Attendre l’asile dans les montagnes en Valais
Dans quatre foyers d’accueil valaisans en altitude, les professionnel·le·s du travail social œuvrent quotidiennement avec l’attente d’une décision fédérale et combattent chaque jour des préjugés sur les requérant·e·s d’asile.
Par Daniela Da Cruz Gaspar, collaboratrice scientifique à la Haute école de travail social, HES-SO Valais, Sierre
En Valais, quatre foyers collectifs se trouvent à plus de 1’200 mètres d’altitude. Ils se situent à proximité de villages de montagne dont le nombre d’habitant·e·s varie entre 184 et 6'500 personnes. Plusieurs corps de métiers [1] collaborent dans ces foyers d’altitude qui hébergeaient, à l’époque des observations [2], entre 13 et 59 requérant·e·s d’asile, adultes célibataires et familles. Les entretiens et les observations ont été menées dans le cadre d’une recherche exploratoire [3]. J’ai eu l’occasion d’interviewer dans chaque foyer plusieurs professionnel·le·s du travail social et de suivre leur quotidien durant plusieurs jours.
Apprivoiser l’attente dans les foyers d’altitude
Les foyers d’accueil présents en altitude hébergent des adultes et des enfants qui ont fait une demande d’asile et attendent de recevoir une décision [4] de la part du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Ce dernier va soit autoriser la personne à rester en Suisse, soit lui ordonner de quitter le pays dans le délai imparti. Ils et elles peuvent néanmoins décider de recourir contre cette décision. Durant la phase de recours, les requérant·e·s d’asile continuent d’habiter dans les foyers d’accueil. Chaque logement collectif accueille de façon distincte des femmes, des hommes ou des familles.
Dans le cadre d’une recherche sur les réfugiés en France, l’anthropologue Carolina Kobelinsky (2010) a constaté que, durant cette période, les requérant·e·s d’asile rêvent d’une sorte de normalité : « Les imaginaires de normalisation […] rendent compte d’une vie qui ne soit plus hantée par le souvenir d’un passé douloureux, qui ne soit plus sous le signe d’un présent douteux et incertain. D’une vie qu’ils qualifient comme ‘normale’, c’est-à-dire où ils auront une stabilité juridique leur permettant de trouver un emploi et de s’installer enfin quelque part » (Kobelinsky, 2010 : p. 221).
Cette incertitude peut plonger les requérant·e·s d’asile dans un mal être où les angoisses de renvoi risquent de tourmenter leur quotidien. En effet, l’issue de la décision aura un impact sur la suite de leur parcours de vie. Les professionnel·le·s travaillant directement et indirectement avec cette attente le font par le biais des activités et du travail, entre autres. J’ai également observé qu’attente et inactivité ne vont pas de pair dans les foyers d’altitude valaisans.
Les activités dans les foyers d’accueil
De nombreuses activités de groupes sont proposées autant aux adultes qu’aux enfants qui y habitent. Il peut s’agir d’activités sportives, manuelles, culinaires, musicales ou d’activités en lien avec la nature. Elles ont lieu dans le foyer ou à l’extérieur. Certaines sont organisées par les professionnel·le·s qui travaillent au foyer, d’autres par des bénévoles ou par des associations locales. Les professionnel·le·s et les bénévoles y consacrent de l’énergie tant dans l’organisation que dans la réalisation.
Comme l’a observé Felder (2016): « L’activité peut être un vecteur de résistance ; c’est elle qui permet de maintenir le mouvement de la vie : à travers elle, le sujet se relie aux autres et au monde des choses et des idées. Il participe à une construction commune du monde avec autrui et se soustrait ainsi à son enfermement dans une identité négative, celle du marginal et du dépendant, « objet » de traitement » (Felder, 2016 : p.11).
Dans l’un des foyers, une activité avait été organisée par une stagiaire en travail social. En tout cinq femmes, originaires d’Érythrée et de Somalie ont participé. Durant plus de deux heures, elles ont réalisé et testé des soins beauté maison, tout en discutant des usages de chacune. Un échange de discussions a réellement eu lieu entre toutes malgré quelques barrières de la langue rapidement amincies par l’ambiance décontractée qui s’est installée au fil de l’activité. Une femme est venue nous rencontrer à la fin de l’atelier pour remercier la stagiaire de l’avoir organisé et nous dire que ce moment lui avait fait du bien.
