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«Il est temps d’embrasser un paradigme post-matérialiste»

Mardi 26.09.2023

Le neuroscientifique Mario Beauregard participe à la journée de palliative vaud sur les expériences de mort imminente, le 28 septembre à Morges. Interview de ce pionnier en matière de neurobiologie des expériences spirituelles.

mario beauregard palliative vaud reiso 170© Mario Beauregard(REISO) Mario Beauregard, vos travaux scientifiques vous ont conduit à développer une vision « postmatérialiste » des rapports entre la conscience et le cerveau, affirmez-vous. Que voulez-vous signifier par-là ?

(Mario Beauregard) La vision du monde scientifique moderne repose en grande partie sur des postulats étroitement associés à la physique classique. Le matérialisme — l’idée que la matière est la seule réalité — en est un. Un autre postulat est le réductionnisme, la notion selon laquelle le complexe ne peut être compris qu’en le réduisant à l’interaction de ses parties ou à des choses plus simples ou fondamentales, telles que des particules matérielles.

Durant le 19e siècle, ces postulats se changèrent en dogmes et s’unirent pour former un système de croyances qui devint connu sous le nom de « matérialisme scientifique ». De ce point de vue, l’esprit (entendu ici au sens de l’ensemble des fonctions mentales) n’est rien de plus que l’activité physique du cerveau, et nos pensées ne peuvent avoir aucun effet sur nos cerveaux et nos corps, sur nos actions et sur le monde physique. L’idéologie scientifique matérialiste devint dominante dans le milieu académique au cours du 20e siècle, au point qu’une majorité de scientifiques se mirent à croire que cette idéologie reposait sur des évidences empiriques et qu’elle représentait la seule conception rationnelle possible du monde.

Quelles sont, selon vous, les conséquences de la dominance du « matérialisme scientifique » ?

La dominance quasi absolue du matérialisme dans le milieu académique a étouffé les sciences et entravé le développement de l’étude scientifique de l’esprit et de la spiritualité. La foi en cette idéologie, comme cadre explicatif exclusif de la réalité, a amené les scientifiques à négliger la dimension subjective de l’expérience humaine. Cela a conduit à une conception fortement déformée et appauvrie de nous-mêmes et de notre place dans la nature.

Quels manques principaux relevez-vous dans la conception issue de ce « matérialisme scientifique » ?

L’étude des soi-disant « phénomènes psi » (ou phénomènes dits « paranormaux ») indique que nous pouvons recevoir de l’information significative sans l’utilisation des sens ordinaires, d’une manière qui transcende les contraintes habituelles d’espace et de temps. De plus, la recherche sur le psi démontre que nous pouvons mentalement influencer à distance des appareils physiques et des organismes vivants (incluant les êtres humains). La recherche sur le psi montre également que l’activité mentale d’individus éloignés peut être corrélée de manière non locale. En d’autres termes, les corrélations entre l’activité mentale d’individus éloignés ne semblent pas être médiatisées (elles ne sont pas liées à un signal énergétique connu) ; en outre, ces corrélations n’apparaissent pas se dégrader avec une plus grande distance et elles semblent immédiates (simultanées). Les phénomènes psi sont tellement communs qu’ils ne peuvent plus être vus comme anormaux ou des exceptions aux lois naturelles. Nous devons plutôt considérer ces phénomènes comme un signe que nous avons besoin d’un cadre explicatif plus large, qui ne peut être basé exclusivement sur le matérialisme.

Ce cadre explicatif plus large pourrait-il également concerner les expériences de mort imminente ?

Effectivement puisqu’une activité mentale consciente peut être expérimentée durant un état de mort clinique induit par un arrêt cardiaque (une telle activité mentale consciente est appelée « expérience de mort imminente » [EMI]). Certaines personnes ayant vécu cette expérience ont rapporté des perceptions véridiques (c’est à dire, des perceptions dont on peut attester qu’elles ont coïncidé avec la réalité) durant des expériences hors du corps survenues durant un arrêt cardiaque. Elles rapportent aussi de profondes expériences spirituelles durant les EMI déclenchées par un tel arrêt. Il est à noter que l’activité électrique du cerveau disparaît après quelques secondes à la suite d’un arrêt cardiaque.

Pour vous, la science doit donc se réformer ?

Les théories matérialistes échouent à expliquer comment le cerveau pourrait générer l’esprit et elles sont incapables de rendre compte de ces évidences empiriques. Cet échec indique qu’il est temps de nous libérer des chaînes de l’idéologie matérialiste, d’élargir notre conception du monde naturel et d’embrasser un paradigme post-matérialiste. Cela dit, la science post-matérialiste ne rejette pas les observations empiriques et la grande valeur des accomplissements scientifiques réalisés jusqu’à présent. Elle cherche plutôt à accroître notre capacité à comprendre les merveilles de la nature et, ce faisant, à nous permettre de redécouvrir que l’esprit est un aspect majeur de la fabrique de l’univers. 

