Maladies chroniques: développer le pouvoir d’agir

Par Samira Ruedin, étudiante en psychologie de la santé, Maria del Rio Carral, professeure associée, Université de Lausanne, Olivier Mucchiut, étudiant en psychologie sociale, et Léonie Chinet, secrétaire générale de diabètevaud, Lausanne

Cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète, Covid long, douleurs chroniques… En Suisse, un tiers de la population est touchée par un ou plusieurs problèmes de santé chroniques (OFS, 2019).

Apprendre à vivre avec une maladie chronique relève d’un processus complexe. Celui-ci exige passablement de temps, d’énergie, d’effort, ainsi que des ajustements de la part des patient·e·s et de leur entourage.

Les problèmes de santé chroniques et les difficultés associées s’avèrent souvent source de frustration et de péjoration de la qualité de vie. La littérature scientifique a largement montré que les conséquences s’étendent bien au-delà de la maladie et du traitement : fatigue, émotions difficiles, douleurs, autres écueils contribuent au fardeau qui affecte le quotidien des patient·e·s et de leurs proches.

Aucun remède miracle n’existe pour pallier ces multiples dimensions de la vie marquée par des troubles chroniques. Il est toutefois possible d’apprendre à gérer les difficultés et de renforcer ses ressources et compétences pour y faire face. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’éducation thérapeutique vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique (rapport de l’OMS, 1998). Une bonne éducation thérapeutique ainsi que des outils adaptés augmentent la capacité d’autogestion des patient·e·s et de leurs proches. Cela leur permet de vivre au mieux, de poursuivre leurs projets et de se réaliser sans se sentir enfermé·e·s par les problèmes chroniques.

Richesse des échanges diversifiés

Afin de renforcer les capacités des patient·e·s et de leurs proches à gérer les difficultés, un cours visant à apporter des connaissances et des outils a été développé. Son but est également d’améliorer leur confiance en eux pour vivre leur quotidien de manière plus positive.

L’objectif principal d’Evivo est que les participant·e·s se sentent plus à même d’agir sur leur santé, engendrant un effet favorable sur leur qualité de vie. Concrètement, cette formation apporte des ressources pour faire face à la douleur, à la fatigue et aux émotions. Elle contribue à une meilleure gestion du quotidien et de la vie active avec la maladie. Elle enseigne également des méthodes pour mieux communiquer avec l’entourage et les soignant·e·s, pour gérer les traitements et médicaments et pour optimiser l’utilisation des ressources de santé (recours aux consultations médicales et hospitalières).

Les contenus n’étant pas spécifiques à une maladie, la richesse du cours se trouve dans la diversité des parcours et des vécus des participant·e·s. Chacun·e rencontre en effet des problématiques communes, que la personne soit un·e proche ou elle-même malade. Animées par des personnes concernées, la formation compte six séances ^[1]. Elle propose des outils ludiques, des moments d’échanges de vécu, ainsi que des apports théoriques. La gestion de la douleur et des émotions, la communication, l’alimentation ou l’activité physique y sont notamment abordés.

Cette démarche est basée sur un programme ^[2] développé à Stanford. Validé par plusieurs études, il a été adapté dans plusieurs pays d’Europe (Jonker et al ; Lorig & Holman). En Suisse romande, Evivo est mis en œuvre depuis 2012 et plus de 300 personnes en ont déjà bénéficié (Haslbeck et al ; Chinet et al, 2021). C’est l’association diabètevaud ^[3] en collaboration avec la Ligue vaudoise contre le cancer qui coordonne son déploiement.

Utilité démontrée

Afin de maintenir la pertinence et l’efficacité du cours, d’optimiser le programme et de l’adapter aux besoins actuels des personnes concernées, une étude basée sur un plan de recherche avec des méthodes mixtes, couplant des données quantitatives mesurant l’efficacité et la satisfaction et des données qualitatives sur les contenus et outils du cours, a récemment été réalisée (Chinet et al, 2022). Associée à des données quantitatives issues de questionnaires remplis par les participant·e·s ces dernières années, ses résultats montrent une nette augmentation du sentiment d’efficacité personnelle, ainsi qu’une diminution des douleurs ressenties.

Les données qualitatives issues de ces questionnaires ainsi que de focus groups incluant, d’une part, des animatrices et, d’autre part, d’ancien·ne·s participant·e·s aux cours, montrent également l’utilité de la formation. « Evivo m’a fait prendre conscience qu’avec un regard sur mon quotidien, il est possible de mettre doucement des changements en place » ^[4], témoigne une personne concernée. Une autre évoque l’acceptation et la prise de recul apportés par ces échanges.