La mise en place des activités découle d’observations faites par les professionnel·le·s et ne sont pas uniquement guidées par un aspect occupationnel. Voici ce que disait un responsable de foyer à propos de la mise en place des activités : « Donc ce sont des choses qu’on sent, qu’on voit, dont ils et elles [les requérant·e·s d’asile] ont besoin. Après on essaie de mettre en place […] » (Interview du 6 avril 2018).
Ce va et vient entre leurs observations et la mise en place d’actions concrètes pour répondre aux envies et aux besoins témoigne d’une professionnalité basée sur un respect et une reconnaissance de l’autre en tant qu’être et non en tant que simple dossier administratif en attente d’une décision. Ce respect s’observe également dans les différents échanges entre les professionnel·le·s et les requérant·e·s d’asile, en dehors des activités.
Outre les activités, les requérant·e·s d’asile adultes participent régulièrement à des cours de français obligatoires pour apprendre la langue du pays d’accueil. Ces cours sont donnés dans les foyers par des professeur·e·s de français et/ou des bénévoles. L’apprentissage de la langue française permet de gagner en autonomie dans les tâches du quotidien et par la même occasion de s’intégrer socialement et professionnellement.
Travailler dans l’attente
Le statut des requérant·e·s d’asile (Livret N) permet de travailler chez un employeur ou une employeuse après trois mois de présence en Suisse. Les secteurs autorisés par le canton du Valais sont l’hôtellerie, la restauration, l’agriculture, les professions de la boulangerie et des boucheries, les ménages privés et collectifs, les professions de la santé et les soins à domicile (Directive de l’Etat du Valais, 2018). Toutefois, pour ce faire, ils et elles doivent recevoir une autorisation de travail de la part du canton.
Les requérant·e·s d’asile peuvent également exercer un métier dans le cadre de programmes d’occupation (PO), mesures temporaires qui « permettent un premier pas concret vers une indépendance sociale ou financière » (Site internet de l’État du Valais, consulté le 3.08.18). J’ai rencontré des personnes qui travaillaient dans le domaine de l’intendance, de la restauration mais aussi de la petite enfance. Parmi les quatre foyers d’accueil observés, deux d’entre eux avaient une brigade de cuisine composée de requérant·e·s d’asile en formation et d’un chef de cuisine formateur. L’équipe prépare chaque midi les repas destinés à l’ensemble des personnes qui sont hébergées dans le foyer.
Ces programmes d’occupation permettent d’exercer une activité professionnelle en lien avec le foyer ou dans le cadre de travaux d’utilité publique. La participation à ces programmes n’est pas obligatoire mais est vivement conseillée et encouragée par les professionnel·le·s travaillant au foyer.
L’utilité des programmes d’occupation
Les programmes d’occupation permettent aux requérant·e·s d’asile de gagner en expérience professionnelle mais aussi de donner un sens à leurs journées et, comme le disait un professionnel rencontré, « de savoir pourquoi on se lève chaque matin ». Ils créent un rythme au quotidien et occupent l’esprit. Ils permettent de sortir de la lourdeur émotionnelle que représente l’attente dans une procédure d’asile. Durant les programmes d’occupation, ils et elles s’exercent à une activité professionnelle au rythme que celle-ci impose en Suisse (arriver à l’heure, travailler en équipe, etc.). Il s’agit généralement de groupes, dans lesquels un·e ou plusieurs responsables sont formé·e·s dans le métier exercé. Ces derniers reproduisent un environnement professionnel, au sein de la procédure d’asile.
La participation à un emploi temporaire a souvent des effets positifs au niveau psychosocial et sur l’inclusion. La majorité des hommes et des femmes hébergé·e·s est « occupée ». Les journées des requérant·e·s d’asile sont rythmées par la participation à des cours de français, à des programmes d’occupation ou à l’exercice d’un emploi en dehors de la structure. Il y a de la vie et du mouvement dans les foyers d’accueil, ça bouge ! J’ai souvent croisé plusieurs personnes dans les couloirs entre les chambres, mais aussi devant les foyers et dans les espaces communs.
