Confinement et violences ne font pas bon ménage
En période de semi-confinement, les femmes victimes de violences domestiques ont été confrontées à un double défi. Quelle priorité choisir pour préserver sa survie et celle de ses enfants ? Expériences vécues dans la région biennoise.
Par Aurélie Landry, Noémie Haenni et Myriame Zufferey, Solidarité femmes Bienne et région
Restez à la maison pour sauver des vies ! Ce slogan a été diffusé dans toute l’Europe au printemps et cet automne pour lutter contre le Covid-19. Pour la majorité, sortir devient un acte égoïste, mettant autrui en danger. Mais comment se préserver et préserver autrui quand il y a des violences domestiques chez soi ?
L’affiche de Mathieu Persan (illustration ci-contre), avec sa maison isolée, montre très bien la problématique de la solitude des personnes victimes de violences domestiques. Quand toutes et tous sont calfeutré·e·s à la maison, que les rues sont vides, que les administrations sont à moitié désertées, comment faire pour chercher de l’aide si la situation chez soi dégénère ? Comment trouver le courage de quitter l’endroit qui est censé nous protéger pour se risquer à trouver ailleurs la protection contre la violence ? Est-ce que ce sera plus sûr, dans ce temps où plus rien n’est sûr ?
A Solidarité femmes Bienne et Région, le premier jour du semi-confinement, le téléphone ne sonnait plus. Même si la demande d’aide a repris progressivement au mois d’avril, pour atteindre un pic au mois de juin, l’équipe s’est fortement inquiétée de cette baisse des appels quotidiens. En fait, l’enjeu principal du semi-confinement a consisté à rester joignables, que ce soit par téléphone ou par courriel. Finalement, malgré la situation et de façon inventive, des femmes ont trouvé un moyen de nous contacter, en prétextant une promenade par exemple.
De la violence et de la prudence
Certaines personnes ont simplement appelé pour avoir un premier contact, dans une sorte de démarche préventive avant d’imaginer un éventuel départ du domicile familial. D’autres ont subi une nouvelle fois des violences, jusqu’à être blessées, et elles ont alors osé quitter discrètement le domicile. Dans la maison d’accueil, nous avons vu des femmes et des enfants arriver sur la pointe des pieds. Le mari avait perdu son emploi, il était à la maison, la tension est montée et les actes de violence se sont produits, une fois de plus. Puis est venue la phase des regrets, remords, excuses, promesses, pardons. Les femmes concernées savent que, si elles décident de partir et une fois le pas franchi, tout sera à reconstruire. Mais le contexte de la pandémie bouleversait tout, il était impossible de trouver la stabilité alors qu’elle faisait défaut partout. Certaines ont décidé : «On retourne à la maison, c’est peut-être plus prudent.»
La plupart des usagères ont dit que la période du semi-confinement avait été « difficile » ou « compliquée ». En effet, le chamboulement entraîné par le semi-confinement a ajouté de nombreux défis au quotidien de femmes vivant déjà dans un état de stress permanent et de grande fatigue.
Leurs partenaires étaient en télétravail ou au chômage technique. Les heures de répit, où les femmes bénéficiaient d’une fenêtre de liberté, ont ainsi disparu. Dans ces circonstances, le contrôle exercé par le partenaire est devenu quasiment total. Plusieurs clientes ont raconté être inquiètes que la violence éclate d’un moment à l’autre, disant tout faire pour éviter de contrarier leur partenaire. Or, il suffit souvent de dire le mot de trop ou d’allumer la télévision au mauvais moment pour que les coups partent. Ainsi, en période de semi-confinement, la cohabitation est devenue encore plus difficile pour beaucoup de nos usagères vivant avec un partenaire violent. Pour les femmes ayant des enfants en âge de scolarité, cette difficulté a été décuplée.
Priorité aux besoins des enfants
Le 13 mars 2020, lorsque le Conseil fédéral a décidé la fermeture des écoles, le rythme scolaire s’est arrêté, mais pas les besoins des enfants. D’un jour à l’autre, les élèves ont dû rester à la maison et ont eu besoin d’aide pour suivre leur programme scolaire. Les écoles étant fermées, les possibilités pour un enfant de manifester sa détresse et obtenir de l’aide ont été énormément restreintes.
Durant cette période chamboulée, une femme nous a demandé un hébergement d’urgence pour elle et ses enfants. Après quelques jours de repos pourtant, elle est retournée auprès de son partenaire, en expliquant que l’enseignement de ses enfants était une priorité et qu’il était trop difficile pour elle de relever ce défi en n’étant pas à la maison.
Le semi-confinement a également eu un fort impact sur les procédures civiles et pénales, entraînant notamment des reports d’audiences. Lorsqu’une femme dépose une demande de séparation par l’intermédiaire de son avocat, un délai d’environ trois mois s’écoule jusqu’à l’audience de séparation. Durant ce laps de temps, les questions financières, de droit de garde des enfants et d’habitation ne sont pas réglées. Nous avons ainsi vu l’audience de séparation d’une de nos usagères reportée à deux reprises. Ces reports l’ont mise dans une situation financière très précaire et éprouvante.
