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Les 50+ sont peu licenciés mais trop peu engagés

Jeudi 31.01.2019
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La fin de carrière est devenue un nouvel espace de vulnérabilisation dans le parcours de vie. Pour l’instant, la loi est muette, les employeurs ambivalents et le monde politique attentiste. Des pistes d’action existent pourtant.

Par René Knüsel, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques, UNIL, Lausanne

La situation des travailleurs âgés est, enfin, en passe de devenir un problème social reconnu. L’origine des difficultés rencontrées par ces salariés est complexe et les facteurs en cause divers. Cet article entend présenter quelques-unes des facettes de cette problématique [1]. Il est articulé autour de cinq points majeurs :

  1. La législation sur le travail
  2. Entre discours et pratique : les ambivalences du patronat
  3. L’auto-dévaluation par les travailleurs âgés eux-mêmes
  4. Les obstacles lors de la procédure d’embauche
  5. Trois pistes d’action parmi d’autres

L’absence de protection dans la loi sur le travail

Le refus d’introduire un dispositif législatif pour lutter contre le licenciement des travailleurs âgés, tant de la part des Association patronales que des partis bourgeois, ne relève pas seulement d’une position idéologique. L’analyse des chiffres du chômage montre que la catégorie 50+ est moins concernée que les autres groupes plus jeunes. Le licenciement n’est pas le facteur principal expliquant les retraits du marché de l’emploi pour la tranche des 50+. Dans ces conditions, et pour l’instant, le développement d’une législation contre le licenciement des 50+ ne serait pas très utile, voire contre-productive. En effet, la crainte de ne plus pouvoir se séparer de travailleurs âgés pourrait inciter un certain nombre d’employeurs à anticiper une telle mesure en les licenciant de manière préventive ou en refusant de les embaucher.

Si le licenciement en Suisse concerne moins fortement les travailleurs âgés que les autres classes d’âge, en revanche, ils sont lourdement concernés par le chômage de longue durée et la situation de fin de droit. Les 50+ qui perdent leur poste de travail sont contraints de regagner le marché de l’emploi en concurrence avec l’ensemble des autres travailleurs, une situation rarement vécue par eux auparavant. Ils sont moins habitués à postuler, à le faire selon les règles du marché actuel, avec la contrainte de prestations sociales qui ne les favorisent pas.

Notre pays se distingue parmi les pays développés par son refus de légiférer contre les discriminations liées à l’âge. Les annonces indiquant un âge maximal dans une offre d’emploi sont interdites depuis 1967 aux USA. Elles le sont aussi généralement en Europe. Pas en Suisse ! Les annonces spécifiant des caractéristiques telles que « âge idéal 25-40 ans » ou encore « Recherchons personne jeune », voire plus alambiquées telles « Recherchons pour équipe jeune » concernaient encore une annonce sur 15 en 2015. Seul 1 % des offres s’adressait à un public de 45 à 65 ans.

Pourtant, la Constitution fédérale spécifie dans son art. 8: « Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge […]. » Cette disposition n’est cependant contraignante que pour les pouvoirs publics en tant qu’employeurs et avec des exceptions possibles.

Lors de la 2ème Conférence nationale sur les travailleurs âgés, le conseiller fédéral Schneider-Amman déclarait à l’issue de la séance : « Nous avons par ailleurs décidé, lors de la conférence, que les employeurs publics et privés renonceraient à indiquer un âge dans les offres d’emploi lorsque c’est possible. Je m’oppose en revanche à toute intervention exagérée en la matière. Ainsi, l’introduction d’une protection renforcée contre le licenciement à partir d’un certain âge serait contre-productive, car elle réduirait massivement les chances d’embauche des seniors. Le système libéral reposant sur un partenariat social qui a fait ses preuves est un des atouts de la Suisse. Il serait inconsidéré de le compromettre. »[2]

Le défaut de volonté politique est la première caractéristique de ce dossier. Sans entrer dans les détails des circonvolutions politiques, il faut noter l’initiative populaire qui a été lancée parce qu’une partie des acteurs de la société civile constate l’absence de ce problème à l’agenda politique [3].

Les ambivalences du monde patronal

Dans les organisations d’employeurs existe un discours fort sur la place et l’importance des travailleurs âgés au sein des entreprises. Les déclarations allant dans ce sens se multiplient, en particulier depuis la votation du 9 février 2014 contre l’immigration de masse. Les vertus des seniors au travail sont relevées en particulier dans l’idée d’un transfert intergénérationnel. La Fédération des employeurs romande, fer de lance de ce discours en Suisse occidentale, a lancé une enquête pour tenter de mieux comprendre les difficultés des travailleurs âgés. Les faits montrent en effet que, malgré un discours lénifiant, les 50+ au chômage sont peu prisés des patrons.

Les associations patronales reconnaissent le problème à demi-mot. Mais elles s’élèvent contre toutes les mesures qui pourraient être prises telles que celle prônée par la CSIAS, à savoir faire bénéficier les travailleurs en fin de carrière de droits au chômage ou d’un mécanisme identique aux prestations complémentaires jusqu’à 65 ans [4].

Les responsables d’entreprise comme ceux des Ressources humaines ne rechignent plus à licencier des personnes en fin de carrière, présentant des difficultés de santé ou d’adaptation face aux innovations. Ce changement de pratique est particulièrement délicat pour les générations de travailleurs âgés actuelles, peu préparées à de telles pratiques et dès lors très vulnérables.

