romande
Les besoins en soins et en accompagnement des aînés augmentent. Parallèlement, les baby-boomers souhaitent une approche plus individualisée et auto-déterminée. Les habitats différenciés et les EMS sont-ils prêts à franchir ce cap ?
Par Camille-Angelo Aglione, responsable adjoint du Domaine spécialisé personnes âgées de CURAVIVA Suisse, membre du Comité de l’Association REISO
Un rapport zougois paru en début d’année (KÖPPEL, 2016 [1]) s’interroge sur les alternatives à l’EMS pour les résidents ayant des faibles besoins en soins. C’est que, comme le révèle l’enquête, la situation concerne environ 27% des résidents en EMS du canton. Sont considérés comme « résidents avec des faibles besoins », les personnes qui nécessitent moins de quarante minutes de soins par jour, voire pas de soins du tout. Les raisons de ces institutionnalisations peuvent être multiples et, révèle l’enquête, se concentrent principalement autour de problèmes physiques ou psychiques, mais aussi lorsque le précédent domicile a dû être quitté ou lorsque le conjoint est lui-même hébergé en institution.
Le responsable d’EMS romand qui lit un tel rapport mesure le décalage avec sa réalité. En effet, dans la majorité des établissements romands, le pourcentage de personnes âgées qui requièrent peu ou pas de soins ne dépasse pas 3% (OBSAN, 2016 [2]). Ces résultats ne traduisent pas de différences démographiques, avec 16% de sa population âgée de 65 ans et plus, le canton de Zoug est tout à fait similaire au canton de Vaud par exemple (OFS, 2014). Ces différences s’expliquent par des orientations stratégiques dans les soins de longue durée entre les cantons suisses.
Le premier virage ambulatoire
En Suisse romande, les politiques cantonales ont été marquées dès les années 2000 par ce qui a été qualifié de « virage ambulatoire ». Comprendre par cette formule la volonté de développer, sous l’impulsion et avec le soutien de l’Etat, des soins à domicile. Ces choix ont absorbé une partie de la demande en permettant à des personnes âgées ayant besoin de soins de rester dans leur domicile. Par conséquent, les « clients » des EMS romands sont plus âgés et nécessitent plus de soins que leurs homologues des cantons alémaniques.
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Le second virage stratégique
Cette vision de l’EMS comme un prestataire de soins uniquement a cependant montré ses limites et les cantons romands doivent désormais négocier ce que nous qualifierons de second virage. L’approche médico-centrée révèle en effet des lacunes, dans la prise en compte de l’accompagnement socio-culturel notamment. La Suisse romande a alors redécouvert le sens du « S » de l’acronyme EMS (pour établissement médico-social) et des structures dédiées à l’accompagnement des aînées ont ainsi été développées. Le canton de Vaud s’est particulièrement illustré en la matière en développant des Centres d’accueil temporaires (CAT). Ces structures accueillent des personnes âgées et leur proposent un accompagnement socio-culturel jusqu’à cinq jours par semaine et/ou trois nuits. Il est ainsi possible de continuer à vivre chez soi, sans pour autant dépendre uniquement de ses proches et/ou des soins à domicile. Une offre similaire est proposée dans l’ensemble des cantons romands.
Parfois cependant, l’accueil temporaire n’est pas suffisant. Cela peut être le cas à la suite d’une maladie par exemple ou lorsqu’un proche aidant part en vacances ou est lui-même malade. L’hôpital constituait autrefois la seule alternative, mais aujourd’hui les EMS accueillent des clients pour des courts séjours. Dans certains cantons, des établissements sont même spécialisés dans ce type d’offre.
Les effets du vieillissement peuvent également rendre impossible le séjour dans son domicile à cause de barrières architecturales (nombreux escaliers par exemple) et/ou d’isolement géographique. Pour autant, ni les besoins en soins, ni ceux en accompagnement socio-culturels ne nécessitent une entrée en institution. Que faire alors ? C’est précisément à cela que tentent de répondre les appartements protégés. Le terme n’est pas régulé au niveau fédéral et de ce fait recouvre une offre hétérogène, mais dans la grande majorité des cantons, sont considérés comme appartement protégés des habitats adaptés (au niveau architectural, absence de seuils par exemple) et disposant au minimum d’un service de surveillance, souvent d’une offre socio-culturelle (animation).
