«Tout le monde a participé à l’effort général»
Le confinement a vu de nouveaux liens se tisser avec les réfugié·e·s. Des ordinateurs portables ont été prêtés. Les cours ont eu lieu à distance. La créativité et l’humour s’en sont mêlés. L’épreuve a été rude, mais elle a concerné tout le monde.
Par Alice Bretagne et Mélanie Courvoisier, Association 1951, Lausanne
Pendant le semi-confinement, de nombreuses mesures d’insertion professionnelle mises en place dans le cadre du chômage et de l’aide sociale ont été suspendues. Au sein de l’Association 1951, la mesure « Français et Intégration Professionnelle » a été maintenue grâce aux technologies numériques et à l’investissement des professionnel·le·s et des participant·e·s dans un projet créatif. Cette formation a pour objectif d’outiller et d’accompagner des réfugié·e·s statutaires dans leur intégration socioprofessionnelle en mettant en relation les participant·e·s (leurs capacités avérées, leurs motivations, leurs besoins singuliers) avec les contextes (espaces sociaux, savoirs et techniques utiles et nécessaires) au travers desquels leur intégration socioprofessionnelle peut se réaliser.
Poursuivre les relations de formation
Durant cette période, le suivi des 17 participant·e·s s’est fait à distance, grâce au prêt d’ordinateurs portables qui ont permis de donner des cours de français, maths et économie familiale en visioconférence. Nous avons également intensifié l’utilisation du groupe WhatsApp pour alerter de certaines «infox», mais surtout pour échanger des gags ! Parallèlement, pour répondre au besoin de suivi, nos formateurs·trice·s, nos conseillères en insertion et notre psychologue ont appelé régulièrement chaque participant·e. Ces contacts téléphoniques ont non seulement permis de préserver les liens, mais également de maintenir leur niveau de français ou encore de mettre en place des stages et même de trouver un emploi en collaboration avec nos prescripteurs de l’EVAM.
Un projet de spectacle avec le Théâtre de Vidy, réinventé en raison de la situation, a donné naissance au court métrage «Tous ensemble… chacun chez soi !» [1]. Produit en confinement, en intégrant les contraintes et les moyens technologiques de chacun et chacune, ce film offre un aperçu de la façon dont les participant·e·s ont vécu cette période singulière. Il a également permis un retour réflexif et un échange collectif sur cette période tant pour les participant·e·s que pour les formateurs·trices.
Maintenir les liens
La période de semi-confinement a également été l’occasion pour l’association de prendre des nouvelles de la vie quotidienne des ancien·ne·s participant·e·s. Menée en partenariat avec l’équipe de recherche du projet IMIRIS* auprès de 50 ex-participant·e·s, l’enquête téléphonique a permis d’observer deux phénomènes. Tout d’abord, le pourcentage des personnes ayant déclaré ressentir un sentiment de solitude (46.8%) correspond presque exactement, selon les chiffres de l’OFS, à celui de la population immigrée de la première génération en Suisse et est légèrement plus élevé que celui de la population non issue de la migration. Ensuite, 53.2% des répondant·e·s ont dit ne jamais souffrir du sentiment de solitude. Ce pourcentage est plus élevé que pour l’ensemble de la population suisse qui a été évalué à 40% en période de confinement par une enquête scientifique. Parmi ces ex-participant·e·s, onze étaient en emploi et aucun·e n’avait perdu son emploi suite au Covid-19.
Plusieurs difficultés ont toutefois été relevées, notamment la peur d’être contaminé·e·s comme de contaminer. Pour les personnes sans activité, le confinement a rendu plus difficile les recherches d’emploi, de stage ou d’apprentissage. Les six interlocuteur·trice·s avec enfants ont souligné combien il était difficile de les empêcher d’aller jouer dehors. Enfin, quelques personnes, notamment celles qui ont des logements très petits ou partagés, ont relevé la souffrance de ne pas pouvoir sortir.
Une contribution à l’effort général
Malgré les difficultés soulevées, la grande majorité des personnes contactées ont relativisé cette période de confinement. Au niveau financier, les répercussions sur le revenu ont été limitées, soit parce qu’elles ont continué de travailler, soit parce qu’elles dépendaient de l’aide sociale. Les liens sociaux ont souvent été maintenus via les réseaux sociaux, les appels téléphoniques et les services de messagerie, en continuité avec l’avant-crise quand, de par leur parcours migratoire, les liens familiaux et amicaux se pratiquaient déjà à distance. Plusieurs personnes ont relevé que l’isolement imposé par les mesures de restriction concernait tout le monde, et non elles seules. Elles ont souligné que l’effort pour endiguer cette pandémie devait être général et qu’y contribuer les a aidées à supporter la situation.
Ainsi, replacer la pandémie dans le contexte de vie est une piste pour expliquer la relativisation des difficultés. En temps de crise comme en temps habituel, ces personnes restent en effet exposées à des difficultés multiples liées au parcours de migration, au statut de réfugié·e, au logement, à l’insertion professionnelle, à l’intégration sociale, à la santé ou encore à la précarité.
* Article en collaboration avec l’équipe de recherche du projet de recherche-action Improved Integration for refugees in Switzerland - IMIRIS : Elise Epiney, Rainer Gabriel, Morgane Kuehni, Maude Reitz, Stephan Steiner, Yann Vuillet
Cet article appartient au dossier spécial «Travail social et Covid-19» coordonné par la Haute école de travail social Fribourg et REISO.
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Alice Bretagne et Mélanie Courvoisier, «Tout le monde a participé à l’effort général», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 26 octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6540