Indépendance et maladie font un cocktail amer
Les indépendants sont lourdement pénalisés lorsqu’ils sont touchés par la maladie. Et tout particulièrement par une maladie de longue durée, telle que le cancer. Ils doivent non seulement se battre contre la maladie, mais également lutter pour la survie de leur entreprise.
Par Yves Hochuli, directeur adjoint et juriste, Ligue vaudoise contre le cancer
Les indépendants, en particulier lorsqu’ils sont atteints dans leur santé, sont insuffisamment protégés par le système social : contrairement aux salariés, ils ne bénéficient d’aucun droit au chômage. Par ailleurs, ils n’ont pas de protection salariale en cas d’incapacité de travail pour cause de maladie.
Pour percevoir une rémunération en cas d’incapacité de travail, ils sont contraints de contracter, à leurs frais, une assurance perte de gain en cas de maladie. Celle-ci leur permet d’obtenir des indemnités journalières qui couvrent généralement 80% de leur revenu durant environ deux ans. Sans cette couverture d’assurance, les indépendants doivent puiser dans leurs économies ou se résoudre à recourir à l’aide sociale pour obtenir des prestations qui couvrent leur minimum vital. Ces prestations sont cependant uniquement octroyées à des conditions très contraignantes pouvant aller jusqu’à l’obligation de mettre leur entreprise en faillite.
Et le Covid-19 n’a rien arrangé…
La situation des indépendant·e·s, et plus spécifiquement des indépendant·e·s atteints d’une maladie oncologique, s’est encore péjorée depuis le début de la pandémie. En plus de leur vulnérabilité face au coronavirus, ils et elles n’ont pu bénéficier d’un soutien financier étatique qu’à des conditions restrictives. A titre d’exemple, leur droit à l’allocation perte de gain coronavirus pour garde d’enfants a été limité à 30 jours et le montant de l’allocation pour perte de revenu a été fixé à 80% du revenu réalisé en 2019, en principe [1]. Ce dernier élément a eu de lourdes conséquences pour les indépendant·e·s en incapacité de travail avant la pandémie.
Tel est notamment le cas de Mme T., esthéticienne indépendante, qui a souffert d’un cancer du sein diagnostiqué en 2018. A l’annonce de la maladie, elle a subi une perte de revenu car son assurance perte de gain en cas de maladie ne couvrait que partiellement ses revenus. De ce fait, elle a été obligée, comme nombre d’indépendant·e·s, de reprendre rapidement son activité professionnelle malgré la maladie. Les difficultés financières ont malgré tout perduré en raison de la perte de client·e·s suite à l’arrêt momentané de son activité. Seul le soutien d’institutions privées – telles que la Ligue vaudoise contre le cancer – lui a permis de se maintenir à flot, elle et son entreprise.
Epuisée par les démarches administratives
A nouveau privée de l’exercice de son activité lucrative au début de la pandémie, Mme T. a rapidement déposé une demande d’allocation perte de gain coronavirus au motif de la perte de revenu. Elle a certes reçu, plusieurs mois plus tard, une aide financière étatique. Cette aide, calculée sur la période durant laquelle elle a subi une diminution notable de ses revenus en raison de la maladie, n’a néanmoins pas permis à Mme T. d’honorer ses charges courantes et les frais liés à l’achat du matériel de protection pour ses clients (masques, gels hydroalcooliques, etc.).
Pour ce motif, elle a été contrainte de déposer une demande d’aide exceptionnelle auprès de l’aide sociale. Epuisée par toutes les demandes d’informations complémentaires et les démarches administratives entreprises depuis le début de la maladie, Mme T. a néanmoins retiré cette requête quelques semaines plus tard.
Agir contre la double peine
La pandémie a une nouvelle fois démontré l’insuffisance de la couverture sociale des indépendant·e·s. Lorsque ces personnes sont atteintes d’une maladie de longue durée, telle que le cancer, elles subissent une double peine : elles sont touchées à la fois dans leur chair et au niveau de leurs ressources financières. Fort de ce constat, il est nécessaire que les parlementaires instaurent une protection sociale qui leur garantisse une couverture en cas de perte de revenu, en particulier en cas de maladie.
Cet article appartient au dossier spécial «Travail social et Covid-19» coordonné par la Haute école de travail social Fribourg et REISO.
[1] cf. chiffre 1065 de la Circulaire sur l’allocation pour perte de gain en cas de mesures destinées à lutter contre le coronavirus – Corona-perte de gain (CCPG) établie par l’OFSP, état au 17 septembre 2020
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Yves Hochuli, «Indépendance et maladie font un cocktail amer», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 26 octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6544