L’ensemble de ces solutions (accueil temporaire, court séjour, logements protégés) constituent des « structures intermédiaires ». Sous-entendu, elles se situent entre l’ambulatoire (soins à domicile) et le stationnaire (hôpital, EMS long séjour). L’Observatoire suisse de la santé s’est récemment penché sur cette offre et résume la situation ainsi (OBSAN, 2016 [3]) :
- L’offre et le rôle de ces structures est aujourd’hui déjà important ;
- L’offre se développe rapidement ;
- La palette et le nombre de structures varie entre les cantons ;
- Ces structures sont plus nombreuses dans les cantons ayant opéré le virage ambulatoire.
Le rapport démontre également que plus de la moitié de ces structures sont gérées par des EMS.
Ce dernier constat illustre parfaitement pourquoi la réduction de l’EMS au rôle traditionnel d’accompagnement et de soins de longs séjours est dépassée. Les EMS romands ne sont plus, à l’instar de leurs homologues zougois, des maisons de retraite. Ils ne sont cependant pas réductibles comme d’aucuns le suggèrent, à des mini-hôpitaux gériatriques. Certes, certaines structures se spécialisent, par exemple dans l’accueil et l’accompagnement des personnes atteintes de démence et les statistiques démontrent que, pour l’ensemble, les résidents en long séjour entrent en EMS toujours plus âgés et avec un niveau de soins requis toujours plus élevés. Cependant en parallèle, les institutions diversifient leurs activités et mettent à profit leur expertise et leurs ressources dans l’accompagnement et les soins aux personnes âgées au sein de réseaux régionaux.
Au-delà de l’opposition stationnaire – ambulatoire
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Comment dépasser l’opposition entre le domicile et l’institutionnalisation ? Cette question a été étudiée par le domaine spécialisé Personnes âgées de CURAVIVA Suisse, faîtière nationale des homes et institutions sociales, dans la publication « Modèle d’habitat et de soins 2030 » [4]. Dans ce document, l’association prône une abolition de l’opposition entre l’ambulatoire et le stationnaire. L’EMS n’y est plus « un grand bâtiment », mais un pôle de compétences « destiné à permettre aux personnes âgées et dépendantes de mener une vie autonome dans l’environnement de leur choix ». L’ensemble repose sur quatre piliers :
- un « Centre de santé » regroupant l’ensemble des services (soins, repas, etc.) liés à ce domaine ;
- des habitats 80+ (logements protégés où l’on peut recevoir autant de soins que nécessaire) ;
- une maison de quartier (qui rassemble l’ensemble de l’offre socio-culturelle) ;
- des institutions spécialisées (pour les situations palliatives, les soins de convalescence ou les situations de démence par exemple).
L’ensemble s’articule dans un quartier et prône une fluidité entre les structures et les services.
Ce modèle repose sur un postulat fort : le slogan « ambulatoire avant stationnaire » [5] est dépassé et il serait donc important de lui préférer « ambulatoire ET stationnaire ». Selon ce principe, l’accompagnement socio-culturel et les soins sont pensés comme les deux faces d’une même pièce et le client (car on ne parle plus de résident) est en mesure de choisir parmi l’offre à disposition, les prestations dont il a besoin au moment où il effectue ce choix. Les passages entre les systèmes (ambulatoires et stationnaires) sont possibles. Tout semble indiquer qu’ils devraient aussi être encouragés.
[1] KÖPPEL Ruth. Alternativen zum Heim ? Bewohner mit niedriger Pflegestufe. Alterszentren Zug, 2016
[2] DUTOIT Laure, FÜGLISTER-DOUSSE Sylvie, PELLEGRINI Sonia. Soins de longue durée dans les cantons : un même défi, différentes solutions. Obsan, 2016. Présentation sur REISO
[3] WERNER Sarah & al. Angebot und Inanspruchnahme von intermediären Strukturen für ältere Menschen in der Schweiz. Obsan, 2016
[4] Curaviva, lien internet. Ce modèle a été présenté au grand public le 3 mai 2016. Il sera complété par des recherches sur différents aspects, notamment le volet financier.
[5] Autrement dit : tout tenter avant une entrée en EMS