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Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien
Paléoanthropologue, Pascal Pick est spécialisé dans l'évolution des primates et des hominidés, particulièrement les grands singes dont nous sommes. Dans son dernier livre, grand public, il s'attache à étudier ce qu'ont été les statuts et rôles respectifs de la femme et de l'homme. Pour l'avoir entendu dans l'émission «La Grande Librairie», ce chercheur ne cache pas son drapeau, sa position engagée, s'agissant de pointer les situations de domination/oppression de la femme, de manière quasi universelle dans le temps et dans l'espace, avec quelques bien rares exceptions de sociétés matriarcales. « A ne parler que de l’évolution de l’homme, même avec un grand H, on est passé à côté de celle des femmes. »
Dans la première partie, il décrit la variété des pratiques dans la vie communautaire des singes et étudie le registre de la violence entre les sexes et dans les rapports sexuels. Il constate qu’il y a plus de violence chez les espèces vivant en terrain découvert, savane en particulier, plutôt qu’en forêt. Il montre aussi que plus le dimorphisme sexuel est marqué (différences d’aspect entre femelle et mâle), plus il y a de manifestations violentes. Le grand groupe qui fait exception, et cela est devenu de notoriété publique, est celui des bonobos chez qui la brutalité est pour l'essentiel absente et dont on sait les comportements amoureux et sexuels. Le tableau est tout autre chez les autres singes supérieurs : gorilles, chimpanzés et humains.
La seconde partie se penche de manière fouillée sur l’Homme. A propos de nos lointains ancêtres et sous divers angles, l'auteur évalue les mérites possibles de deux visions/théories: la vision rousseauiste du bon sauvage, de l'homme primitif vivant en bonne harmonie avec ses semblables et la nature, et celle de Hobbes, «l'homme est un loup pour l'homme». Même si le lecteur novice que je suis a été impressionné par ce qu'on peut tirer d’études paléontologiques, il reste que les données disponibles ne permettent guère de conclure. Sans doute, dit Picq, ni l'une ni l'autre des hypothèses opposées n'est-elle exacte. L'évolution des espèces et les existences qu'elles ont menées se situent quelque part entre deux, avec toutefois des variations certaines de tendances selon les groupes considérés.
Ce faisant, il examine attentivement la condition et le rôle des femmes dans diverses grandes régions, époques, contextes. Qu’est-ce qui est lié ou dû à la « nature », à notre bagage génétique ? Qu’est-ce qui ressortit à la « culture», la coutume, la construction sociétale ? Pourquoi, très majoritairement, la femme a-t-elle été dominée, marginalisée, privée de liberté de mouvement et d'autonomie ? Parmi les leçons majeures tirées des travaux paléoanthropologiques :
Picq rappelle aussi que, très généralement, toujours au cours du temps, les femmes ont plus travaillé que les hommes. Son résumé: « Les femmes représentent bien le sexe écologique, reproducteur et producteur. »
Sans être toujours en mesure de conclure, l’auteur apporte des éléments substantiels à la réflexion sur un sujet, la place de la femme et les contraintes et violences auxquelles elle fait face, qui à combien juste titre retient vivement l'attention depuis quelques décennies - de manière aiguë à vrai dire en ce moment. Pour le lecteur dont le temps est compté, on pourrait imaginer que Pascal Picq fasse aussi de ce volumineux essai une version plus courte ; on y trouve en effet des répétitions. Il reste que, malgré des longueurs, cet ouvrage très bien informé se lit avec beaucoup d'intérêt.
«Et l'évolution créa la femme», Coercition et violence sexuelles chez l'Homme, de Pascal Picq, Paris : Odile Jacob, 2020, 462 pages.