Dans la mesure où les résultats des recherches sur les EMI suggèrent fortement une continuité de l’esprit et de la conscience après la mort du corps physique, il est vraisemblable qu’être informé·e de ces expériences et de leurs implications apporte du réconfort aux personnes endeuillées.

Quelles sont les expériences spirituelles marquantes qui vous ont conduit à orienter vos recherches dans le domaine des neurosciences et des états élargis de conscience ?

Deux expériences marquantes m’ont conduit à orienter mes recherches dans ce domaine. La première s’est produite alors que je n’avais que 8 ans. La ferme de mes parents était située à proximité d’une forêt, dans laquelle je me baladais parfois, qui me semblait tellement vibrante et remplie de mystère ! En 1970, par une chaude journée d’été, je m’y aventurais et m’assis sur une grosse roche grise après avoir marché longuement. J’observais les beaux arbres qui m’entouraient. Au bout de quelques minutes, je commençais à ressentir une forte connexion avec les arbres et la roche, que je percevais alors comme vivante. Il m’apparut alors que cette pierre, les arbres et moi-même faisions partie d’un Tout beaucoup plus grand que mon « petit moi ». À la suite de cette expérience cruciale, le but de ma vie devint extrêmement clair : je deviendrais un jour un « savant » qui contribuerait à démontrer que l’esprit humain n’est pas produit par le cerveau. Près d’une douzaine d’années plus tard, un nouveau cycle de vie débuta pour moi. Ce cycle nouveau fut ponctué par d’autres expériences spirituelles décisives. Je parle d’un cycle de vie nouveau parce que, jusque-là, j’avais eu le bonheur de bénéficier d’une santé parfaite, que je perdis brusquement.

Vous aviez alors 20 ans. Que vous est-il arrivé ?

Un matin du mois de janvier 1982 en effet, alors que je m’éveillais, je constatai que mon corps ne fonctionnait plus du tout de la même façon que la veille, et que ma perception visuelle avait changé dramatiquement. J’étais épuisé et je ressentais de la douleur dans l’estomac, dans le dos, dans plusieurs articulations. J’étais étourdi, j’avais la nausée et de la difficulté à respirer. J’expérimentais également une sorte de brouillard mental et ma perception visuelle du monde extérieur n’était plus du tout la même que d’ordinaire : j’avais l’impression que tous les objets dans mon champ visuel oscillaient de manière continue. Sans comprendre ce qui m’arrivait, je me dis que quelque chose de grave était en train de se produire. Le lendemain, par pure force de volonté, mais avec peine et misère, je rejoignis la maison familiale, à la demande de mes parents. Je demeurai couché dans un lit pendant près d’une année. Comme je n’avais plus de force et que je ne pouvais presque pas manger, je fus contraint d’abandonner temporairement mes études universitaires. Ma mère m’emmena voir plusieurs médecins spécialistes, dont un neurologue, un psychiatre, un ophtalmologiste, un gastro-entérologue ainsi qu’un interniste. Assumant que je devais être hypocondriaque, quelques-uns de ces médecins décidèrent de ne pas pousser l’investigation. Un autre médecin affirma que je montrais les signes d’une schizophrénie, et me prescrivit un antipsychotique que je m’empressais de jeter à la poubelle. Les autres spécialistes, perplexes devant l’amoncellement mystérieux de mes symptômes, me firent subir divers examens qui s’avérèrent tous négatifs.

Comment vous en êtes-vous sorti ?