Combattre les préjugés
Les professionnel·le·s luttent au quotidien contre les préjugés auxquels sont confronté·e·s les requérant·e·s d’asile. En effet, il n’est pas rare d’entendre qu’ils ou elles ne font pas grand-chose de leur journée. Pour combattre ce préjugé et bien d’autres, les professionnel·le·s s’appliquent à créer et à favoriser des situations de rencontres entres les requérant·e·s d’asile et les populations locales. Par exemple, ils et elles organisent des journées portes ouvertes dans les foyers, distribuent leurs bûches de bois coupées aux personnes âgées du village, organisent des journées d’échanges entre la garderie de leur foyer et l’unité d’accueil pour écolier·ère·s du village, etc. Des personnes habitant la région interrompent leur promenade pour discuter lorsqu’ils et elles voient des requérant·e·s travailler à l’extérieur. Ces personnes se montrent intéressé·e·s, curieux·se·s et repartent avec une autre image qui contraste avec celle qu’ils et elles avaient l’habitude d’avoir. Le fait d’exercer une activité professionnelle à la vue de toutes et tous crée ainsi un espace de discussion et déconstruit des préjugés.
En juillet 2016, le service de l’action sociale de l’État du Valais (SAS) a ouvert une entreprise sociale [5] dans l’un des foyers. Il s’agit d’un restaurant dans lequel des professionnel·le·s de la cuisine et du service forment des requérant·e·s d’asile ainsi que des bénéficiaires de l’aide sociale aux métiers de la restauration. De plus, le restaurant travaille avec des fournisseurs locaux. Ce lieu, au sein même d’une structure d’accueil pour requérant·e·s d’asile, crée un véritable espace de rencontre avec la population locale et touristique.
Au quotidien, les professionnel·le·s créent un lien avec les requérant·e·s et s’investissent dans celui-ci indépendamment de la possibilité d’un renvoi de l’usager·ère. Ils et elles considèrent l’attente comme une opportunité pour les requérant·e·s d’asile de réaliser un nouveau chapitre de leur vie. Les professionnel·le·s rencontré·e·s sont au fait des réalités qui gravitent autour des requérant·e·s d’asile et travaillent avec elles et eux.
Bibliographie
- Kobelinsky, C. (2010). L’accueil des demandeurs d’asile : une ethnographie de l’attente. Éditions du Cygne.
- Felder, A. (2016). L’activité des demandeurs d’asile. Éditions érès.
- Avilés G. (2018). Le marché subventionné de l’emploi : une réponse efficace face à l’exclusion ? Cours du module Welfare et transformations du monde travail. Lausanne : Haute École de Travail Social, HES·SO Master. Non publié.
[1] Responsables d’intendance, veilleurs et veilleuses, assistantes sociales et assistants sociaux, responsables de foyer, chef·fe·s cuisiniers, bénévoles, responsables d'ateliers (PO), stagiaires, professeur·e·s de français.
[2] Les observations ont débuté en novembre 2017 et se sont terminées en avril 2018.
[3] Recherche dirigée par la professeure Viviane Cretton, professeure à la HETS de Sierre : « Quelle cohabitation entre requérant.e.s d’asile et « Valaisan.ne.s » en zone d’altitude ? »
[4] Les requérant·e·s d’asile ayant été reconnu·e·s comme réfugié·e·s ou admis·es à titre provisoire peuvent rester en Suisse. Dans ces cas-là, ils et elles obtiennent respectivement un permis B ou un permis F qualité réfugié·e.
[5] Restaurant le Temps de Vivre
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Daniela Da Cruz Gaspar, «Attendre l’asile dans les montagnes en Valais», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 12 novembre 2018, https://www.reiso.org/document/3711
Bonjour,
Article très intéressant qui résume un fait d’actualité! Bravo à toutes les personnes qui ont contribué à cet article!
On en redemande volontiers!
Miguel Cruz, Sierre