Pathologie, âge, genre, statut de patient·e ou de proche : quel que soit leur profil, les participant·e·s disent avoir tiré profit du cours : mettre en place des changements pas à pas et avoir la satisfaction d’y arriver, se sentir moins seul·e et plus confiant·e dans sa capacité à faire face aux aléas de la maladie sont les retours les plus fréquemment cités. Parmi les aspects considérés comme positifs figurent la diversité des profils, offrant la possibilité d’échanger sur des vécus différents, et la dynamique positive et respectueuse. Certaines parties théoriques, comme les chapitres sur la communication et les dispositions de fin de vie, ont également été citées. Finalement, la valorisation des efforts individuels et l’aspect pratique des outils proposés a aidé les participant·e·s à évoluer dans la gestion de leur quotidien avec les problèmes de santé chroniques. Et l’un d’entre eux·elles de relever : « J’ai beaucoup aimé avoir un plan d’action, un projet, de semaine en semaine. On voit qu’on arrive à mettre en place dans notre vie les choses qui nous tiennent à cœur. » Ou plus concrètement : « La résolution de problèmes m’a permis de me rendre compte que je suis capable d’entreprendre des activités de loisirs, de sport ou des tâches qu’auparavant je n’aurais jamais commencées. »

Réponse aux besoins

L’avis des participant·e·s et animateurs·trices se rejoint sur les modifications à apporter pour améliorer le cours. Les critiques principales portent sur la structure trop stricte du programme et des contenus trop théoriques, dont certains semblent insuffisamment développés ou peu pertinents par rapport aux transformations sociétales.

Le guide d’animation et les outils proposés aux participant·e·s ont ainsi été repensés dans le cadre d’un processus collaboratif et dans le respect des critères qualités de la promotion de l’autogestion de l’Office fédéral de la santé publique (Kessler, 2018 ; Kessler et Lasserre Moutet, 2022). Cette nouvelle version se veut ainsi plus ajustée au contexte actuel, tout en offrant la possibilité de s’adapter aux caractéristiques et intérêts du groupe. Les contenus ont été actualisés et de nouveaux ateliers ajoutés, entre autres sur le thème de la conciliation entre maladie chronique et vie active.

Les ateliers consacrés aux modes de vie, comme l’alimentation ou l’activité physique, vont au-delà de recommandations usuelles. Ils invitent à une introspection sur le vécu subjectif de comportements et accompagnent leur changement. Le programme s’est en outre enrichi de nouveaux outils voués à renforcer les compétences personnelles, à identifier les ressources et à améliorer le quotidien.

Bibliographie

• Chinet, L., Schlüter, V., Umiker, B., Khanna, N., Eicher, M. (2021). Adaptation du cours EVIVO au secteur du travail : concilier maladie chronique et vie professionnelle, Rev Med Suisse, 7 (732), 658 – 661
• Chinet, L., Ruedin, S., Mucchiut, O., et Bornet, F. (2022). Projet d’actualisation des cours EVIVO. Rapport final. Lausanne : diabètevaud. Accès
• Haslbeck J., Zanoni S., Hartung U., et al. (2015). Introducing the chronic disease self-management program in Switzerland and other German-speaking countries: findings of a cross-border adaptation using a multiple-methods approach. BMC Health Serv Res, 15, 576.
• Jonker, A. A., Comijs, H. C., Knipscheer, K. C., & Deeg, D. J. (2009). Promotion of self-management in vulnerable older people: a narrative literature review of outcomes of the Chronic Disease Self-Management Program (CDSMP). European journal of ageing, 6(4), 303-314.
• Kessler, C. (2018). Cadre de référence. Promotion de l’autogestion lors de maladies chroniques et d’addictions. Définition conceptuelle, exemples de mise en œuvre et recommandations stratégiques. Berne : OFSP, GELIKO.
• Kessler, C., et Lasserre Moutet, A. (2022). Concept de Promotion à l’autogestion lors de maladies non transmissibles, psychiques et d’addiction. Berne: OFSP, GELIKO, ARPS, CDCA.
• Lorig KR, Holman H. (2003). Self-management education: history, definition, outcomes, and mechanisms. Ann Behav Med, 26, 1-7.
• Office fédéral de la statistique. (2019). Enquête suisse sur la santé 2017 : Maladie chronique ou problèmes de santé de longue durée. 
• Organisation mondiale de la Santé. Bureau régional de l'Europe. (‎1998)‎. Education thérapeutique du patient : programmes de formation continue pour professionnels de soins dans le domaine de la prévention des maladies chroniques : recommandations d’un groupe de travail de l’OMS. Organisation mondiale de la Santé. Bureau régional de l'Europe.

^[1] Une séance dure 2h30.

^[2] Il s’agit du Chronic Disease Self-Management Program (CDSMP), voir bibliographie.

^[3] Association de patient·e·s fondée en 1959, diabètevaud a pour but l’information et l’amélioration de la qualité de vie des personnes diabétiques dans le canton de Vaud. Elle offre des prestations de conseils, information et vente de matériel ainsi que des consultations infirmières pour la gestion du diabète au quotidien, le contrôle et les soins de base des pieds.

^[4] Pour des raisons de lisibilité, REISO adapte légèrement les citations orales lors de leur transcription écrite.