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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bioéthicien
La narration dans les contacts avec les patients, quoique sans doute aussi vieille que les activités de soins, a vu son importance adéquatement reconnue au cours des décennies récentes seulement. Des formations ont été développées, dans les pays anglo-saxons et ailleurs, en médecine* et dans d’autres cadres. Ainsi, l’Université de Fribourg a créé en 2011 un Certificate of Advanced Studies (CAS) de Recueilleuses·eurs de récits de vie. L’ouvrage présenté ici en est un fruit.
Catherine Brun-Schmutz, docteure en sciences de l’éducation qui a créé ce CAS, est à la tête du quartette d’auteures qui ont toutes suivi sa formation : Hélène Cassignol, écrivaine et intervenante en institution ; Anne-Marie Nicole, journaliste indépendante; Daniela Hersch, enseignante, concernée par le séjour en institution de sa mère; Marie-Josèphe Varin, infirmière et animatrice de journal. Une est de la région de Zurich, les autres sont romandes.
L’ouvrage traite des expériences diverses et attachantes de recueils de récits des auteures. La pertinence de cette pratique en institution est analysée sous l’angle de l’impact relationnel et personnel du récit, avec ses possibles écueils. Les apports pour les résidents/raconteurs et pour d’autres qui les lisent sont vus par une non-soignante, avec une discussion sur la gérontagogie ou l’art de bien conduire sa vieillesse. Un chapitre est consacré aux perspectives institutionnelles où le recueil de récits de vie est devenu un projet d’établissement. «L’expérience contribue à la dynamique institutionnelle. C’est d’autant plus vrai lorsque le recueil de récits devient collectif, comme dans le cas des cafés-souvenirs, favorisant les liens interpersonnels dans l’institution.» Le dernier chapitre inclut des « récits de vie en marge », sur les circonstances et les difficultés de l’entrée en EMS, et quelques pages de témoignages d’aides-soignantes originaires d’autres continents.
Une préoccupation déontologique apparaît : « Je me suis attachée à Madame R. Je me dis qu’une fois son récit achevé, je pourrais continuer de venir lui rendre visite. Je m’interroge alors sur mon rôle, sur la bonne distance à adopter. »
Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à Paris, écrit dans la préface : « Ce recueil de la parole se découvre comme l’expression d’un accueil de l’autre, c’est redonner vie à travers l’échange ». Pierre Dominicé, de l’Université de Genève, écrit dans la postface : « La production d’un récit génère un effet un peu magique d’accès à la parole (…) Il faut sortir la parole du silence entretenu par tous ceux qui se taisent parce qu’ils considèrent qu’ils n’ont rien à dire. »
Raconter, c’est un médicament sûr
Cette phrase a été écrite par Primo Levi, rescapé des camps de concentration. D’autres citations pour donner envie de lire ce livre :
En plus de leur riche contenu et de leurs composantes professionnelles, représentant un substantiel « tour de la question » du recueil de récits de vie, les textes de ces cinq auteures se lisent très agréablement.
* La médecine narrative est une compétence qui permet de «reconnaître, absorber, interpréter et être ému» par les histoires des patients. Son enseignement devrait être, avec celui de la «médecine fondée sur les preuves», l’un des deux piliers de la formation des médecins. Il peut constituer une réponse à certaines insuffisances du système de santé. Voir par exemple cette page sur «La médecine narrative».