Comment financer les soins aux aînés?
Les personnes âgées consomment beaucoup de prestations de santé et les plus jeunes sont fortement sollicitées pour en payer les coûts. Il est urgent de coordonner le système, de renforcer la solidarité et d’adapter les politiques publiques.
Par Carlo De Pietro, économiste, professeur de management de la santé à la Haute école spécialisée de Suisse italienne (SUPSI), Manno
Les dépenses de santé sont en augmentation et constituent une préoccupation majeure pour le monde politique et la population. Une grande partie de ces dépenses, qui sont largement socialisées, est absorbée par la population âgée. D'une part, les aînés ont besoin de nombreux services, en raison des maladies chroniques et de la non-autonomie qui s'accumulent au fil des ans. D'autre part, les dépenses de santé élevées pour les personnes âgées s'expliquent également par le fait qu'elles cachent – et plus exactement qu’elles contiennent – les coûts élevés des soins liés aux derniers mois de la vie avant la mort.
Quelques informations épidémiologiques indicatives de l’étude SHARE 2010-2011 : 19% des personnes de 80 ans ou plus étaient atteintes de trois maladies chroniques ou plus. Dans cette tranche d’âge, seules 29% n’avaient pas de maladies chroniques. Dans le groupe 50-64 ans, ces pourcentages étaient respectivement de 4% et 60%, [1]. En ce qui concerne les coûts des derniers mois de la vie, on peut considérer le scénario de référence adopté par l'OFS pour les projections démographiques, selon lequel le nombre de décès en Suisse devrait passer de 62’600 en 2010 à 67’600 en 2020, 77’100 en 2030 et 89’600 en 2040 [2].
Il est peu probable que le système de santé et de protection sociale puisse relever ce défi par une simple augmentation quantitative des services fournis. Une réponse durable exige un changement de perspective plus radical sur trois dimensions d'action: le système de santé, les relations sociales et les politiques publiques.
D'une part, il s'agit de travailler sur l'organisation des services de santé, de développer des réseaux efficaces de soins primaires, d'accroître la coordination des différents acteurs sur le terrain, de continuer à adapter les compétences professionnelles pour les maintenir à jour par rapport aux besoins, et de renforcer les compétences de soins auto-administrés des personnes âgées malades et de leurs familles. D'autre part, il s'agit de mobiliser le plus possible les ressources sociales présentes dans les réseaux d'amis et de voisinage et les organisations de la société civile. Enfin, il s'agit d'inclure systématiquement et de manière proactive les besoins d'une population vieillissante dans toutes les décisions et politiques publiques relatives au maintien de la santé des personnes âgées (aménagement du territoire et urbanisme, transports publics, normes de construction et politiques du logement, sécurité et protection des consommateurs, etc.)
La question centrale du financement
Quelles que soient les réponses que nous pouvons trouver en tant que société, un élément central sera certainement le financement. À cet égard, deux aspects semblent être des éléments-clés dans le contexte suisse. Le premier est la nécessité d'une plus grande solidarité économique intergénérationnelle ainsi qu’entre les plus riches et les plus démunis. Le deuxième élément concerne la cohérence entre les multiples régimes et sources de financement des services de santé et des services socio-sanitaires pour les ainés.
L’enjeu peut se résumer en deux questions. «Combien voulons-nous payer pour les services de santé destinés aux ainés ?» «Qui devrait financer ces services et comment ?» Il est clair que ces questions soulèvent plusieurs problèmes, liés à la bioéthique, aux théories de la justice sociale et de l'équité intergénérationnelle, à la nécessité d'une allocation efficace des ressources disponibles, etc. Et ce sont des questions à la fois « gênantes » et très difficiles pour le monde politique.
Plus de solidarité pour les personnes âgées
Il est physiologique que les dépenses de santé se concentrent sur la population âgée. Si l'on considère strictement les seules dépenses de santé [3], les personnes âgées de 81 ans et plus en 2017 ont absorbé jusqu'à 20% des dépenses totales (16.7 milliards de francs sur des dépenses totales de 82.8 milliards), alors qu'elles représentaient 4.5% de la population résidente. Pour donner un autre exemple, en 2018, les personnes âgées de 80 ans et plus représentaient 58% du nombre total de soins LAMal dispensés par les services d'aide et de soins à domicile [4].
A ces services de soins de santé s'ajoutent des services sociaux. Ils sont également dédiés largement aux personnes âgées et sont souvent financés par des ressources publiques, notamment les prestations complémentaires AVS/AI et le financement résiduel des soins en EMS pour les coûts non-LAMal.
