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Pouvoir transformateur du langage en travail social

Jeudi 20.06.2024
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Le langage s’avère un outil puissant qui joue un rôle catalyseur dans le travail social. Les mots utilisés, tant à l’écrit qu’à l’oral, ont un impact significatif sur les personnes accompagnées et sur les dynamiques sociales[1].

Par Mickaëlle Haution-Pra, consultante en job coaching & insertion professionnelle

Le langage est un outil puissant qui joue un rôle catalyseur dans le travail social. En optant consciemment pour des termes positifs, bienveillants et encourageants, un environnement mental propice à la confiance en soi, à l’estime personnelle et à la résilience face aux défis est créé. Encourager la personne à substituer « je vais essayer » par « je vais y arriver » l’incite à agir avec conviction et détermination.

Le choix des formules

Historiquement, les mots ont été à la base du changement social. Des discours inspirants tels que ceux d’Emmeline Pankhurst ou de Nelson Mandela [2] ont indéniablement laissé une empreinte sur l’histoire et la société. Aujourd’hui, les travailleur·euses sociaux·ales exploitent le pouvoir des mots pour redonner aux individus les moyens de reprendre le contrôle de leur vie et de s’épanouir pleinement.

Plongeons ici plus précisément dans quelques exemples concrets en lien avec le travail social.

Des mots pour l’empowerment

L’empowerment, c’est donner aux individus les moyens de reprendre le contrôle de leur vie et de s’épanouir pleinement.

  1. « Vous avez le potentiel pour surmonter cette situation difficile » -> Cette phrase montre que le·a professionnel·le croit en la capacité de la personne à faire face aux défis qui se présentent, renforçant ainsi sa confiance en elle-même.
  2. « Quels sont vos objectifs ? Comment puis-je vous soutenir dans leur réalisation ? » En posant ces questions, les professionnel·les invitent la personne à exprimer ses aspirations et ses besoins, et à jouer un rôle actif dans la construction de son parcours d’accompagnement.
  3. « Vos expériences et vos perspectives sont importantes » : en reconnaissant la valeur des vécus de la personne, une relation d’égal à égal est favorisée, responsabilisante et sécurisante.

Le respect au cœur du langage

Il est temps de questionner l’usage persistant du terme « assistant·e social·e » qui sous-entend une dynamique de dépendance plutôt que d’empowerment. Ainsi, remplacer le terme « assistant·e social·e » par « conseiller·ère social·e » ou « facilitateur·rice d’insertion » reflèterait mieux la juste posture de relation à adopter.

De l’importance du champ lexical

Prêter attention au champ lexical utilisé par les personnes accompagnées fournit de précieuses indications sur leur attitude, leur humeur, leurs capacités réflexives, leur adhésion aussi. Plus spécifiquement dans l’accompagnement d’un public jeune, par exemple, les professionnel·les devraient adapter leur vocabulaire et s’appliquer à comprendre les expressions et références des bénéficiaires, en portant leur attention à ce qui fait sens pour elles et eux. Ainsi, jeter des ponts entre leurs cartes mentales et celles des professionnel·les facilitera leur compréhension et leur adhésion.

En politique: le poids des mots, le choc des formules

Si pour la penseure Eve Kosofsky-Sedgwick [3] la construction d’une perspective critique sur les rapports de genre repose sur l’analyse du pouvoir producteur du langage, John L. Austin [4] a lui contesté la conception du langage comme simple reflet du monde mais plutôt comme un outil qui produit des énoncés, apparemment descriptifs, tout en tenant compte des différentiels de pouvoir qui conditionnent leur force.

Les travailleur·euses sociaux·ales, muni·es d’un langage fort, ont ainsi un levier puissant pour transcender les discours conventionnels, interpeller les décideur·ses politiques de manière percutante et mettre en avant les agendas sociaux. Utiliser des statistiques éloquentes, des exemples concrets, des termes percutants ou encore des arguments étayés permet de renforcer le plaidoyer politique. En illustrant, par exemple, les défis quotidiens des populations vulnérables à travers des témoignages vivants, le langage fort humanise les enjeux sociaux et incite à une réflexion plus profonde, jusqu’à renforcer l’impact émotionnel du message et à mobiliser le soutien d’une population à une cause.

Impact dans la négociation et dans le changement de point de vue

L’utilisation judicieuse des mots se révèle être un atout majeur lors des demandes de financement et de la présentation de projets. Choisir le bon vocabulaire participe d’une stratégie clé pour influencer positivement le point de vue des bailleur·ses de fonds et, par extension, des personnes accompagnées. Lors des demandes de financement, un langage persuasif est essentiel pour articuler clairement l’impact d’un projet sur la vie des bénéficiaires : des termes tels que « autonomisation », « impact durable » et « résilience » démontrent la portée positive à long terme des initiatives et la demande de financement devient une opportunité de partager une vision inspirante plutôt qu’une simple demande de fonds. De même, plutôt que de décrire des individus comme « en difficulté », de termes tels que « en transition » ou « en reconversion » mettent l’accent sur le potentiel et la capacité d’évolution, favorisant ainsi une approche plus respectueuse et inclusive.

Impact du langage dans la pratique professionnelle, la dynamique d’équipe et la société

Au niveau de la pratique professionnelle, adopter un vocabulaire qui célèbre la résilience plutôt que la vulnérabilité offre la possibilité d’établir des relations plus équilibrées et collaboratives. Un langage positif, axé sur les forces et les capacités des personnes, contribue à renforcer leur confiance en soi. Des termes bien choisis pour décrire les compétences d’une personne peuvent stimuler l’estime de soi et encourager l’exploration de nouvelles opportunités.

