Questionner sa santé dans un espace bienveillant
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Échanger sur les problématiques spécifiques à la santé au féminin, combler un manque d’informations : à Genève, une démarche vise à encourager les femmes à s’approprier leur corps et à leur offrir un espace sécurisé, où aucun sujet n’est tabou.
Par Nadine Rogivue, chargée de projets, Espace santé femmes, Genève
Dans le cadre des prestations et des consultations proposées aux usagères des associations membres du Réseau Femmes, les professionnelles constatent que de nombreux aspects liés à la santé des femmes ne sont pas suffisamment pris en compte ou sont parfois clairement négligés. Des entretiens menés auprès de professionnel·le·s de ce réseau ainsi que des professionnel·le·s de la santé confirment que ces personnes n’ont pas ou peu connaissance et conscience des problématiques qui les touchent, ignorent ou n’osent pas s’adresser au corps médical, ou ne sont pas entendues lorsqu’elles mentionnent leurs besoins spécifiques. Cette méconnaissance comporte un risque de non-recours aux prestations auxquelles elles ont droit et une péjoration de leur état de santé et de bien-être aussi bien physique, mental que social.
Les données récoltées lors des entretiens démontrent également que les violences de couple, les violences sexuelles et le harcèlement, les violences médicales, l’accès à la contraception, le manque d’informations générales sur la santé sexuelle, les problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, la dépression, le stress au quotidien et/ou post-traumatique restent des défis pour les femmes d’aujourd’hui.
Une étude sur l’accès aux soins en Suisse démontre, par exemple, qu’un·e patient·e sur dix qui consulte en cabinet déclare avoir renoncé aux soins médicaux et dentaires durant l’année précédente pour des raisons économiques (1). Le genre, l’identité de genre, le statut socio-économique, le passé migratoire et l’orientation sexuelle sont des caractéristiques déterminantes des iniquités en termes de prise en charge de la santé en Suisse. Associées à un désavantage social (2), il apparaît clairement que les femmes sont particulièrement touchées par ce problème d’accès aux soins.
Un autre sondage [1] montre que les femmes ne sont pas assez informées sur les effets secondaires indésirables qu’un médicament peut avoir. Plus de sept femmes sur dix ont déjà eu le sentiment de ne pas être entendues quand elles évoquaient un problème de santé ; 56% d’entre elles jugent que les douleurs lors des contrôles gynécologiques ne sont pas prises au sérieux par le corps médical et 70% disent ne pas avoir été assez renseignées au sujet des symptômes de la ménopause et des traitements associés.
Rendre les femmes actrices de leur santé
De ces constats et chiffres est né le projet de l’Espace santé femmes. Cet endroit vise à proposer à toutes les personnes qui s’identifient comme femme un lieu de confiance, d’échange, d’entraide et de partage. Il s’agit de mettre à disposition un espace sûr où elles se sentent à l’aise pour parler de leur santé, notamment quand leur sexualité et/ou leur profession sont stigmatisées, comme c’est le cas pour un grand nombre d’usagères des associations du Réseau Femmes. Ce lieu veut les encourager à devenir actrices et à s’approprier leur corps et leur santé, en leur offrant les ressources pour le faire.
Ce projet émerge également du fait qu’il n’existe pas, à Genève, de plateforme autour de la santé féminine. La santé est une problématique touchant toutes les catégories socio-économiques, représentant donc une thématique transversale et mobilisante pour l’ensemble des femmes.
Pas de contexte institutionnel
L’Espace santé femmes, hors contexte institutionnel (hôpitaux ou permanences médicales par exemple), s’inscrira donc comme un lieu de confiance et d’échange, d’entraide et de partage, un « safe space » où les femmes sont à l’aise et libres de parler de tous les aspects liés à leur santé physique et mentale. Elles pourront y poser les questions qui a priori semblent taboues, même si elles concernent en réalité une majorité de femmes. Dans ces murs, le corps et l’esprit des femmes seront abordés avec une vue et une pratique féministe.
L’objectif principal sera d’accompagner les usagères dans l’appropriation de leur corps et de leur santé, au sens large, par le biais d’activités collectives qui encouragent la discussion et les échanges d’expériences. Ces propositions viseront aussi à faciliter l’accès à l’information, proposer des moments de pratique corporelle, offrir un espace où les langues peuvent se délier sur des sujets sensibles, tels que douleurs lors des rapports sexuels, violence sexuelle, consentement, douleurs de règles ou ménopause.
