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D’autres reins que les miens – Patients et médecins racontent l’aventure de la dialyse et de la greffe
Yvanie Caillé et Frank Martinez, Editions Le cherche midi, Collection Documents, Paris, janvier 2015, 223 p.
Recension par Jean Martin
Une épopée, médicale et humaine mais aussi politique et organisationnelle
Cet ouvrage brosse un portrait multidimensionnel de la prise en charge de l’insuffisance rénale au cours des soixante dernières années en France. Seize témoignages ont été recueillis par les auteurs, Yvanie Caillé, ingénieure qui vit depuis l’enfance avec une maladie rénale, aujourd’hui transplantée, et Frank Martinez, médecin du service de transplantation de l’Hôpital Necker, à Paris.
Cette saga va de 1950, alors que rien ne peut être fait pour les patients urémiques qui décèdent en quelques jours ou semaines, à aujourd’hui, où des millions de personnes dans le monde suivent une dialyse chronique et où des centaines de milliers de patients ont bénéficié d’une greffe de rein. Ces chiffres ne doivent pas faire oublier les difficultés, au cours de décennies de leur propre existence, de ceux qui ont vécu des trajectoires faites de maladie, de souffrance, de hauts et de bas, d’espoirs et de déceptions. Malades qui, avec les médecins et autres scientifiques, les psychologues, les assistantes sociales, plus tard les agents coordinateurs de transplantation, sont les acteurs (les héros pourrait-on dire) de cette histoire.
Le récit de Régis Volle, 71 ans aujourd’hui, est très intéressant. Il a vécu tout un périple médical personnel et a fondé la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (Fnair), première association de patients concernés. « Très tôt, la Fnair a revendiqué le droit pour le malade d’être traité, d’accéder à la survie, mais aussi de choisir son traitement à partir d’éléments factuels, médicaux, pratiques, ainsi qu’en fonction de ses aspirations personnelles ».
A propos d’un malade de 77 ans qui ne veut plus du régime « officiel » de trois séances par semaine, le médecin E. Tomkiewicz s’arrange, non sans difficulté, pour qu’il ait deux séances : « Il arrive un âge où la qualité de vie et les choix du patient doivent primer sur d’autres considérations. Mais ce constat n’entre que lentement dans la culture des néphrologues. » Le même médecin : « Un autre patient avait fait le choix de deux séances par semaine. Quand il partait en vacances, le centre susceptible de l’accueillir disait : Ici c’est trois séances ou rien. Aucune souplesse, aucune adaptation, aucune réflexion. » Raisons de cette rigidité ? Pas seulement de nature médicale mais certainement aussi pour le confort des soignants et des institutions, pour ne pas bousculer les routines voire éviter de réactions de type syndical.
Parole d’une mère qui donné un rein à son fils : « J’ai vite compris que recevoir ce rein n’était pas chose aisée pour Bruno. [Son long cheminement] était probablement une nécessité pour lui. Ce temps, il en avait besoin pour accepter le don, physiquement et moralement. Il faut être généreux pour recevoir, bien plus que pour donner. C’est infiniment plus difficile. »
Sur la question, discutée en Suisse récemment encore, des modalités de consentement au don d’organe (présumé ou au contraire qui doit être explicite) : « Le don et la greffe font désormais partie des choix de notre société. S’il est essentiel de respecter les libertés individuelles, il est tout aussi important de rappeler que notre société est basée sur le principe de solidarité. Dans ce contexte, si chacun veut pouvoir bénéficier d’une greffe pour lui-même ou un de ses proches en cas de nécessité, il faut aussi que chacun soit prêt à donner le cas échéant ; il s’agit d’un altruisme du type donnant-donnant » (Dr Tenaillon). Le débat sur ce point n’est probablement pas clos !
Cette présentation de la « scène » française se situe à l’interface de la recherche médicale, des pratiques de soins, d’une médecine sociale qui cherche à atteindre tous ceux qui en ont besoin, des budgets de la santé et de dimensions humaines majeures. De plus, des notes de bas de page expliquent les termes scientifiques et font que, tout en étant de grand intérêt pour les professionnels eux-mêmes, l’ouvrage est aisément compris de tout lecteur intéressé.
Dans la conclusion, ce bémol : « Nos regards sur le passé nous incitent à ne pas nous contenter de ce qui a été acquis mais, au contraire, à continuer à progresser pour tenter de permettre aux patients de vivre mieux. Peu de très grands progrès ont été réalisés, ces vingt dernières années, dans le domaine de la dialyse. Rien qui ait modifié ses contraintes ou amélioré sensiblement la qualité ou l’espérance de vie des malades. Portant les soulager de ce fardeau, les libérer de cette ‘prison sans barreaux’, tout en faisant diminuer les coûts associés, aurait dû apparaître comme un impératif. »
Jean Martin, ancien médecin cantonal vaudoise et membre de la Commission nationale d’éthique