Automutilation: quel soutien social?
Les personnes concernées par l’automutilation ne reçoivent pas le soutien qu’elles souhaiteraient. Sur ce sujet intime, les travailleurs et travailleuses sociales auraient un rôle clé à jouer. Une recherche donne de nouvelles pistes.
Par Anne-Catherine Cordier et Malika Thueler, travail de bachelor, Haute école de travail social et de la santé Lausanne
L’International Society for the Study of Self-injury définit l’automutilation comme le «dommage auto-infligé et intentionnel des tissus corporels accompli sans but suicidaire et dans un but socialement non admis» [1]. Ce phénomène n’est ni récent, ni rare. Son ampleur est inconnue en Suisse, mais il est estimé que, aux États-Unis, entre 4 et 6% de la population globale et jusqu’à 20% de la population psychiatrique sont touchés [2]. Une partie importante des destinataires du travail social est donc concernée. Cependant, le sujet demeure encore fortement tabou et stigmatisé.
Dans ce contexte, de quel soutien social les personnes concernées par l’automutilation disent-elles bénéficier ? [3] Notre recherche s’est basée sur des entretiens semi-directifs avec cinq femmes. Elles ont été contactées par l’intermédiaire de deux institutions vaudoises actives auprès des personnes avec des troubles psychiatriques. Grâce à l’analyse des données recueillies, des thématiques résultant de leur expérience ont été dégagées.
- Quel est le réseau social des personnes interrogées ?
- Quel soutien ont-elles reçu autour de leurs problématiques d’automutilation ?
- Quel soutien ont-elles offert à d’autres personnes avec la même problématique ?
Le soutien des proches
Cette recherche s’est d’abord intéressée à l’aide informelle, c’est-à-dire de la famille et des autres proches, excluant les professionnel·le·s.
Trois des cinq répondantes ont déclaré avoir reçu un tel soutien, principalement sous la forme de bienveillance ou de manifestation d’empathie, de la part de leur réseau amical et de leurs collègues de travail. En même temps, elles ont tout de même rapporté des difficultés à recevoir cet appui. Certaines ont affirmé avoir adopté des comportements de dissimulation de leurs cicatrices ou de leur souffrance pour éviter d’inquiéter leurs proches.
Ces propos correspondent à l’observation de Le Breton [4], pour qui l’automutilation serait souvent vécue dans la solitude et procurerait le sentiment d’être à part et anormal. De ce fait, ne pas comprendre ce qui arrive et l’incapacité de parvenir à nommer ce trouble empêche la recherche de soutien ainsi que la prise en charge.
Qu’en est-il des bienfaits du soutien offert à d’autres personnes concernées par la même problématique ? Les interlocutrices ont confirmé en avoir côtoyées, principalement lors d’hospitalisations en psychiatrie et certaines également dans leur cercle personnel. En revanche, très peu d’expériences ont été rapportées. Certaines répondantes ont précisé qu’elles auraient aimé apporter davantage d’aide à ces personnes, et la seule qui a pu le faire a trouvé la démarche valorisante.
Le soutien des professionnel·le·s
Les répondantes ont également été questionnées sur leurs expériences avec les professionnel·le·s. Les cinq femmes ont soutenu avoir été confrontées à des réactions qu’elles ne jugeaient pas adéquates. Certain·e·s professionnel·le·s ont réagi avec colère, d’autres ont eu des propos et des attitudes vécus comme déplacés et stigmatisants. Trois des participantes ont ajouté qu’elles hésitaient à parler de leurs actes aux professionnel·le·s par crainte d’être hospitalisées d’office.
Au travers de cette recherche, il apparaît que le sujet de l’automutilation reste très peu traité dans le champ du travail social. Plusieurs professionnel·le·s ont livré le même constat. Ils et elles ont constaté que ce manque d’information leur posait parfois problème pour accompagner au mieux les personnes concernées et leur fournir des réponses adéquates.