Je me sentais mourir lentement et je ne pouvais pas réconcilier ce que je vivais avec l’expérience qui avait marqué mon enfance. Cela ne semblait avoir aucun sens et me rendait amer : jamais, dans un état aussi lamentable, je ne pourrais réussir à accomplir ma mission de vie. Je me retrouvais dans un endroit très sombre, et des pensées suicidaires commençaient à traverser le champ de ma conscience. Un soir, désespéré, je poussai mentalement un cri vers le ciel. Quelques jours plus tard, au beau milieu de la nuit, j’eus soudainement l’impression qu’on me sortait de mon corps physique par la région du cœur. Je perçus alors un Être de Lumière qui irradiait un amour immense et inconditionnel. Celui-ci me rassura en me disant télépathiquement que ce que je vivais n’était pas vraiment une maladie, mais plutôt un processus de transmutation. Il me dit aussi que je n’étais pas seul et que je me devais de m’accrocher. Pour me donner confiance, il mentionna que l’ampleur de mes symptômes diminuerait progressivement au cours des mois à venir. Et tout se réalisa. Par la suite, je retrouvai suffisamment de force pour reprendre mes études universitaires, et mes symptômes se mirent à régresser lentement. Malgré cela, la pente fut difficile à remonter. Sept ans après le début de mes problèmes de santé, un ami m’introduisit auprès d’un médecin et microbiologiste réputé de l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal. Ce dernier me fit passer une batterie approfondie de tests médicaux. Il identifia dans mon organisme la présence d’agents viraux, dont le virus d’Epstein-Barr, le cytomégalovirus et le Coxsackie. Ensemble, ces virus pouvaient expliquer la plupart de mes symptômes. J’appris aussi que j’avais fait une vasculite cérébrale, c’est-à-dire une inflammation des vaisseaux sanguins du cerveau. Compte tenu de la gravité des infections virales détectées, ce microbiologiste se demanda comment j’avais réussi à tenir debout et à poursuivre mes études à l’université. Au total, il fallut douze longues années avant que je retrouve une santé parfaite. Durant ce cycle de vie, mes facultés psychiques se développèrent de façon remarquable et, depuis la fin de ce long épisode, je suis demeuré en contact étroit avec le monde spirituel. Lorsque tout fut terminé, je revis le médecin une dernière fois. Celui-ci me dit qu’il n’y avait pas d’explication pour ma rémission, qui, d’un point de vue médical, était tout simplement « miraculeuse ».

Selon vous, les expériences de mort imminente peuvent-elles aider les personnes qui ont perdu un proche à mieux vivre leur deuil ?

À ma connaissance, il n’y a pas encore d’études scientifiques réalisées en lien avec cette question précise. On ne peut donc pas s’appuyer sur des données empiriques afin d’y répondre. Ce qu’on peut dire, en revanche, c’est que dans la mesure où les résultats des recherches sur les EMI suggèrent fortement une continuité de l’esprit et de la conscience (l’une des composantes centrales de l’esprit) après la mort du corps physique, il est vraisemblable qu’être informé·e de ces expériences et de leurs implications apporte du réconfort aux personnes endeuillées. D’autant plus qu’il existe plusieurs autres éléments de preuve supportant les conclusions des études sur les EMI. Citons, entre autres, les travaux portant sur les expériences de fin de vie (EFV). Ces expériences se divisent en deux catégories. La première catégorie correspond aux EFV transpersonnelles : celles-ci possèdent un caractère transcendant (par exemple, les visions au moment du trépas, habituellement de membres de la famille décédé·e·s venant aider le mourant et l’accompagner durant le processus de la mort ; le passage dans de nouvelles réalités très semblables à celles décrites lors des EMI, souvent caractérisées par un sentiment d’amour et la présence de Lumière). La deuxième catégorie de EFV inclut divers phénomènes observés dans la pièce où se trouve le mourant autour du moment du décès (par exemple, arrêt des horloges, lumières qui s’éteignent, machines qui se mettent en marche et s’arrêtent, formes qui s’échappent du corps, lumière enveloppant le corps).

Comment les soins palliatifs peuvent-ils intégrer les connaissances scientifiques en matière d’états élargis de conscience ?

En Occident, nombre de patient·e·s décèdent à l’hôpital. Or, un pourcentage élevé des plaintes relatives aux soins hospitaliers concerne les soins aux personnes en fin de vie. Malheureusement, les professionnel·le·s les plus impliqué·e·s dans ces soins aux mourant·e·s ou aux personnes endeuillées (médecins généralistes, gériatres et infirmier·ère·s dispensant les soins palliatifs) restent encore trop souvent insuffisamment au fait des recherches à propos des EMI et des EFV, ces recherches n’étant pas encore une composante standard et obligatoire des programmes d’études. L’intégration de ces recherches dans les études en médecine et en soins palliatifs permettrait probablement de remédier à ce problème. Une telle intégration amènerait les médecins à cesser de croire que les EFV n’ont pas de valeur intrinsèque parce qu’elles sont exclusivement l’effet de la confusion ou des médicaments.

(Propos recueillis par Céline Rochat)

Journée des soins palliatifs « Expériences de mort imminente ; Au seuil de la conscience humaine »

palliative vaud experiences mort imminente journee 2023 reiso 170palliative vaud propose une journée destinée à dresser un bilan de l’état des recherches en cours quant aux expériences de mort imminente. En effet, que sait-on de ces expériences ? Que nous apprennent-elles réellement sur la mort ? Sont-elles des hallucinations produites par le cerveau ou de réellesincursions dans un « au-delà » ? Pourraient-elles changer notre rapport à la mort ? Sommes-nous arrivé·e·s aujourd’hui dans un changement de paradigme scientifique ? Voilà autant de questions qui seront explorées à l’occasion de cette journée.

  • Jeudi 28 septembre 2023
  • 8h-17h30
  • Morges, Théâtre de Beausobre

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