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Un humaniste face à son cancer incurable

jeudi 24.08.17

Sable mouvant – Fragments de ma vie, Henning Mankell, Paris : Seuil 2015 (publication suédoise en 2014), 368 pages.

Par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien


Henning MankellHenning Mankell, écrivain suédois connu pour ses romans policiers, est aussi un essayiste engagé, un auteur et directeur de théâtre. A 65 ans, en janvier 2014, on diagnostique chez lui un cancer métastatique qui l’emportera en octobre 2015. Alors il écrit, se promenant dans sa propre histoire et dans l’histoire du monde, décrivant notamment sa jeunesse modeste dans le nord de la Suède avec son père juge (sa mère les a quittés très tôt), évoquant aussi «la joie de vivre».

Déchets nucléaires. Mankell est un antinucléaire et son livre débute avec la recherche, en Finlande, d’un endroit où enfouir des déchets nucléaires pour cent mille ans au moins. «Nous savons que les civilisations ne font pas le ménage derrière elles. Mais aucune n’a jamais laissé des déchets mortellement dangereux durant des millénaires.» Tellement facile de prendre des risques avec la vie des autres.

L’annonce. «La femme médecin qui m’a fait l’annonce [d’un cancer sérieux et probablement incurable] a fait preuve d’art médical. Elle était bien préparée, s’exprimait clairement, a pris le temps de répondre à mes questions. Dans son cabinet, le temps n’existait plus - elle avait son temps pour moi, moi et personne d’autre. Tout s’était réduit à un point où il n’y avait plus d’avant ni d’après, rien que ce ‘maintenant’ indéfini.»

La maladie. «La vérité c’est que je rêve d’être l’heureuse exception. Que je réussirai à me débarrasser du cancer. Je sais cependant que ce n’est pas vrai. […] Je suis dans un labyrinthe qui n’a ni entrée ni sortie. Etre atteint d’une maladie grave, c’est être perdu à l’intérieur de son propre corps.»

Les amis. «Il m’est arrivé d’être surpris au cours de cette période. Des gens dont je pressentais qu’ils s’enfuiraient se sont révélés assez forts pour maintenir un contact fréquent tandis que d’autres, dont j’attendais davantage, ont disparu. Se sont fondus dans l’ombre du cancer. On n’a pas besoin de beaucoup d’amis. Mais ceux qu’on a, on doit pouvoir compter dessus.»

Les livres. «Quand j’ai réussi à me hisser hors du sable mouvant et à résister, mon principal outil a été les livres. Prendre un livre et m’y perdre a toujours été ma façon d’obtenir consolation ou, du moins, un peu de répit. […] Il me fallait une nouvelle fois décider à quoi j’allais consacrer ma vie. Cette courte vie bordée par deux éternités, deux grandes bouches d’ombre.»

Le monde. «Les hommes ont de tout temps commis des actions mauvaises. Je refuse cependant d’employer le mot ‘mal’. Je ne crois pas à l’existence du mal (...) La barbarie a toujours des traits humains, c’est ce qui la rend inhumaine.» Mankell a vécu entre la Suède et le Mozambique, où il dirigeait une troupe de théâtre au cours de deux décennies. Sur le fossé entre ici et là-bas: «Ceux qui vivent dans les marges extrêmes n’ont aucun choix. Se coucher dans la rue pour mourir n’est pas un choix. Nous avons tous les moyens nécessaires pour éradiquer la misère absolue et hisser l’ensemble des êtres humains [à un niveau de vie acceptable]. Nous choisissons de ne pas le faire. C’est un choix que je ne peux considérer autrement que criminel. Mais il n’existe pas de tribunal habilité à poursuivre…»

Un auteur humain et humaniste, un livre enrichissant.

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