Justice restaurative en prison
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Le potentiel d’une approche de la criminalité participative et axée sur les besoins est de plus en plus reconnu. En prison aussi. [1]
Par Claudio Domenig, co-directeur du groupe Intervention sociale, enseignant, département Travail social, Haute école spécialisée bernoise (HESB)
La justice restaurative propose une approche intégrative de la criminalité à travers des procédures qui permettent de travailler sur les conséquences des délits à l’aune des besoins. Elle se définit comme « une procédure qui implique la quasi-totalité des parties concernées par un délit et par laquelle celles-ci identifient et examinent ensemble les préjudices subis, ainsi que les besoins et obligations qui en découlent, pour permettre autant que possible une réparation et une reconstruction » (Zehr, 2002, p. 37, notre traduction). L’objectif est donc en priorité l’intégration et le rétablissement de l’intégrité de la victime. Il s’agit également pour la personne responsable et, le cas échéant, pour les autres personnes indirectement concernées, de travailler activement sur le délit qui a été commis.
Diversité de méthodes
La justice restaurative se présente sous des formes diverses. Les procédures vont du dialogue direct entre la personne qui a commis le délit et la victime (dialogue parfois appelé « médiation victime-agresseur ») lors de réunions dans un cercle de parties prenantes (circles) plus large à des rencontres entre victimes de délits similaires. Elle est une option à tous les stades de traitement de l’infraction pénale, que ce soit pendant une procédure pénale ou à la place de celle-ci, pendant l’exécution de la peine ou après la sortie de prison. L’important est que la méthode soit adaptée, ou plutôt que la procédure ait été élaborée en tenant compte des besoins des parties prenantes. La dimension temporelle joue également un rôle essentiel : dans le cas de délits graves, il faut parfois plusieurs années avant que les personnes concernées ne soient prêtes à se lancer dans un tel processus. Enfin, la participation se fait sur une base volontaire : c’est là un principe central de la justice restaurative.
Il est en outre essentiel que les procédures de justice restaurative reposent sur un socle de valeurs qui — venant s’ajouter à l’élément caractéristique qu’est l’intégration — se distinguent par le respect et le soin porté à la dignité de l’ensemble des parties prenantes. Il n’est pas rare que les parties prenantes soient invitées à définir ensemble les valeurs qu’elles considèrent nécessaires à la bonne marche du processus.
Programmes et projets
La justice restaurative est encore peu répandue en Suisse, contrairement à d’autres pays en Europe comme la Belgique. Certes, les établissements pénitentiaires sont légalement tenus d’établir un plan d’exécution avec le ou la détenue, lequel contient également des indications sur la réparation du préjudice (art. 75, al. 3 du code pénal suisse). Le potentiel des approches restauratives est cependant partiellement reconnu et mobilisé.
L’établissement pénitentiaire Saxerriet (canton de Saint-Gall) a été une institution pionnière en la matière, instaurant dès les années 1990 un modèle de réparation. Dans le cadre de celui-ci, des collaborateur·ice·s formé·e·s réalisaient des entretiens réguliers avec les détenu·e·s sur le traitement et la réparation du préjudice, la prise de conscience et l’empathie pour la victime. Dix pour cent du revenu que les personnes détenues tirent de leur travail est versé sur un compte destiné à la réparation matérielle du préjudice — c’est là une obligation envers la ou les victimes. Les travailleur·euse·s sociaux·ales en charge du dossier sont quant à elleux en contact avec d’autres services, notamment l’aide aux victimes. Ce modèle ne prévoit pas de contacts directs avec la victime sauf si celle-ci ou sa famille en fait expressément la demande (Spindler, 2011).
Depuis quelques années, de nouveaux projets prometteurs ont été lancés dans des établissements pénitentiaires suisses. La Brenaz (canton de Genève), par exemple, propose depuis 2018 un programme de médiation en collaboration avec l’organisation « Association pour la Justice Restaurative en Suisse (AJURES) ». Dans un premier temps, il s’agit de déterminer avec les détenu·e·s si une médiation semble appropriée ; si oui, la victime est alors contactée. Pour autant que les deux parties y consentent, une entrevue peut être organisée à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire ou à l’extérieur, si la personne détenue a déjà purgé sa peine. Quelle que soit l’issue de la rencontre, celle-ci n’a aucune conséquence sur la peine en cours ou le type de détention (Perrier Depeursinge, 2018, p. 55).