La redistribution actuelle des jeunes et adultes en bonne santé vers les ainés malades devrait encore s'accroître dans les années à venir. Cette dynamique, ainsi que l'augmentation des dépenses de santé – qui se maintiendra plus rapide que la croissance du produit intérieur brut (PIB) suisse et des salaires – mettront le système sous pression. La redistribution deviendra plus visible au fil du temps et fera l'objet d'un débat public de plus en plus important. Les jeunes et les adultes, en particulier ceux des classes moyennes et supérieures, appelés à payer plus d'impôts pour financer les soins aux ainés, pourraient réduire leur « générosité » et exiger une plus grande sélectivité dans la mise à disposition de ces services. La tâche des élus politiques, qui devront concilier des besoins et des intérêts de plus en plus polarisés, sera ardue.
Plus de coordination entre régimes et sources de financement
Le deuxième défi du financement des services de santé pour les personnes âgées est lié à ses régimes financiers et à ses sources, ainsi qu'à leurs relations internes. Si on adopte la grille utilisée par l’OFS, les « régimes » de financement des services de santé sont l'assurance maladie obligatoire, les versements directs des ménages, l'État, les autres assurances sociales, l'assurance maladie complémentaire, ainsi que d'autres financements publics ou privés mineurs. Les « sources » sont les ménages privés (qui paient les primes LAMal et les assurances complémentaires), l'État (qui paie également pour la réduction des primes LAMal et les autres assurances sociales AVS, AI, AA) et les entreprises [5].
Or, la présence de tous ces dispositifs et flux de financement rend leur coordination complexe, surtout lorsque les acteurs ou les services financés sont les mêmes (pour les maisons de retraite par exemple). Soulignons deux aspects particuliers.
- La coprésence de tous ces régimes et sources peut souvent déclencher de faux incitatifs, qui conduisent à une allocation sous-optimale des ressources économiques. Pensons par exemple à l’impact des règles de financement des EMS sur les décisions de retrait du deuxième pilier ou d'épargne à l'âge adulte.
- Probablement plus important encore, la présence de régimes de financement distincts, chacun destiné à rembourser un type de service spécifique, constitue un sérieux obstacle à l'innovation organisationnelle, en particulier lorsqu'elle vise à apporter des réponses intégrées à un plus grand nombre de besoins et d'utilisateurs (par exemple la création d'espaces communs dans les centres de santé communautaires gérant des services de soins à domicile, des services pour adultes handicapés, des EMS, etc.).
Si l'on considère les difficultés que la politique a toujours rencontrées et rencontre encore dans les réformes de l'AVS, de l’AI, de la LAMal, etc., on voit bien à quel point la recherche d’une cohérence entre système de financement et évolution des besoins et des services de santé, même si elle est cruciale pour l’innovation et le développement du système de soins, peut devenir difficile en termes de consensus et de processus politique.
Au cœur de l’agenda politique
L'augmentation de la population âgée ainsi que la concentration des dépenses de santé sur les ainés posent des défis majeurs à la durabilité du système suisse de santé et de la protection sociale.
En ce qui concerne le financement, deux éléments semblent particulièrement critiques en termes de consensus politique. Le premier concerne la solidarité croissante qui sera exigée des jeunes et des adultes en faveur des personnes âgées. Le deuxième élément concerne la difficile coordination des différents régimes et sources de financement des services de santé pour les personnes âgées.
La recherche de solutions raisonnables à ces deux défis restera au cœur de l'agenda politique des prochaines années.
Bibliographie
[1] Moreau-Gruet F., 2013, La multimorbidité chez les personnes de 50 ans et plus. Résultats basés sur l’enquête SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), Obsan Bulletin 4/2013, Neuchâtel, Observatoire suisse de la santé, page 4. En ligne, consulté le 17.2.2020
[2] OFS, 2015, Les scénarios de l’évolution de la population de la Suisse 2015 – 2045, Neuchâtel, Office fédéral de la statistique, page 70. En ligne, consulté le 17.2.2020
[3] OFS, 2019, Coûts de la santé par âge et par sexe (estimations). En ligne, consulté le 17.2.2020
[4] OFS, 2019, Aide et soins à domicile. En ligne, consulté le 17.2.2020
[5] OFS, 2019, Coût et financement du système de santé en 2017. En ligne, consulté le 17.2.2020
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Comment citer cet article ?
Carlo De Pietro, «Comment financer les services de santé des aînés?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 27 avril 2020, https://www.reiso.org/document/5842