Le langage collaboratif, au travers de termes spécifiques tels que « coopération », « synergie » ou « partenariat » encourage les membres de l’équipe à tirer parti de leurs compétences complémentaires et stimule l’innovation et le sentiment de contribution de chacun·e. Une culture qui valorise l’inclusion, la diversité et l’équité passe par l’utilisation de termes spécifiques dans les discours publics et les politiques sociales pour influencer les attitudes et les comportements à grande échelle.

Intérêt et enjeu du changement de vocabulaire dans la relation d’accompagnement

Le changement de vocabulaire émerge comme un outil puissant pour transcender les stéréotypes souvent attachés aux bénéficiaires, contribuant ainsi à redéfinir le regard porté sur elles et eux. En remplaçant des termes stigmatisants par un langage inclusif et respectueux, une nouvelle dynamique est instaurée, mettant l’accent sur les forces et les capacités des bénéficiaires plutôt que sur leurs difficultés. Par exemple, l’utilisation du terme « partenaire » au lieu de « bénéficiaire » dans la relation professionnelle reflète une approche où la personne accompagnée est considérée comme une actrice active dans le processus d’intervention.

Adopter des méthodes plus holistiques, personnalisées et axées sur les besoins spécifiques de chaque bénéficiaire, par une approche centrée sur la personne met en valeur la diversité des parcours individuels et des contextes de vie. Parfois l’oralité ne fonctionne pas bien du fait de troubles cognitifs comme en cas de burnout, ou de faible niveau de français, et la facilitation visuelle offre alors une belle opportunité de communication. Par ailleurs, l’utilisation de termes complexes ainsi que d’un jargon professionnel ajoute de la complexité aux échanges avec les bénéficiaires ou des partenaires, tandis que parfois l’utilisation de ces termes peut être perçue comme une tentative de « prise de pouvoir ». D’où la nécessité de se questionner sur la clarté et l’accessibilité du langage utilisé.

Ainsi, le langage peut être à la fois un moyen de distanciation pour ne pas tomber dans la compassion, le complexe du sauveur ou le surinvestissement, ou encore une source potentielle de subjectivité. Il s’agit donc, pour les professionnel·les, de prêter attention à la construction de leur propre vision de la réalité et à l’importance de la reformulation dans les entretiens avec le public pour garantir la compréhension mutuelle.

Dans le travail social, le langage représente donc bien plus qu’un simple moyen de communication. Il est un levier puissant pour le changement, l’insertion et le respect. Il est essentiel de reconnaître ce pouvoir des mots et d’utiliser cette force de manière consciente et positive pour créer un impact bénéfique dans les pratiques et la relation d’accompagnement. L’évolution du vocabulaire offre une occasion unique de redéfinir la relation entre les travailleur·euses sociaux·ales et les bénéficiaires, favorisant ainsi des approches plus respectueuses, inclusives et propices à l’autonomie.

Zoom sur les métaphores

L’utilisation créative des métaphores, du langage des oiseaux et des images dans le domaine du travail social apporte une dimension puissante et positive à la communication. Ces outils linguistiques permettent aux professionnel·les de transcender les barrières linguistiques et de créer des connexions empathiques avec leurs client·es. En effet, en évoquant des images symboliques, les travailleur·euses sociaux·ales peuvent favoriser une compréhension plus profonde des expériences vécues par les individus, tout en facilitant l’expression d’émotions parfois difficiles à verbaliser.

Par exemple, en utilisant la métaphore du « phénix qui renaît de ses cendres », un·e travailleur·euse social·e peut aider un individu en situation de crise à visualiser son propre potentiel de résilience et de renaissance après des épreuves difficiles. Cette image puissante offre un cadre positif pour le processus de transformation personnelle.

Le langage des oiseaux, avec ses associations symboliques riches, peut également être employé pour renforcer la communication. En évoquant la migration des oiseaux, un·e professionnel·le peut aborder le thème de la transition et de l’adaptation, offrant ainsi un moyen métaphorique de traiter des changements de vie importants, tels que la réinstallation dans un nouvel environnement.

Enfin, l’utilisation d’images visuelles, comme la représentation d’un arbre aux racines profondes, peut aider à illustrer la stabilité et la force des liens familiaux. Cette métaphore visuelle peut être particulièrement utile lorsqu’il s’agit de travailler avec des familles pour renforcer les relations et encourager un soutien mutuel.

[1] Cet article a initialement été publié en mai 2024 sous le titre « Le pouvoir transformateur du langage dans le travail social » dans ActualitéSociale, la revue spécialisée en travail social de l'association faîtière AvenirSocial avec qui REISO entretient un partenariat rédactionnel.

[2] https://genevemonde.ch/entries/YoE1Y4yKdXg

[3] Eve Kosofsky-Sedgwick, « Épistémologie du placard » (trad). Editions Amsterdam, 2008

[4] John L. Austin, «  Quand dire, c’est faire » (trad). Editions Point, 1991

Comment citer cet article ?

Mickaëlle Haution-Pra, «Pouvoir transformateur du langage en travail social», REISO, Revue d'information sociale, publié le 20 juin 2024, https://www.reiso.org/document/12658

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