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Roger Gil est neuropsychiatre et a été doyen de la Faculté de médecine de Poitiers. Il est engagé de longue date dans le domaine de la bioéthique, dont il a introduit l’enseignement dans son université, y compris en sciences politiques. Il publie cet ouvrage très fourni et complet en se référant régulièrement aux valeurs françaises dites républicaines mais en accordant un intérêt réitéré aux options théoriques et pratiques dans d’autres pays et contextes socio-culturels.
A côté de thèmes qu’on peut dire classiques, notamment les enjeux éthiques des greffes d’organes, de la vie commençante (y compris procréation assistée) et finissante, il se penche aussi sur la problématique des coûts de santé et de leur régulation, la médecine prédictive, les soins sous contrainte, le pacte d’Ulysse à propos de directives anticipées en psychiatrie (Ulysse qui ordonne à ses compagnons, dont il y a bouché les oreilles, de l’attacher au mât et de ne lui obéir en aucun cas quand il entendra le chant des sirènes), la laïcité ou le transhumanisme.
Respect de la vie, éthique. Si la vie humaine est une valeur républicaine, son respect comporte des exceptions dont certaines sont universelles et d’autres variables d’un pays à l’autre : ainsi pour la peine de mort, le statut de l’interruption de grossesse ou les soins et démarches en fin de vie. Sur ce dernier sujet : « Les réponses de la République ont été les soins palliatifs, la règle du double effet, le droit à la sédation profonde jusqu’à la mort. D’autres pays ont choisi la voie du suicide assisté et de l’euthanasie. Mais le respect est rassemblé dans les relations interhumaines dans deux principes. Le premier, minimal et universel, est celui de non-malfaisance ; le second, optionnel, est celui de bienfaisance. » Une remarque générale : « Le monde de la santé doit, à l’image de la société, éviter l’écueil d’une éthique maximaliste, où la bienfaisance dériverait vers le paternalisme, et celui d’une éthique minimaliste qui se satisferait de la seule non-nuisance à autrui. »
Soins palliatifs et aide à mourir. Gil insiste à juste titre sur l’importance des soins palliatifs, tout en montrant une vraie crainte que l’introduction éventuelle d’assistances à mourir se fasse au détriment de leur développement. « La légalisation d’une aide active à mourir introduirait une culture euthanasique à contre-courant de la culture palliative. Car il ne s’agira pas de limiter l’euthanasie aux échecs des soins palliatifs mais d’instituer, au nom de l’autonomie, un nouveau droit ». C’est là un postulat de sa part, regrettable, avec lequel il convient de diverger au vu des expériences faites ailleurs. En effet, même si les palliatologues ne sont pas unanimes et si certains craignent vivement des « pentes glissantes » vers l’euthanasie, la tendance s’affirme qui montre que soins palliatifs et aide à mourir ne sont pas antagonistes - voir notamment les travaux de G.D. Borasio, de Lausanne (ndlr Lire cette réflexion sur son dernier livre). En France, le Dr Véronique Fournier (ndlr Lire cette recension de «La mort est-elle un droit») montre que médecine palliative et, par exemple, sédation terminale peuvent être complémentaires, devenant des « soins palliatifs intégraux », et contribuer à une meilleure prise en charge.
Procréation médicalement assistée. Gil parle de « confusion française », évoquant par exemple la paternité post-mortem ou la pénurie d’ovocytes. Sur la question de plus en plus aiguë de l’accès à ses origines, la France maintient pour l’instant l’accouchement sous X et l’anonymat des donneurs. Gil : « En matière de bioéthique, la France n’en est pas à un paradoxe près […] la question posée à la conscience de chacun est de savoir si l’accès aux origines doit ou non être considéré comme un droit fondamental et s’il est acceptable que la République détienne des renseignements sur des citoyens et refuse de les leur communiquer. » A noter aussi la présentation de la saga des débats récents autour de la GPA, ou grossesse pour autrui, en France.
Spiritualité et laïcité. « La spiritualité ne menace pas la laïcité puisqu’elle renvoie à la liberté de pensée dont se porte garant l’Etat. La dimension spirituelle est constitutive de l’humain et l’attention à la spiritualité est une nécessité éthique. Encore ne faut-il pas se méprendre sur les missions des professions de la santé et pointer le danger d’un amateurisme relationnel. Le soignant n’est pas un directeur spirituel. Sa mission est de permettre aux besoins spirituels de s’exprimer et à la personne malade, si elle le souhaite, d’accéder à un aumônier. »
Les valeurs. « La méditation sur les valeurs impose à chacun de se sentir comptable d’une humanité angoissée par sa finitude, tourmentée par le mal commis et par le mal subi et qui, dans le clair-obscur des parcours de vie, doit tenter de ne pas céder aux mirages. »
Les grandes questions de bioéthique est un ouvrage très complet, richement informé et argumenté, équilibré, de lecture aisée.