Quand la maison individuelle se transforme
Il existe un million d’habitations individuelles en Suisse. Après le départ des enfants, les parents peinent à trouver un nouveau logement plus petit mais accessible. La solution ? Une densification douce et un habitat intergénérationnel.
Par Mariette Beyeler, dr. sc., dipl. architecte EPFL, Lausanne
En Suisse, deux bâtiments sur trois (68.9%), destinés exclusivement à l’habitation, sont des maisons individuelles [1]. Cela correspond à 1 million d’habitations. La moitié de ces maisons est habitée par un ménage de petite taille composé d’une ou deux personnes qui sont pour la plupart (80%) âgées de plus de 50 ans [2].
Le rêve de la maison avec jardin est souvent réalisé pour y vivre avec ses enfants. La phase familiale a une durée limitée, alors que l’espérance de vie – et les possibilités de rester vivre chez soi – augmente. De fait, beaucoup d’habitations, initialement destinées à la vie en famille, sont de plus en plus longtemps occupées par les parents seuls après le départ de leurs enfants adultes.
Les chambres vides sont généralement vite recyclées en chambre d’amis, bureau, atelier ou chambre à coucher séparée. Néanmoins, habiter seul ou à deux dans une maison devenue trop grande ne présente pas que des avantages.
La diminution du nombre d’habitants dans une maison a souvent lieu également dans le voisinage. Du fait que la plupart des villas sont érigées dans des quartiers homogènes et monostructurés, il en résulte des processus collectifs, comme le départ plus ou moins simultané des enfants devenus adultes, le vieillissement des bâtisseurs et de leur propriété. L’effet cyclique de cette évolution pose également un défi aux collectivités publiques par rapport à la planification, le financement, l’entretien ou le développement d’infrastructures, installations, équipements et services. D’autant plus que, simultanément, de jeunes ménages préparent à leur tour l’installation dans d’autres « maisons avec jardin » favorisant ainsi l’étalement urbain et mettant le paysage sous pression.
L’idéal de la «maison avec jardin» met le paysage sous pression : Buttisholz (LU). 2005 et 2011 (Photos Franz Rindlisbacher)
Un déménagement peu attractif
Après le départ des enfants adultes, les propriétaires pourraient choisir de déménager dans un logement plus petit et mieux adapté pour améliorer leur qualité d’habitation tout en accélérant le changement générationnel et la rotation des biens immobiliers. Les propriétaires issus de la génération des baby-boomeurs sont plus facilement disposés à quitter leur maison et à changer de cadre de vie que leurs aînés [3]. Encore faut-il qu’ils trouvent un logement qui corresponde à leur projet de vie et à leur budget.
Être propriétaire d’un logement depuis longtemps présente des avantages financiers qui peuvent inciter à y rester, car la charge de la dette a été réduite au fil du temps et les coûts du logement sont plutôt bas. De plus, les conditions d’habitat sont souvent bonnes et surtout stables. Dans ces circonstances, il n’est pas facile de trouver un logement qui présente un rapport qualité-prix comparable.
Il se peut aussi que le bâtiment doive être rénové ou qu’il ne corresponde plus au goût du jour. Les propriétaires n’ont donc pas toujours la possibilité de vendre ou de louer leur maison pour pouvoir s’installer dans un logement mieux adapté. De plus, les logements de substitution adéquats sont construits prioritairement dans les grands et moyens centres et pas dans les couronnes suburbaines ou les communes périurbaines et rurales, là où se trouve la majorité des maisons individuelles [4].
En conséquence, les propriétaires de maisons individuelles restent et resteront nombreux à habiter leur maison, seuls ou à deux, après le départ de leurs enfants.
Une transformation avantageuse
Au lieu de chercher un logement ailleurs, il est intéressant d’évaluer la possibilité de le créer chez soi sur mesure – par subdivision de la maison existante et/ou construction d’une annexe – afin de continuer à profiter des avantages d’un cadre de vie familier sans en subir ou produire des inconvénients.
Les maisons individuelles renferment souvent des réserves à construire [5] ou à habiter [6] qui rendent parfaitement réaliste l’aménagement de deux logements en lieu et place d’un seul.
La faible densité des zones villa, la sous-occupation des habitations ainsi que la sous-utilisation des droits à bâtir représentent des ressources précieuses pour la densification douce. Cette dernière produit des logements supplémentaires en complétant avec doigté le bâti existant, sans destruction massive et sans changement significatif des formes urbaines existantes et dans le respect des habitants et des qualités intrinsèques de leur quartier.
La densification douce consiste à transformer sa maison et son jardin pour y créer deux habitations, dont idéalement une est adaptée à un ménage de petite taille et conçue sans barrières et obstacles entravant la mobilité des habitants. (Illustrations Mariette Beyeler)
Compléter les maisons existantes pour y insérer des logements supplémentaires permet d’augmenter le nombre de ménages et de diversifier l’offre de logements en préservant les qualités recherchées dans l’habitation individuelle. Une offre de logements diversifiée pour différentes formes et types de ménages ainsi que pour différents groupes d’âge favorise l’accueil de nouveaux habitants, la mixité générationnelle et le « bien vieillir chez soi » des propriétaires âgés dans leur quartier requalifié et revitalisé.