Les obstacles lors de la procédure d’embauche

Nos enquêtes auprès des organes recruteurs ont confirmé l’étendue des représentations sociales négatives à l’égard du travailleur âgé, prégnantes non seulement parmi les patrons, mais également au sein du personnel des ressources humaines [5].

Les dispositifs de sélection représentent assurément un handicap majeur pour les seniors. L’externalisation du recrutement constitue un premier écueil, dès lors que parmi les exigences posées figure souvent une fourchette d’âge idéale. Les capacités d’adaptation d’un candidat plus âgé sont aussi présentées comme un frein à l’embauche, ainsi que l’aptitude d’un 50+ à travailler sous la houlette d’un responsable plus jeune. Son attitude face à l’apprentissage et l’acquisition de nouvelles compétences sont mises en doute. L’importance des charges sociales à consentir, mais également une surestimation de soi en termes de prétentions salariales sont présentées comme autant d’obstacles au recrutement d’un senior, au sein des ressources humaines.

Parmi les autres obstacles encore relevés figure la postulation en ligne, susceptible de désarçonner un senior peu habitué à l’informatique et surtout à ce mode de recrutement. Plus encore, les différents algorithmes liés au processus de sélection tendent à écarter les 50+ ans, que ce soit par les exigences de diplômes ou de formations spécifiques. La propension à obtenir un entretien en est d’autant plus réduite.

Par ailleurs, pour qu’une candidature spontanée aboutisse, il est souvent nécessaire de disposer d’informations internes sur les vacances de poste, démarche peu évidente pour une personne n’ayant jamais dû recourir à un tel procédé auparavant dans sa carrière.

L’autoreprésentation négative du travailleur âgé

L’auto-dévaluation des travailleurs âgés constitue aussi une partie du problème. L’image qu’ils renvoient à leur interlocuteur au travers du dossier de postulation ou lors d’un éventuel entretien est un élément trop sous-estimé de la part des demandeurs d’emploi. L’idée de devoir se soumettre à une procédure de recrutement auquel ils sont peu familiers, la confrontation à une population plus jeune, plus flexible, etc. peut conditionner les travailleurs âgés au point de largement sous-estimer leurs apports et qualités intrinsèques.

Consultés sur cette question, les travailleurs âgés ont souvent fait part de leur sentiment d’injustice face à une situation dans laquelle ils se sentent impuissants et particulièrement démunis. « J’ai tout fait juste dans ma vie, travaillé, été ponctuel, payé des cotisations sociales. Je cherche activement du travail et je me retrouve à devoir pointer au chômage et peut-être à quémander l’aide sociale. »

Trois pistes d’action parmi d’autres

La question doit être publiquement reconnue en tant que problème social et inscrite à l’agenda politique. Les autorités cantonales et fédérales doivent admettre qu’être travailleur âgé à la recherche d’un emploi est aujourd’hui une situation sociale très ardue. Sous-estimer ce problème peut faire vivre des drames personnels à des personnes démunies de ressources. Le sentiment d’amertume qui apparaît dans la citation ci-dessus est d’autant plus préjudiciable que la situation n’est pas reconnue sur les plans social et politique.

Pour les entreprises existe la nécessité de repenser l’organisation du travail afin de permettre le maintien des travailleurs âgés en entreprise par le biais d’une retraite progressive ou d’une affectation à des postes adaptés.

La promotion de la formation continue a été souvent évoquée, notamment par l’OCDE dans ses recommandations à la Suisse. Il s’agit d’un outil indispensable. Mais la Suisse présente un contraste saisissant dans ce domaine avec un fort investissement en faveur des travailleurs très qualifiés et un soutien indigent aux employés peu qualifiés. L’encouragement à la formation continue tout au long de la carrière, aussi après la retraite, doit se généraliser et n’être pas uniquement du ressort du travailleur. Son financement, trop souvent assuré par l’employé lui-même, doit être fondamentalement revu.

 

Bibliographie sélective

  • Correa K, Knüsel R., Le Goff J.-M. (2017), La Suisse en panne de politiques de fin de carrière en entreprise, Retraite et société, 77, pp. 19-44.
  • David H., (2003), Les enjeux du vieillissement au travail, Vie et vieillissement, vol. 2, pp. 3-18.
  • OCDE, 2014, « Vieillissement et politiques de l’emploi : Suisse 2014, mieux travailler avec l’âge», DOI.

[1] Les résultats présentés ici sont le fruit de plusieurs recherches menées depuis 2007, en particulier dans le cadre du FNS.

[2] Propos du conseiller fédéral Johann Schneider-Amman, rapportés dans la Vie économique, 7/2015, p. 58.

[3] L’Initiative populaire fédérale de l’association Workfair 50+ : «Prévoyance professionnelle - Un travail plutôt que la pauvreté» vise la suppression des taux de cotisations différenciés selon l’âge à la LPP.

[4] Le document de position de la Conférence suisse des institutions d’action sociale – CSIAS en format pdf

[5] Correa K, Knüsel R. Le Goff J.-M., La Suisse en panne de politiques de fin de carrière en entreprise, Retraite et société, 77/2017.

Comment citer cet article ?

René Knüsel, «Les 50+ sont peu licenciés mais trop peu engagés», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 31 janvier 2019, https://www.reiso.org/document/3994

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