Bien des aîné·e·s garderont un traumatisme
Dans le canton de Neuchâtel, une plateforme a facilité l’organisation du soutien aux aîné·e·s. Toutefois, des frais inattendus dans des budgets déjà serrés, l’isolement et le sentiment de stigmatisation ont marqué de nombreux seniors. Leur rôle est pourtant crucial pour toute la société.
Par Alexia Cantoni, assistante sociale à Pro Senectute Arc Jurassien
Les mesures prises par le Conseil fédéral sont venues bouleverser un quotidien bien ancré et des habitudes établies. Pour ce qui concerne notre pratique du travail social, Pro Senectute Arc Jurassien a tenu compte d'une nouvelle donne : les personnes de 65 ans et plus sont considérées comme une population à risque et doivent rester chez elles. Nous avons donc cherché des alternatives pour continuer à accompagner les seniors en tenant compte d'une limitation de nos possibilités d'action.
Des interrogations en tous sens
Le télétravail étant de mise, il a fallu réorganiser la pratique. Les questions se pressent dans nos réflexions d'assistantes sociales. Comment maintenir le lien ? Comment éviter les sentiments de solitude et d'isolement ? Comment continuer d'offrir nos prestations ? Comment répondre aux diverses interrogations des seniors tant du point de vue pratique que psychique ? Comment faire face à l'angoisse générée par cet état d'urgence, sur quelles ressources s'appuyer ? Du côté des seniors, de nombreuses interrogations arrivent également. Comment garantir ses besoins fondamentaux notamment alimentaires ? Comment avoir accès aux médicaments ? Qui va garder nos petits-enfants ? Pour combien de temps serons-nous ainsi confiné∙e∙s ? Quels sont les risques pour notre santé ? Autant de besoins concrets et essentiels, mais aussi des demandes d'écoute, de sécurité, de stabilité, auxquels il faut répondre.
Notre première inquiétude a été de rassurer et orienter les personnes. Nous avons mis en place des contacts ponctuels ou réguliers, selon les situations, par téléphone ou par divers moyens de télécommunication. Notons que les aîné·e·s ont montré d’importantes ressources dans l'utilisation des nouvelles technologies. Dans un souci de prévention, il a également été important de relayer les informations sanitaires liées au semi-confinement.
Le rôle crucial des proches aidants
Nous avons ensuite cherché à faire le lien avec les familles, les proches et les divers services d'aide à domicile pour organiser le soutien nécessaire. Dans ce cadre-là, le rôle solidaire des familles, des proches, des voisin∙e∙s a été mis à large contribution. Néanmoins, il reste peu valorisé et trop souvent relégué à l'arrière-plan. Leur rôle a été crucial et il confirme que la reconnaissance des proches aidants est nécessaire pour le bon fonctionnement de la société.
Ce n'est qu'au bout de quelques semaines que cantons et communes ont commencé à développer et centraliser des offres ou à déléguer cette mission à des organisations privées. Au niveau du canton de Neuchâtel, la réactivité a été appréciée. La création d'une plateforme cantonale gérée par Bénévolat Neuchâtel a été d'une grande aide. Cette centralisation a permis un travail d’aiguillage efficace et la mise en place de soutiens qui ont soulagé tant les bénéficiaires que les professionnel·le·s. De telles aides seraient bénéfiques sur du long terme.
Une précarité qui grandit en temps de crise
Nous constatons que la précarité touchant les seniors est non seulement demeurée en ces temps de crise, mais qu’elle s'est parfois accentuée. Frais inattendus de livraison de repas à domicile, déménagements repoussés et doubles loyers à charge, perte de revenus annexes sans droit à des indemnités journalières, frais exceptionnels liés au matériel de protection (masques, désinfectant), etc. : autant de frais qui sont venus déstabiliser des budgets déjà serrés. Pro Senectute a pu continuer de soutenir les aîné∙e∙s via ses propres fonds fédéraux et compter sur le fond d'aide d'urgence spécial Covid financé par la Chaîne du Bonheur moyennant des règles précises. Contrairement à ce que nous envisagions, ces aides ont été peu sollicitées.
L'après-confinement résonne pour certains seniors comme un traumatisme. Pendant cette période si particulière, l’isolement et la stigmatisation se sont côtoyés et ont laissé des marques. Les limites posées à leur participation à la vie sociale a été difficile à vivre pour eux, mais aussi pour celles et ceux qui bénéficient de leur engagement au quotidien. Leur implication est essentielle au bon fonctionnement de la société. Ces mois auront clairement démontré que la solidarité passe par les relations et le soutien intergénérationnel.
Cet article appartient au dossier spécial «Travail social et Covid-19» coordonné par la Haute école de travail social Fribourg et REISO.
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Alexia Cantoni, «Bien des aîné·e·s garderont un traumatisme», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 26 octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6541