Après une première phase de démarrage, coordonnée par une chargée de projet, l’intention est d’intégrer les usagères du réseau dans la construction et le développement de cet espace collectif. L’objectif est là de créer des liens, de renforcer la confiance en soi et d’offrir des opportunités de soutien et de développement de l’autonomie.
Un espace destiné à toutes
L’Espace santé femmes offrira des prestations à toutes les femmes ou personnes s’identifiant comme telles du canton de Genève, des cantons limitrophes et de France voisine. Il souhaite promouvoir la mixité sociale et sera donc ouvert à chacune, indépendamment de son âge, origine ou catégorie socioprofessionnelle. Ce lieu sera également inclusif pour les femmes LGBTIQ+. À ce sujet, il est prévu d’organiser une formation pour sensibiliser les professionnel·le·s du réseau.
De plus, le projet vise à créer, petit à petit, des liens et des ramifications avec d’autres instances actives dans le domaine de la promotion de la santé de femmes, comme l’Arcade sages-femmes ou le Planning familial.
Les activités principales de l’Espace santé femmes s’articuleront autour de la prévention et de la promotion de la santé. Ainsi seront organisés des ateliers de sensibilisation et d’information sur des thématiques incluant les aspects de la santé physique, mentale, émotionnelle, ou psychologique, des ateliers pratiques santé-découverte, des groupes de paroles et des rencontres avec des professionnelles de la santé.
L’Espace santé femmes a été inauguré lors de la Semaine de l’égalité [2] organisée par la Ville de Genève, lançant avec ces premières activités une phase test de six mois [3]. Si le projet bénéficie de sous-location pour mener à bien ses premières activités, il devrait s’installer à terme dans la Maison des Femmes [4].
Utiliser la force du groupe
Le défi des années à venir est donc de faire vivre cette structure malgré l’absence de local dédié et de permettre aux différentes usagères d’y trouver un lieu de soutien et de ressources. L’Espace santé femmes ambitionne de s’inscrire comme un lieu innovant à Genève, tant sur le mode de fonctionnement que sur les activités proposées, un lieu où chacune sera curieuse de passer et de s’arrêter.
La volonté est de développer un endroit où la créativité, l’intelligence et la puissance du groupe aideront chaque femme à prendre sa place pour, ainsi, contribuer à plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Sans que les un·e·s exclu·e·s les autres.
Témoignage
« J’ai participé à la rencontre à Filigrane et j’ai apprécié cet échange ouvert avec des femmes de diverses professions et origines. En fait, je me suis rendu compte que ces échanges intimes entre femmes sont si précieux, encore trop rares et tellement fragiles. Ces cercles sont précieux et nous sommes toutes au début du voyage. Merci pour cette rencontre ! »
Le Réseau Femmes
Le Réseau Femmes est un collectif d’associations féminines et féministes (subventionnées par le Canton et la Ville de Genève), qui existe depuis 2007. Il bénéficie d’une expertise dans la gestion et le développement de projets collectifs. En mutualisant leurs ressources, ces associations ont pour objectif de répondre aux besoins des femmes ayant des profils et des parcours de vie diversifiés et de lutter contre les inégalités de genre.
Par leurs actions, chaque association membre participe à l’amélioration de la qualité de vie et de la cohésion sociale en visant, plus particulièrement pour les femmes, à améliorer leur santé, les informer sur leurs droits citoyens, faciliter l’accès à la formation et à l’emploi, développer leur autonomie et recréer du lien social.
[1] Sondage rapporté dans le magazine Femina n°46, novembre 2021
[2] Celle-ci s’est déroulée du 4 au 14 mars 2022. En savoir plus
[3] Les rencontres sont gratuites et ouvertes à toutes et tous. Toutes les informations se trouveront sur le site. La première activité proposée s’intitulait par exemple « Changer les règles, faire tomber les tabous : enjeux et alternatives autour des produits menstruels ».
[4] La Maison des Femmes est un immeuble dédié aux femmes, projet qui sera concrétisé dans deux ou trois ans.
Cet article appartient au dossier Intimité(S)
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Nadine Rogivue, «Questionner sa santé dans un espace bienveillant», REISO, Revue d'information sociale, publié le 6 octobre 2022, https://www.reiso.org/document/9693