Ces entrevues restauratives sont de plus en plus répandues dans les établissements pénitentiaires. Elles rassemblent des personnes coupables de mêmes délits ou de délits similaires et des victimes. En principe, ces personnes n’ont pas de liens entre elles. L’établissement pénitentiaire de Lenzburg (canton d’Argovie) a été la première prison en Suisse à les introduire dans le cadre d’un projet pilote. Cette approche s’est depuis établie et a été adoptée par d’autres établissements pénitentiaires et cantons. Le programme se base sur le projet Sycamore Tree © élaboré par Prison Fellowship International et a été adapté au contexte suisse (Christen-Schneider, 2020, p. 73). Une préparation de toutes les parties prenantes est considérée comme essentielle. La direction et les collaborateur·ice·s du service social de l’établissement pénitentiaire préselectionnent des détenu·e·s en fonction de leur aptitude, puis arrêtent un choix, après avoir obtenu des informations complémentaires et mené des entretiens préalables. Les entrevues restauratives s’étalent généralement sur huit semaines, à raison de deux heures de rencontre hebdomadaire (Christen-Schneiter, 2020, p. 75).
Le travail social en tant que facilitateur
La justice restaurative, qui est axée sur l’intégration, la dignité et l’empouvoirement des personnes concernées, partage des valeurs et objectifs du travail social. Les travailleur·euse·s sociaux·ales — qu’iels travaillent dans un centre pénitentiaire ou dans un service de probation — ont un rôle important à jouer dans la diffusion de ces approches. En plus, ce processus représente une opportunité pour préparer les détenu·e·s à leur sortie de prison et les accompagner après, notamment dans le cadre d’un travail avec l’espace social qui les accueille. Il faut (encore) faire œuvre de pionnier et lancer des projets. Les travailleur·euse·s sociaux·ales peuvent mettre en relation les spécialistes impliqué·e·s, mettre à profit leurs compétences pour créer les cadres appropriés à la justice restaurative et accompagner les personnes concernées en fonction de leurs besoins. Leur aide est précieuse, puisqu’iels sont celleux qui peuvent faire connaître, initier, bien préparer et, le cas échéant, accompagner ces procédures restauratives.
Origines de la justice restaurative
Les traditions restauratives remontent à des temps très anciens — on en trouve des traces jusque dans les sociétés pré-modernes. On situe le début du mouvement pour la justice restaurative moderne dans les années 1970, avec les projets de médiation entre la victime et la personne ayant agressé (« Victim-Offender-Mediation »). Sur le plan théorique, la justice restaurative trouve racine notamment dans la victimologie, le communautarisme ainsi que dans les textes abolitionnistes.
Littérature
- Christen-Schneider, C. (2020). Erste Erfahrungen mit Restaurativer Justiz im Falle schwerer Verbrechen in einem Schweizer Gefängnis. In: Queloz, N., Jaccottet Tissot, C., Kapferer, N., & Mona, M. (eds.): Changer de regard : la justice restaurative en cas d’infractions graves/Perspektivenwechsel: restaurative Justiz auch bei schweren Verbrechen. Genève, Schulthess Éditions romandes, p. 69-90.
- Perrier Depeursinge, C. (2018). La justice restaurative en Suisse. Tour d’horizon des possibilités offertes par un modèle de justice complémentaire à la justice pénale. In: Hirsch, L. & Imhoos, C. (eds.), Arbitrage, médiation et autres modes pour résoudre les conflits autrement. Genève/Zurich, Schulthess, p. 47 - 56.
- Spindler, C. (2011). Satisfaire l’équité : La réparation du dommage dans l’établissement pénitentiaire de Saxerriet. Info Bulletin 1/2011, Office fédéral de la justice, p. 12-15.
- Zehr, H. (2002). The Little Book of Restorative Justice. Intercourse
[1] Cet article a initialement été publié en avril 2023 par ActualitéSociale, la revue spécialisée en travail social de l'association faîtière AvenirSocial avec qui REISO entretient un partenariat rédactionnel.
Lire également :
- Marina Richter et Julia Emprechtinger, «Évolution du travail social en milieu carcéral», REISO, Revue d'information sociale, publié le 1er juin 2023, (Publication originale: ActualitéSociale, avril 2023)
- Camille Béziane, Quentin Delval et Aymeric Dallinge, «Prison et orientation sexuelle: réalités LGBTQ+», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 novembre 2021
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Claudio Domenig, «Justice restaurative en prison», REISO, Revue d'information sociale, publié le 7 juillet 2023, (Publication originale: ActualitéSociale, avril 2023), https://www.reiso.org/document/10984