Cette lacune avait également été repérée lors d’une recherche menée dans un foyer pour adolescents : « L’acte de scarification peut être parfois mal connu des éducateurs. Tous n’ont pas la même définition, lorsqu’ils nous en donnent une. Nous notons également le malaise que cette question engendre. (...) Le professionnel peut également être touché dans le statut qu’il a auprès du jeune (...). Son rôle est de s’occuper de ce dernier (...). Il peut avoir un sentiment d’échec et être envahi par une sorte de culpabilité s’il surprend un jeune qui se scarifie. » [5]
Les besoins personnels
Même si les cinq femmes interrogées relatent principalement des expériences négatives avec les professionnel·le·s des services socio-sanitaires, certaines évoquent tout de même avoir été aidées et soutenues par des personnes bienveillantes et compréhensives. Mais puisqu’elles mettent en avant un manque de soutien social autant de la part des professionnel·le·s que de leurs proches, de quoi auraient-elles eu besoin en termes d’accompagnement ? En fait, les répondantes ont reconnu l’importance d’une relation de confiance ainsi que du non-jugement. Certaines ont mentionné avoir parfois simplement besoin d’une présence pour se sentir moins seules.
Toutes ont confirmé qu’elles auraient été intéressées à participer à des groupes de soutien tels que des groupes de parole, si cela avait existé. Ces groupes sont des endroits où les personnes partagent leurs expériences, tout en établissant des liens avec celles qui comprennent ce qu’elles vivent. Des groupes existent en Suisse, mais ce sont davantage des thérapies de groupes que des groupes de parole. De plus, ils sont rares et ne sont pas facilement accessibles.
Le rôle du travail social
Faire entendre la parole peu écoutée des personnes concernées et mettre en lumière le manque de ressources de soins et de soutien social fait partie intégrante de la profession. Pour les soutenir, les travailleurs et travailleuses sociales devraient donc être aptes à comprendre le phénomène et à dépasser les craintes et les tabous. Le travail social a un rôle à jouer dans l’amélioration de l’accompagnement et de la déstigmatisation de l’automutilation.
Au fil de notre recherche, quelques pistes ont émergé pour améliorer cette prise en charge spécifique. Premièrement, il apparaît nécessaire de favoriser la formation professionnelle sur la problématique de l’automutilation. Deuxièmement, il s’agirait d’encourager la création de groupes de parole. De par leur expertise dans l’accompagnement quotidien des personnes ainsi que leur connaissance des dynamiques de groupe, les travailleurs et travailleuses sociales ont les compétences nécessaires pour favoriser la mise en place de ce type de groupe. De plus, ils et elles disposent d’aptitudes précieuses pour lutter contre l’isolement et la stigmatisation.
Finalement, il semble essentiel de promouvoir une posture professionnelle non-jugeante et compréhensive face aux personnes concernées par l’automutilation. Cette attitude a été mentionnée par les répondantes comme la base de la relation de confiance. Une base nécessaire pour évoquer ce sujet encore si délicat.
[1] International Society for the Study of Self-injury. (2018). What is self-injury? En ligne
[2] Klonsky, E. D. (2011). Non-suicidal self-injury in United States adults: prevalence, sociodemographics, topography and functions. En ligne
[3] Thueler, M. & Cordier, C. (2020). La parole des personnes concernées par l’automutilation : quel réseau et quel soutien social ? Travail de bachelor, Haute école de travail social et de la santé Lausanne, sous la direction de Fanny Bovey.
[4] Le Breton, D. (2003). La peau et la trace. Paris : Editions Métailié.
[5] Currat, D. & Bauen, N. (2010). «J’ai mal donc je suis» : Quelle prise en charge éducative des adolescents ayant recours aux actes de scarification dans un contexte institutionnel? Travail de bachelor, EESP.
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Comment citer cet article ?
Anne-Catherine Cordier et Malika Thueler, «Automutilation: quel soutien social?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 28 janvier 2021, https://www.reiso.org/document/6925