Dans un contexte où la révision de la Loi sur l’aménagement du territoire freine l’extension des zones à faible densité, la densification douce permet de réduire les contradictions entre les préférences d’habitat de nombreux ménages (la maison individuelle) et un développement mesuré du territoire. Elle permet d’accueillir des ménages qui rêvent d’une maison avec jardin dans un environnement attractif et verdoyant, sans étalement urbain et mitage du territoire.
De nouvelles constellations
L’augmentation de la densité résidentielle peut créer des constellations de voisinage favorables à l’échange de services, d’aide et de soutien dont profitent les personnes âgées comme les jeunes ménages.
Favoriser la mixité générationnelle dans des quartiers de maisons individuelles monostructurés permet de tendre vers un nombre d’habitants plus constant et de rendre la planification, l’entretien, le développement et le financement des infrastructures, équipements et services plus équilibrés.
Pour les collectivités publiques, favoriser le « vieillir chez soi » et créer des logements supplémentaires sans équiper de nouvelles zones à bâtir permet d’économiser voire de réaliser de nouvelles recettes fiscales. Pour les propriétaires, valoriser les réserves pour créer un appartement supplémentaire permet de générer un revenu supplémentaire et de financer, par exemple, la rénovation énergétique de leur bien et de pérenniser ainsi sa valeur [7].
La densification douce des maisons et quartiers existants propose un changement de paradigme. Avec le « décloisonnement » de la maison unifamiliale et son ouverture à différents types, âges, tailles et formes de ménages, l’habitat individuel ne se suffit plus à lui-même, mais s’inscrit dans un projet collectif à l’échelle du quartier et participe à une qualité urbaine qui fait défaut dans les zones monostructurés.
Exemple
Subdivision horizontale, annexe et surélévation pour deux habitations superposées (Architecture Dietrich et Untertrifaller). Avant : la propriétaire habite seule sa maison dont l’entretien lui pèse. Après : la transformation permet l’aménagement d’une habitation généreuse pour un ménage supplémentaire qui participe aux charges.
Chaque logement dispose de sa propre entrée. Elles sont séparées l’une de l’autre par une paroi coulissante. La surélévation bénéficie de son propre espace extérieur. (Photos Ralph Feiner)
[1] Mariette Beyeler a analysé des maisons individuelles subdivisées, interrogé les bâtisseurs et questionné les habitants sur les avantages et les inconvénients, les opportunités et les problèmes de la densification douce. Les résultats ont été publiés dans le livre MétamorpHouse. Transformer sa maison au fil de la vie (2014. Lausanne. PPUR) et ont permis de développer une méthode destinée aux communes et aux propriétaires pour activer la densification douce dans les quartiers de maisons individuelles. Cette méthode est en réalisation dans plusieurs communes et cantons (notamment dans le canton de Vaud dès le printemps 2018).
Office fédéral de la statistique (OFS). 2016. Recensement fédéral de la population, Statistique des bâtiments et des logements. Neuchâtel : OFS.
[2] Calcul d’après Hornung, Daniel. 2014. « Jusqu’à quand les maisons individuelles resteront-elles des maisons familiales ? » In Métamorphouse. Transformer sa maison au fil de la vie. Mariette Beyeler. Lausanne : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.
[3] Zimmerli, Joëlle et Petra Vogel. 2012. Wohnbedürfnisse und Wohnmobilität im Alter - Heute und in Zukunft. Die Babyboomer und ältere Generation im Fokus. Zurich : Canton de Zurich, Département de l’aménagement du territoire.
[4] Rappel, Ingrid et Andreas Bröhl. 2013. « Wohneigentum und Demografie. Zu wenig altersgerechte Wohnungen in Landgemeinden » In Immobilien aktuell, Zurich : Office de la statistique du Canton de Zurich et Banque Cantonale Zurichoise.
[5] Une réserve à construire correspond à la différence entre la surface de plancher autorisée par le règlement d’urbanisme et la surface réellement construite. Jusqu’aux années 1990, les prix des terrains à construire étaient peu élevés et les parcelles d’autant plus grandes. En conséquence, de nombreux propriétaires n’ont pas eu à utiliser tous les droits à bâtir pour construire leur maison. De plus, au fil des ans, de nombreuses communes ont augmenté les indices de construction dans les zones de faible densité, produisant ainsi des droits et réserves à bâtir supplémentaires.
[6] Une réserve à habiter désigne les surfaces et les pièces rarement utilisées que les propriétaires seraient prêts à céder à un appartement supplémentaire.
[7] Thalmann, Philippe. 2014. « Evaluation économique de la subdivision d’une maison individuelle en deux logements » In Métamorphouse. Transformer sa maison au fil de la vie. Mariette Beyeler. Lausanne : Presses Polytechniques et Universitaires Romandes.
Cet article appartient au dossier Habiter ensemble
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Mariette Beyeler, «Quand la maison individuelle se transforme», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 14 mai 2018, https://www.reiso.org/document/3059