Cancer: la maladie qui rend pauvre
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Les associations de soutien aux personnes atteintes de maladies chroniques représentent un maillon indispensable du système socio-sanitaire en Suisse. Sans leurs interventions, les patient·e·s peuvent vite tomber dans la précarité.
Par Lara Fohouo – van Bogaert, responsable service conseil et soutien, Ligue vaudoise contre le cancer, Lausanne
Le lien de causalité à double sens entre pauvreté et maladie a fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques et n’est plus à démontrer. Si la pauvreté augmente le risque de développer des problèmes de santé, ces derniers accroissent à leur tour le risque de précarité [1].
Le cancer ne déroge pas à cette règle. Dans le canton de Vaud, 40'000 personnes vivent avec le cancer et chaque année, 4’000 nouveaux cas sont diagnostiqués [2]. Les personnes concernées doivent généralement faire face à la fois à une diminution, voire une perte de leur revenu, en raison de leur incapacité de travail, et à une augmentation des frais de santé à leur charge.
En 2020, la Ligue vaudoise contre le cancer (LVC, ci-après, la Ligue) avait mis en lumière la précarité des indépendants face à la maladie [3]. Cependant, les salarié·e·s ne sont pas épargnés et connaissent aussi des difficultés financières en raison du cancer.
Tout d’abord, il convient de rappeler que le droit au salaire en cas de maladie dépend des dispositions prises par l’employeur. Si une grande majorité des salarié·e·s sont couvert·e·s par une assurance perte de gain contractée par leur employeur, généralement à hauteur de 80% de leur revenu durant environ deux ans, cette dernière n’est pas obligatoire. Ainsi, certain·e·s employé·e·s en arrêt maladie voient leur salaire garanti uniquement pour une durée limitée, laquelle dépend de leur ancienneté dans l’entreprise. Dans les cantons romands, l’échelle de Berne sert de référence et prévoit trois semaines de salaire durant la première année de service, un mois pendant la deuxième année, deux mois durant les troisième et quatrième années de service, pour atteindre un maximum de six mois après la vingtième année.
Être au bénéfice d’une couverture d’assurance perte de gain en cas de maladie conclue par l’employeur n’est pourtant pas une garantie de stabilité financière. D’une part, parce que la couverture d’assurance engendre malgré tout une baisse du revenu — généralement de 20% — et d’autre part, parce que l’épuisement du droit aux prestations de cette assurance, en principe deux ans après le début de l’incapacité de travail, ne coïncide pas nécessairement avec le début du versement en cas d’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité.
Pauvreté et santé : le cercle vicieux
Prenons l’exemple de Jean [4], jeune homme d’une trentaine d’années. Lorsque le diagnostic de cancer tombe, il travaille à 80% et perçoit un salaire brut de 4'500 francs par mois. Dès le début des traitements, il se retrouve en incapacité complète de travail. La chimiothérapie engendre des complications importantes, entravant grandement sa mobilité et ses possibilités de reprendre son activité professionnelle. Malgré une demande AI déposée dans les six mois suivant le diagnostic (date du début de son incapacité de travail), aucune décision ne lui a encore été notifiée lorsque les prestations de l’assurance perte de gain maladie prennent fin. Dépourvu de tout revenu professionnel, Jean est contraint de s’adresser à l’aide sociale afin de se voir octroyer le revenu d’insertion, dernier filet de protection sociale. Ainsi, en raison du cancer, Jean subit une perte de revenu considérable et se trouve dans l’obligation de solliciter le soutien de l’État. Cette situation engendre d’importantes répercussions sur son train de vie, mais également sur sa considération sociale et sur l’estime de lui-même.
En parallèle de l’atteinte à leurs revenus, les patient·e·s atteint·e·s de cancer se voient confronté·e·s à une augmentation soudaine et significative de leurs dépenses pour les frais de santé.
Jean en est l’exemple parlant. Il doit d’abord s’acquitter de la franchise de son assurance-maladie, laquelle s’élève à 2'500 francs, ainsi que de la quote-part de 700 francs. De plus, il doit supporter une partie significative des frais de transport pour se rendre sur les lieux de traitements, puisque l’assurance-maladie de base prend uniquement en charge la moitié de ces frais, jusqu’à concurrence de 500 francs par année. Pour des raisons médicales, Jean ne peut pas se rendre sur les lieux de soins en transports publics. Cette nécessité de se déplacer en voiture alourdit considérablement ses charges, ceci davantage encore depuis l’augmentation significative du prix de l’essence.
L’ensemble de ces frais supplémentaires liés au cancer, cumulés à la diminution des revenus, entraînent un important déséquilibre de son budget. Afin d’éviter une mise aux poursuites et des lacunes dans sa prévoyance vieillesse, la Ligue l’a soutenu à hauteur d’environ 8'000 francs pour des frais de franchise, de quote-part et de cotisations AVS avant l’ouverture de son droit à l’aide sociale.
Si le cancer n’engendre pas systématiquement une situation de précarité comme celle de Jean, cette maladie a toujours un impact sur le niveau de vie des personnes touchées. Citons pour exemple cette famille dont l’un des trois enfants est atteint de cancer. Au moment du diagnostic, en 2021, les deux parents travaillent à plein temps et bénéficient de revenus confortables. Cependant, l’organisation familiale va très rapidement devoir être revue.
