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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Adrien Gygax (1989) est un écrivain suisse. « Se réjouir de la fin » est son deuxième roman, imaginé suite à des passages comme consultant dans un EMS de Lausanne. Ce texte a prétendument été découvert dans les affaires d’un résident décédé, mais c’est une fiction. Sur la base de ses contacts avec des personnes âgées, dont sa grand-mère, Gygax propose des alternatives au jeunisme ambiant et aux injonctions contemporaines vis-à-vis des seniors : rester actif, dépasser ses limites, etc. Il a aussi approfondi ses réflexions en compagnie de Sénèque, Cicéron et Lucrèce, qui ont pensé la vieillesse et la mort.
Extrait d’un interview : « Je voulais voir si c’était jouable d’être hédoniste à 90 ans. Trouver un peu de beauté dans le déclin, dénicher une joie liée à ce que l’on mange ou à ce que l’on voit, se donner le droit d’être dans la contemplation. »
Récit attachant, plein de sagesse, tout en étant léger, souvent drôle. Le narrateur est un vieux monsieur veuf depuis peu, qui parle de sa chère épouse Nathalie, mais sans lamentations. Il accepte qu’elle ne soit plus là, bien que son décès ait causé son entrée en EMS ; plutôt, il se réjouit de ce qui a été vécu ensemble. Extraits.
La vie et le temps qui passe. « J’ai vécu les poings serrés, n’ai rien voulu lâcher. (…) Le temps m’a appris le contraire. On prévoit, on construit sur un tas de sable que le vent de la vie déforme à son gré. (…) J’aimais ma maison et détestais les maisons de retraite. Pourtant me voilà dans ce bloc de béton. Mes poings sont toujours serrés (…) Mais j’arrête le contrôle, la crispation. Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais. Je vais prendre une grande inspiration, me déplier comme une fleur au retour du soleil. »
A l‘arrivée l’établissement a pour le nouveau des airs de mouroir. « On croirait presque que tous ces autres vieux n’ont jamais fait que mourir. Et dire qu’ils ont été gamins, adolescents ! »
Le moment des repas :« Le plus grandiose est le silence. Cela fait comme une procession, un moment important, presque spirituel. Personne ne s’en plaint, on a tous trop souffert des repas dominicaux. »
Possession, don, légèreté. «J’ai possédé bien des choses. J’étais ce grand type en Mercedes (…) On ne sonde ni les reins ni les cœurs, le patrimoine par contre si. Le temps passe et avec lui certaines de nos libertés, comme le droit de conduire…. Vient alors le temps du don, une pluie nécessaire après la sécheresse de la possession. Le don est une libération (...) Mais un bonheur supérieur vient après, tout naturellement. Il est fait de légèreté, de liberté. Je n’ai plus rien, le monde est riche pour moi. »
Détachement, souvenirs. « Je me sens loin de tout, de moins en moins concerné (…) je peux me dire de gauche comme de droite, macho ou féministe, tout me va. Ces catégories sont les vôtres. Seuls m’intéressent maintenant la couleur du ciel, celles des fleurs, l’envol d’un oiseau. »
« Oui, mes souvenirs sont de petites choses très indépendantes et très indisciplinées. Il m’est apparu qu’il est possible d’en convoquer certaines pour une durée limitée. En maintenant près de moi les plus gros d’entre eux, j’en attire des plus petits (…) Viennent alors d’autres vestiges, pétillants comme des bulles de savon, insaisissables… Et puis plus rien. »
Et l’amour. « En premier - quand on est jeune - on aime devant soi. Puis l’amour grandit, comme nous. Il dure, s’alourdit, s’offre une mémoire. Alors on aime toujours devant soi mais aussi derrière. »
Transmission, mort. « On transmet malgré soi, malgré tout. Ce sont les autres qui décident de la part de nous qui est transmise, ils nous cambriolent en douceur, jour après jour (…) On ne parvient jamais à savoir ce qu’on transmet vraiment. Ce n’est pas une chose qui se voit dans un miroir. » A propos de ce qu’on laisse : « Après tout, on se fiche de savoir si les étoiles sont déjà mortes, c’est leur éclat dans notre ciel qui importe. »
Affaiblissement - Vers la fin. « Ils m’ont trouvé une chaise roulante. Je pensais qu’un homme vivant est un homme debout. Mais finalement, tout bien réfléchi, j’ai aussi plaisir à vivre assis. On s’accroche parfois trop à l’idée qu’on a de la normalité, comme s’il n’existait aucune autre façon de vivre que celle des valides (…) Avec ma chaise roulante, je vais où mes pieds ne me portaient plus. »
A la dernière page : « Ma vie n’en peut plus de s’étirer. Je n’ai cessé de cueillir les joies partout où elles ont fleuri. Ma vie s’enfonce doucement dans le sol (…) Je me réjouis de la voir se terminer comme j’ai dû me réjouir de la voir commencer, comme d’une évidence absolue. »
« Oui, c’est la grande question. » Telle est la réponse de l’auteur quand on lui demande si c’est possible, une dernière partie de vie comme celle qu’il décrit, rassérénée, tranquille, pleine d’une bonne philosophie.
«Se réjouir de la fin», Adrien Gygax, Paris : Editions Grasset, 2020, 106 pages.