Les restrictions sanitaires ont eu des conséquences sur le déroulement même des audiences. Dans le cadre d’une procédure pénale, un des droits de la personne victime est d’être accompagnée par une personne de confiance, par exemple une intervenante LAVI. L’une de nos usagères a pourtant, malgré elle, dû renoncer à la présence de sa personne de confiance dans la salle d’audience, car le nombre maximal de personnes admises était déjà atteint. Vu la fatigue et le stress engendrés par une procédure pénale s’étalant sur plusieurs années, la cliente a préféré renoncer à la proposition d’un déplacement de la séance.
L’indépendance économique
Certaines femmes ont considéré qu’elles n’avaient d’autre choix que de rester auprès de leur partenaire, car elles savaient qu’en période de semi-confinement, il allait être très difficile de trouver un emploi. En effet, dans des domaines d’activité tels que la gastronomie, le ménage, les nettoyages ou le travail du sexe, les perspectives étaient particulièrement sombres. S’ajoute à cela que, pour plusieurs personnes, il n’était pas possible d’envisager un soutien de l’aide sociale, car cela aurait mis en péril le renouvellement de leur permis de séjour.
Les expériences tirées à la fois dans le centre de consultations et dans la maison d’accueil révèlent que les victimes de violence domestique sont doublement touchées par ces situations de crise. Le stress est énorme. Chacune cherche à faire avec et s’adapte au mieux, en posant des priorités. Certaines décident de rester à la maison, tandis que d’autres osent partir pour, parfois, tout de même retourner au domicile.
L'occasion de s'en sortir
C'est le cas de Mme V. qui ne pouvait plus aller travailler dans son entreprise pour des raisons sanitaires. Employée à 80%, elle a soudain passé beaucoup plus de temps avec ses enfants et à la maison. Son mari, qui travaillait à un taux largement inférieur, continuait de passer ses journées devant la télévision comme avant, tandis qu'elle s'occupait des enfants et du ménage. Cette période a agi comme un révélateur. Elle a réalisé qu'elle ne voulait plus de cette relation, par ailleurs empreinte de contrôle et de menaces. Elle a finalement eu et pris le temps d'entreprendre des démarches, de contacter un avocat et notre association. Elle a dû ruser pour le faire sans que son mari ne s'en aperçoive, passant par exemple ses coups de fil en se rendant chez le médecin. A son retour, elle était questionnée sur les raisons de son retard, mais elle savait qu'elle était en train de se dessiner un chemin vers la liberté. Profitant d'un voyage de son mari lorsque les frontières se sont rouvertes, elle a finalement quitté le domicile pour se mettre en sécurité et organiser la séparation.
Mme V. est bien consciente d’avoir pu compter sur ses propres ressources pour trouver la force de s'en sortir. Elle travaillait déjà avant son mariage et c'est elle qui amenait la grande part des revenus du ménage. Elle savait donc qu'elle parviendrait à se débrouiller seule avec les enfants, en gagnant sa vie et en s'occupant d'eux comme elle l'avait toujours fait. Le pas pour s'affranchir de la violence a certes nécessité beaucoup de courage, mais les perspectives pour une femme financièrement indépendante, disposant en outre d'un large réseau de proches prêts à la soutenir moralement, sont clairement meilleures que pour une femme qui dépend de son partenaire sur le plan économique.
La quadrature du cercle
Face aux violences, les femmes sont inégales. Les ressources financières et le soutien familial manquent souvent à celles qui s’adressent à nous. La crise sanitaire vient encore creuser ce fossé. Les femmes que nous avons hébergées à la maison d’accueil ont reçu du soutien au quotidien et de l’aide pour le suivi scolaire de leurs enfants. Toutefois, par manque de place dans la maison d’accueil, des solutions en urgence doivent régulièrement être trouvées dans des hôtels ou des pensions. Cette situation concerne environ 40 femmes par année. Avec la propagation du Covid-19, il est devenu encore plus difficile de trouver des logements pour ces urgences, d’autant plus si les personnes sont suspectées d’être infectées ou si le test est positif. Leur trouver un abri devient alors un vrai marathon.
Malgré l’entraide entre les institutions de la région biennoise, les ressources manquent et l’accompagnement des femmes et des enfants hébergés en externe est réduit au minimum. Du côté des mandataires, un message de soutien financier serait bienvenu pour relever tous ces défis et affronter les surcoûts financiers liés à la crise sanitaire.
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Aurélie Landry, Noémie Haenni et Myriame Zufferey, «Confinement et violences ne font pas bon ménage», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 décembre 2020, https://www.reiso.org/document/6715