L’enfant malade doit en effet subir plusieurs traitements, tels que chimiothérapie, radiothérapie et greffe dans un hôpital hors canton. Face au choc du diagnostic, la maman se trouve en arrêt maladie et se fait licencier à l’échéance du délai légal de protection contre le congé. Au bénéfice d’indemnités journalières versées par l’assurance perte de gain maladie qui couvrent le 80% de son salaire, elle subit tout de même une perte de revenus de 2'500 francs par mois. A cela s’ajoutent la franchise et la quote-part de son assurance-maladie de base, dont elle doit s’acquitter en raison de problèmes psychologiques liés à la situation de son enfant. Viennent encore s’additionner les frais de santé non pris en charge pour son fils (matériel de soins à domicile : solutions de rinçage, tubulures, rallonge, etc.), ainsi que les frais de transport pour se rendre aux traitements (environ 220 francs par mois). Au total, la maladie ampute le budget mensuel de la famille de près de 3'000 francs, montant qui ne peut être compensé par une aide étatique, leur revenu dépassant les normes minimales d’accès. Afin de soutenir la famille dans l’adaptation de son budget, la Ligue a fait plusieurs demandes de soutien financier auprès d’institutions partenaires, pour un montant de 8'600 francs.
Des dons privés qui comblent les lacunes
C’est pour lutter contre cette précarisation causée par la maladie chronique que des organismes tels que la Ligue vaudoise contre le cancer offrent ponctuellement leur soutien, notamment financier, aux patient·e·s atteint·e·s de cancer et à leurs proches [5]. Cette aide financière peut être allouée tant par le biais de fonds internes que par des recherches de fonds entreprises auprès de partenaires (fondations, associations).
Le soutien financier octroyé aux patient·e·s contribue principalement à l’acquittement du montant de la franchise et de la quote-part, des primes et des frais médicaux non-remboursés par les assurances-maladies de base et/ou privées et des frais de transports médicaux. En 2018, par exemple, 62% des 810'000 francs versés par la Ligue vaudoise contre le cancer concernaient des frais de santé.
Ce chiffre n’a rien de surprenant lorsque l’on sait qu’en 2020, dans le canton de Vaud, 56% des coûts de la santé ont été financés par les ménages par le biais des primes, de la franchise et de la quote-part, ainsi que par le paiement direct de prestations non couvertes par l’assurance-maladie [6]. Dès 2019, Vaud s’est engagé à plafonner à 10% la part des revenus d’un ménage dévolue au paiement des primes d’assurances-maladies en octroyant des subsides en faveur des plus défavorisé·e·s. Malgré le versement de ces aides dans tous les cantons, les créances des assurances-maladies représentent une partie importante des mises aux poursuites. A titre d’exemple, sur trois millions de poursuites enregistrées dans le canton de Zurich, 25% à 30% d’entre elles ont été notifiées en raison de primes d’assurance-maladie non-acquittées [7].
Alors que les débats sur l’augmentation des coûts de la santé mettent toujours plus l’accent sur l’importance de la responsabilité individuelle, la pratique montre que le système de financement des soins a ses limites, tout particulièrement en cas de maladie de longue durée, comme le cancer. Dans ces cas-là, les frais de santé à charge représentent une part trop importante du revenu des ménages et déstabilisent un budget déjà fragilisé par une baisse de revenu.
En matière d’assurance maladie, la tentation est grande, pour les personnes à bas revenus ou les familles, de choisir une franchise maximale de 2’500 francs afin que les primes soient les plus basses possible. Cependant, de tels montants s’avèrent souvent difficiles à assumer avec des revenus moyens. Sans le soutien apporté par les organismes caritatifs, de nombreux·ses patient·e·s atteint·e·s de maladies chroniques, comme le cancer, plongeraient alors dans la précarité et la spirale de l’endettement, voire du surendettement [8]. Ainsi, à l’heure où les organisations caritatives sont nombreuses à rencontrer des difficultés financières et se voient contraintes de repenser leurs raisons d’être et leurs modèles d’action, il semble essentiel d’œuvrer pour que leur fonction, indispensable au bon fonctionnement du système socio-sanitaire, et le statut de réel partenaire leur soient reconnus.
[1] Spira, A. et al. (2017), Précarité, pauvreté et santé, Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine, 201, 567-587.
[2] Plateforme d’information du système de santé vaudois. (2017).
[3] Hochuli, Y. (2020), Indépendance et maladie font un cocktail amer, Reiso : dossier spécial «Travail social et Covid-19»
[4] Prénom d’emprunt
[5] Contrairement à la majorité des services sociaux du canton, la Ligue est une association caritative qui vit essentiellement de dons. En 2021, elle a pu soutenir financièrement les patient·e·s atteint·e·s de cancer à hauteur de 730'000 francs.
[6] Département des finances et de l’agriculture (DFA). (2022). Coûts de la santé. Numerus : courrier statistique, septembre 2022.
[7] De Mestral, Y. (2022). Paiement des primes d’assurance-maladie courantes : projet-pilote des Offices des poursuites de la Ville de Zurich, ARTIAS : dossier du mois, février 2022.
[8] En 2018, la Ligue a permis à 418 ménages d’éviter des trop importantes conséquences financières.
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Lara Fohouo – van Bogaert, «Cancer: la maladie qui rend pauvre», REISO, Revue d'information sociale, publié le 28 mars 2023, https://www.reiso.org/document/10510