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Temps d’assistance. Le gouvernement des pauvres en Suisse romande depuis la fin du XIXe siècle
Jean-Pierre Tabin, Arnaud Frauenfelder, Carola Togni, Véréna Keller, Lausanne : Antipodes, 2008.
Davantage encore que tout autre dispositif de la sécurité sociale, l’assistance publique symbolise la solidarité nationale. Cette solidarité, objectivée dans des lois, se conjugue à un contrôle des populations les plus démunies : c’est le gouvernement des pauvres.
Loin de rester statique, ce gouvernement évolue. C’est ce que montre l’ouvrage Temps d’assistance issu d’une recherche menée dans le cadre du Programme national de recherche « Intégration et exclusion ». Selon ce livre, quatre manières différentes de concevoir le gouvernement des pauvres se succèdent en Suisse romande depuis la fin du XIXe siècle.
Le temps des principes (1888-1889) correspond la période de mise en place de la législation d’assistance publique. Le problème politique majeur semble être celui de la définition des destinataires de l’assistance. Faut-il aider toutes les personnes qui habitent la commune ou uniquement celles qui en sont originaires ? Suivant les cantons, c’est l’une ou l’autre solution qui est choisie.
Mais aucune des solutions choisies ne permet de résoudre complètement les problèmes liés aux mouvements de population. Il faut dès lors, et rapidement, penser à réformer l’assistance. L’arrivée de la crise, à la fin de la Première Guerre mondiale, accélère encore le mouvement. Cantons et communes prennent des mesures complémentaires à l’assistance publique : travaux de chômage, réfectoires et dortoirs pour chômeurs, assurance chômage. Le temps de l’adaptation (1908-1940) amène donc les cantons à repenser du tout au tout le gouvernement des pauvres et, notamment, à différencier le chômage de l’assistance.
Durant la période de haute conjoncture qui suit la fin de la guerre, l’assistance n’est guère nécessaire, car le développement des assurances sociales a diminué le besoin d’assistance. C’est le temps de la contingence (1944-1973) et certains parlent de supprimer l’assistance. Elle est maintenue comme dernier « filet » du système de sécurité sociale, pour résoudre les problèmes de ce qu’on appelle à l’époque « l’inadaptation sociale ».
L’émergence de l’exclusion
La crise du milieu des années 70 change tout. De multiples enquêtes établissent la persistance de la pauvreté en Suisse. S’installe alors dans l’imaginaire collectif l’idée que des processus d’exclusion traversent la société. Dès 1995, le droit à l’assistance publique, est reconnu au nom de la dignité humaine. Ce droit oblige à formaliser l’assistance, c’est le temps de la gestion (dès 1974).
La réforme de l’assistance se fait souvent en temps de crise. Le consensus sur la nécessité de fournir assistance aux pauvres est fort à ces périodes. Mais les limites de la solidarité sont également évidentes… Durant la période de développement des années d’après guerre, ces limites s’estompent, mais la question même de maintenir l’assistance est posée. Le gouvernement de l’assistance est donc comme on le voit tributaire de l’évolution économique.
Basé sur l’analyse d’un vaste corpus fait de débats parlementaires sur l’assistance publique, de décisions de justice, d’articles de presse et d’ouvrages d’époque ainsi que sur des interviews, Temps d’assistance révèle le travail social de définition et de délimitation qui a permis l’émergence de la législation sur l’assistance publique en Suisse romande et a motivé ses réformes. Il se termine en donnant la parole aux bénéficiaires, qui disent ce que signifie vivre de l’assistance publique aujourd’hui.
Jean-Pierre Tabin